Le lecteur se souvient très certainement de Jacques Chancel comme un animateur talentueux, ayant produit une quantité impressionnante d'entretiens pour son émission "Radioscopie" sur France-Inter. Jorge Luis Borges a eu les honneurs de cette émission en 1979 et c'est cet entretien qui a été remis en forme dans ce livre. On le sait, Borges voue une grande admiration à l'art de la conversation, ayant hérité cela de son ami Macedonio Fernandez. La confrontation des points de vue avec le journaliste fait que l'on découvre un homme à la fois pudique et extraverti, modeste et exagérant cette modestie. Il parle de ses goûts et dégoûts, de la littérature française qu'il affectionne, de sa cécité et de la manière dont celle-ci a influé sur ses compositions, de la solitude, de la mort et toujours de la littérature. Borges tient salon comme jadis les salons littéraires perpétuaient cette forme de lien social éminent qu'est la parole partagée. L'écrivain est paradoxal, souhaitant disparaître dans l'oubli et en même temps aspirant à un prix Nobel qu'il n'aura jamais eu. Il souhaite que le monde entier n'écrive rien sur lui, ne publie pas ses œuvres complètes et en même temps travaille de concert avec les éditions Gallimard pour établir une édition française de celles-ci . Borges est un univers complexe et mouvant à lui tout seul, n'ayant jamais cessé de modifier ses propres écrits, comme si ceux-ci étaient dans une conversation perpétuelle avec leur auteur et se modifiaient au cours d'un dialogue ininterrompu.

Quoi qu'il en soit, ce petit livre de témoignage est fascinant à lire pour tous les admirateurs de l'écrivain et fait partie de ces entretiens littéraires de qualité que l'on a plaisir à lire et relire. ( )