Stéphane Giocanti

"Tout prince a des ambassadeurs" nous dit la fable de La Fontaine à propos des grenouilles qui veulent se faire aussi grosses que les bœufs. Ainsi parfois des hommes politiques qui ont besoin de pages (au sens figuré) pour rester dans la mémoire des hommes, ou d'en écrire eux-mêmes. La France est un pays particulier où les écrivains côtoient plus près que dans d'autres pays les hommes politiques, ou les idées qu'ils défendent. D'où cet essai sur "une histoire politique de la littérature", brillante et souvent caustique, dans laquelle Stéphane Giocanti catégorise, classe et déclasse tous ceux dont la plume a touché la chose politique, parfois au risque de la perdre ou de la brûler.

J'avais lu avec passion son livre consacré à TS Eliot et je dois dire que celui-ci ne démérite pas quant à sa clarté. En partant des deux figures fondatrices de cette relation passionnelle entre Pouvoir et Lettres que sont Victor Hugo et Emile Zola, l'auteur nous entraîne à la découverte d'un monde où les flamboyants dament le pion aux maudits et où ces derniers se drapent dans leur vertu outragée, quand ils ne persistent pas dans l'erreur. Avec Stéphane Giocanti, tout un chacun en prend pour son grade, sans méchanceté, mais sans complaisance non plus. Nous voyons évoluer les courtisans : La Fontaine, Racine, Benda, Valery, Claudel, Morand, Chardonne, Mauriac, Orsenna, Tillinac ; nous regardons les fonctionnaires : Bloy, Huysmans, Barrès, Malraux, Giraudoux, Saint-John Perse, Gary.... ; nous remarquons les idéologues défiler en régiments (Maurras, Sartre, Malraux, puis passons aux mystiques (Chénier, Hugo, Bloy, Péguy, Bernanos,...). Il y a les pamphlétaires, les plantés (belle cohorte), les vrais et faux maudits, les prophètes, ceux qui recherchent le sauveur (politique), les avocats des petites causes, les sceptiques et dilettantes, ceux réfugiés dans leurs tour d'ivoire, les vaillants et les prudents.

L'auteur connaît ses lettres modernes, fréquente assidûment les écrivains. Sous l'affection qu'il semble leur porter malgré ses coups de griffes, ressort le désir de les mettre un peu moins haut sur les piédestals que la postérité politique leur témoigne. Tout cela est exprimé en chapitres courts et bien documentés, agréables à lire.

Ce livre s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à la littérature, à la critique littéraire, mais aussi à ceux qui s'interrogent sur ce lien permanent en France qu'il y a entre le monde des arts (et sa sous-déclinaison du show-biz) et la politique, rapports toujours conflictuels ou empreints de fascination mutuelle.… (plus d'informations)