Un grand roman.
King sait y faire pour vous happer très tôt dans ses romans et entretenir la curiosité qui se mue petit à petit en passion dévorante par la minutie avec laquelle il dépeint ses personnages, toujours très riches, toujours si réalistes, et construit ses intrigues. Certes, il a souvent tendance à nous perdre à la fin avec des conclusions qui se traînent ou déçoivent par certaines facilités, raccourcis ou biais improbables, mais on en ressort la plupart du temps lessivés, émotionnellement vidés et heureux d'avoir vécu cette aventure. Car même lorsque le sujet est plus modeste, cet amoureux de l'écriture parvient à le rendre intéressant.
Et là, il réussit la gageure de nous plonger dans la tête d'un bonhomme immédiatement sympathique alors qu'il est avant tout un criminel : Billy tue des gens pour de l'argent. On l'accompagne alors dès les premières lignes, suivant les intermédiaires qui le mèneront au commanditaire de son prochain assassinat, et on se surprend à le trouver tellement cool, avec ses réflexions sur le style de Zola et sa manière de faire semblant d'être idiot devant les autres. On se surprend à tomber dans ce piège un peu trop facile qui nous fait passer des bandits pour des héros, et on se console avec sa ligne de conduite avouée : Billy ne tue que les méchants. Ses contrats ne concernent que des mecs qui méritent d'être exécutés.
Sauf que cet argument est bien trop spécieux. Et que Billy sait parfaitement, au fond de lui, qu'il n'est pas un "mec bien". Même avec les meilleures intentions du monde, tuer reste un crime. Et il se fait payer pour cela.

Alors Billy décide que ce sera son dernier contrat. C'est ce qu'il dit à Nick, son commanditaire habituel, un mafieux légèrement moins con que ses sbires, porte-flingues caricaturaux issus de la pègre. Et Billy l'accepte car il y a beaucoup d'argent à la clef. Un gros paquet de pognon. Pour éliminer un sale type. Il ne faudra pas beaucoup le pousser, le Billy, pour qu'il accepte l'affaire : un méchant à buter et assez d'argent pour vivre peinard le reste de sa vie (sous une autre identité, évidemment, car n'oublions pas que Billy est beaucoup moins stupide qu'il n'en donne l'air).
Le boulot ne sera pas aisé. Si Billy est un des meilleurs hitmen du pays, c'est non seulement parce qu'il est un sniper de haute volée, mais aussi parce qu'il sait faire ce qu'il faut pour que le moment le plus propice se présente. En l'occurrence, il va lui falloir patienter des mois, le temps que sa cible soit extradée depuis la Californie jusqu'à ce petit patelin. Alors Billy va rester sous couverture pendant tout ce temps, se fondre dans le décor. Il est méthodique, il est affûté, il sait faire cela. On lui donne une identité factice, celle d'un écrivain sommé de rédiger son premier roman par un agent new-yorkais : il aura un bureau à lui dans une tour mitoyenne au Palais de Justice et donc des horaires extrêmement flexibles. Il aura un petit pavillon en banlieue, il lui faudra sympathiser avec les voisins - mais il sait qu'il ne faudra pas nouer de relations trop étroites. On lui fournit une porte de sortie pour le jour où il lui faudra exécuter son contrat, et même des diversions pour lui permettre de quitter la petite bourgade incognito.
Tout cela est parfaitement mis au point, et Billy se sent largement capable de mener cette délicate opération à son terme, et d'empocher le reste de son dû (car il a reçu, histoire de le convaincre encore plus rapidement, une confortable avance). Néanmoins son instinct lui souffle qu'il y a quelque chose de louche là-dessous, des détails qui ne collent pas parfaitement, des sous-entendus, et des intermédiaires auxquels il ne parvient pas à faire confiance. Billy s'en est toujours sorti tout seul, et voilà qu'on lui construit exprès un alibi et une issue. Tout cela pue un peu trop pour être honnête, ce qui pousse Billy à se prémunir contre toute mauvaise surprise. Il a du temps devant lui, et il sait tout à fait échafauder des plans de secours au cas où ça foire. Le moment venu, il saura quoi faire.

En attendant, il devra s'occuper. Billy est d'un naturel affable, il parvient avec une aisance qui le surprend lui-même à s'intégrer dans la petite communauté qui peuple les bureaux de l'immeuble où il travaille (traders, agents de recouvrement et autres employés de bureau) ainsi que dans le quartier om il entreprend de redonner vie au gazon de sa pauvre pelouse. Il se retrouve invité à des barbecues, à faire des parties de Monopoly avec les enfants des voisins, à boire des bières avec tout le monde. Attention, Billy ! Gaffe à ne pas trop t'attacher ! Les voisins sont charmants, même la petite vieille alcoolique, et il se surprend à les apprécier. Dangereux. Terrain miné. Et les yeux brillants de la petite Shanice pour laquelle il a réussi à gagner un gros flamant rose à la foire...

Mais il y a un autre problème, plus urgent encore. Il est censé être écrivain. Il doit écrire, donc. On lui a même donné un MacBook Pro pour cela. Alors il va donner le change, et il se mettra à écrire. Comme il a peur d'être piraté, ou simplement surveillé, il va faire ce qu'il fait le mieux : donner le change, et écrire à la manière d'un simplet. Mais écrire quoi ? Certes, il aime la grande littérature, et il a des références ahurissantes. Mais écrire, c'est autre chose. Alors, il s'essaie, et il couche sur l'écran ses souvenirs. Et nous découvrons ainsi comment Billy est devenu ce qu'il est. Car le temps est long, et sa vie déjà bien remplie. De drames, de tragédies, d'amertume et de regrets. De quoi nous rassurer davantage s'il le fallait : quand on comprend ce qui lui est arrivé, on ne peut que l'en apprécier plus.

