Alfred Bester (1913–1987)

Lu dans le cadre de ma "méta-lecture" des récits ayant reçu le prix Hugo, j'ai failli envoyer balader ce bouquin dès les premières pages : protagoniste au caractère insupportable, abusant du pouvoir conféré par son immense fortune, dans une mauvaise anticipation (comprendre que la futurologie inhérente à tout récit de science-fiction y est en partie ratée). J'ai crains un instant d'être tombé sur une apologie du capitalisme triomphant mais en persévérant un petit chapitre de plus, on comprend alors qu'on a d'abord eu affaire au méchant. Et si ce roman avait reçu le prix Hugo, c'était que la pépite allait arriver plus tard dans le récit.

Le contexte, le voici : c'est donc Reich, un magnat vivant dans une Terre futuriste (qui me fait surtout penser au dessin animé Futurama à ceci près que Futurama est une parodie) et luttant pour gagner toujours plus d'argent et de pouvoir. Un obstacle : un autre grand patron. La solution : l'éliminer physiquement pour s'approprier ensuite toute ses richesses. Le problème majeur étant que l'élite de la population est constituée de télépathes plus ou moins doués, ce que Reich n'est pas.

On assiste donc au plan machiavélique de Ben Reich pour éliminer son adversaire tout en échappant aux enquêteurs télépathes qui cherchent à le démasquer. Même si la narration est partagée entre deux protagonistes (l'assassin et l'enquêteur télépathe), le lecteur sait dès le départ à peu près tout ce que Ben Reich et ses sbires font (nous assistons d'ailleurs à la scène de crime), le suspens de ce polar réside dans la façon dont l'enquêteur exploite les indices. Ce qui est paradoxal puisque l'enquêteur semble être le meilleur télépathe du moment, nous assistons alors aux difficultés rencontrées par un être quasi-omniscient.

La pépite de ce bouquin c'est le traitement de la télépathie, la forme de dialogue spécifique à ce media avec notamment une première scène où un groupe de télépathes discutent simultanément. Sur le fond, rien de nouveau sous le soleil (ceci dit, c'est surement une œuvre pionnière, ça a été écrit dans les années 1950...) avec un aspect assez manichéen voire caricatural (le méchant soutient les télépathes élitistes et eugénistes et le gentil veut la paix dans le monde en offrant la télépathie à tous). Ajoutez à ça quelques scènes laborieuses (le retour à l'enfance de vous-savez-qui, la vieille cyborg libidineuse). Ca gâche ce je soupçonne donc être une œuvre pionnière, on retrouve dans ce roman l'ambivalence des œuvres de SF américaines : une imagination débordante grâce à l'économie qui explose et le sentiment d'invulnérabilité née de l'après-guerre et d'un autre côté, cette morale simpliste voire navrante... Je me demande à quel âge Bester a écrit ce bouquin (edit : il avait 39 ans quand il a sorti son bouquin en 1952).

Lisez-le quand même.… (plus d'informations)

J'ai découvert le nom d'Aflred Bester il n'y a pas longtemps alors qu'il est considéré comme un grande de la science-fiction. Voulant combler cette lacune dans ma culture du genre, je me suis procuré cet ouvrage contenant, d'après ce que j'ai lu, ces deux meilleurs romans, écrits dans les années 50. J'ai eu un peu peur car je n'aime en général pas ce que j'appelle le retro-futur, le futur passé, ce futur imaginé il y a des dizaines d'années mais désuet maintenant. Première bonne surprise, même s'il y a un côté rétro-futur dans ces romans, il n'est pas gênant et l'ensemble est plutôt bien vu, j'ai découvert un univers cohérent qui m'a fait un peu penser à ce que fera Philip K. Dick plus tard, des personnages singuliers aux tares plus ou moins prononcées, un monde légèrement dystopique où les préoccupations apocalyptiques, typiques des années "guerre froide", sont bien filtrées et retransmises au lecteur. Une autre découverte heureuse, le jeu typographique avec dans le premier roman des noms composés de signes typographiques, et à la fin du deuxième carrément un jeu sur la confusion des sens. Finalement, et là plus dans le deuxième roman aussi, il y a une profondeur que j'oserais qualifier de morale, que j'ai appréciée en lisant Isaac Asimov. Et je me suis rendu compte à la fin de ces romans qu'en effet Alfred Bester était une figure singulière de la science-fiction car il en a posé les jalons, du moins de mon point de vue. Sur le fond de l'histoire, les deux romans compilés dans cet ouvrage ne m'ont pas transportés, sur la forme je les ai trouvé remarquables. À noter les deux très bonnes préfaces, notamment celle de Neil Gaiman.… (plus d'informations)