Sauf que cela ne tient pas la route, surtout devant un tribunal. Oui, Billy a souffert, et il a connu tout jeune une expérience proprement traumatique. Cela n'ôte rien au fait qu'il soit un tueur à gages.

Et cela, Billy le sait. Car Billy est intelligent. Et il a du temps. Pour ruminer. Sur sa vie, qu'il couche par épisodes, drames après drames, sans savoir véritablement s'il en fera un livre. Sur ce qu'il est et ce qu'il fait. Sur la peine qu'il causera inévitablement à ces gens qu'il fréquente, pour lesquels il est le gentil voisin serviable, le mystérieux écrivain solitaire.

Mais voilà que le jour J arrive. Il est prêt. Il a une identité de secours, un plan B, une planque et même un véhicule caché. Il va appuyer sur la queue de détente, se barrer, toucher le pactole et disparaître, mais à sa façon. Il n'a pas confiance dans ses commanditaires, qui ne valent pas mieux que celui qu'il va abattre, sous leurs sourires de façades, leurs embrassades et leurs palaces tape-à-l'oeil. Il lui faudra oublier cette collègue au sourire désarmant, cette petite fille aux yeux attendrissants et quitter cette vie. Mais il a d'abord un boulot à terminer...

... et on n'en est qu'à la première moitié du roman. Car King suit comme d'habitude le flot qui s'écoule des sources qu'il a ouvertes, et construit la suite de ce récit qui aurait pu s'achever sur la mission de Billy avec le constat d'un texte déjà bien chargé, un personnage attachant dans ses paradoxes et ses atermoiements, très humain même si logiquement criminel, un bon gars qui a été conduit à faire de mauvais trucs. Pourtant l'auteur de Ça choisit d'aller plus loin encore, et de développer non seulement son personnage (son passé s'enrichit par les pages qu'il ajoute au roman de sa vie) mais aussi son intrigue : outre la machination que Billy devinait, vient se greffer un nouveau personnage. Une fille. Qu'il a sauvée...

Au polar haletant vient donc se greffer une histoire plus dense qui se muera en road trip tout en diffusant un puissant plaidoyer pour le pouvoir salvateur de l'écriture (un thème de prédilection chez Stephen King) et en incluant des séquences intenses puisées dans les souvenirs du Billy marine : car si sa jeunesse lui a procuré son lot de vertiges émotionnels, son passage dans l'armée a fait de lui l'homme qu'il est à présent. C'est ce Billy complexe, à l'âme torturé, gentil assassin et sauveur nocturne, qu'on ne peut s'empêcher d'aimer et d'accompagner jusqu'au bout d'un périple qui verra peut-être sa rédemption, dans un monde trop glauque, trop inhumain, vidé de ses principes mais illuminé par des actions, des intentions et des sentiments qui sauvent l'honneur de notre espèce. On peut peut-être, par moments, y trouver un peu de naïveté, mais c'est faire preuve d'un peu trop de cynisme face à la cruauté, la barbarie et l'ignominie dont peuvent faire preuve les hommes de pouvoir. Sans qu'il y ait de systématisme, on peut aussi reprocher à certains enchainements d'être trop évidents ; cependant, le confort de lecture que cela procure, par leur évidence narrative, entraînent d'excellentes surprises après coup. On croit souvent deviner ce qu'il va advenir et l'auteur nous pousse soudain dans une direction imprévue. C'est très fort, parfois agaçant ou frustrant, mais lorsqu'on referme le livre, on ne peut s'empêcher de verser une larme sur ces personnages qu'on quitte : pas de chevaliers blancs ni de héros sans tache, mais des êtres complexes qui font parfois des choses pas très nettes, voire carrément sordides, mais savent faire preuve d'empathie, de courage et d'abnégation pour sauver ce qui leur est cher. ( )

Je ne voulais pas finir le livre car je savais que le héros allait mourir !
Stephen king est un maître. ( )

Ce roman de Stephen King est dépourvu de toutes références fantastiques (sauf aux lecteurs de Shining). Il est composé de deux parties assez différentes. La première est consacrée à un ancien tireur d'élite de l'armée américaine, Billy Summers. On le suit pendant plusieurs mois alors qu'il se prépare pour un assassinat d'un autre tueur à gage qui devra avoir lieur le jour du procès de ce dernier. Dans l'attente, Billy Summers a emménagé dans une petite maison avec une fausse identité d'écrivain se mettant au vert afin d'écrire tranquillement son premier roman. Mais Billy qui est un passionné de littérature, se prend au jeu et commence à écrire réellement un roman autobiographique. Une fois le meurtre effectué, alors qu'il se terre pour éviter la police et ses commanditaires qui ont d'après lui des velléités à le tuer, il sauve une femme de vingt-quatre ans, Alice Maxwell, laissée pour morte suite à un triple viol. Billy va très vite prendre la jeune fille sous son aile puis décider d'aller la venger. Une fois les trois violeurs punis, Billy décide de se venger de ses commanditaires, avec l'aide d'Alice. Cette deuxième partie, qui se déroule à la façon d'un road trip, est bien différente de la première : moins rythmée, moins crédible car les bons sentiments affluent, ce qui est plutôt rare chez Stephen King, mais plus tournée vers les sentiments, plus émouvante aussi. Cela fait un tout est assez étrange. Néanmoins, le jeu de l'écrivain avec les différents niveau d'intrication des récits est assez jouissif et le plaisir de lecture est comme toujours au rendez-vous. Une bonne production de l'auteur. ( )