> Stéphane Hessel (1917-2013) est né en Allemagne de père juif, arrivant à Paris en 1924, arrêté par la Gestapo en 1944, puis évadé. Il fait une partie de sa carrière diplomatique aux Nations unies; il est connu pour ses engagements sur les droits de l'homme, les sans-papiers, le problème palestinien, et récemment pour son manifeste Indignez-vous! écrit à 93 ans, traduit dans presque toutes les langues.
"Le motif de la Résistance, c'est l'indignation; l'indifférence, c'est la pire des attitudes; la non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre."
Editions Indigène (Revue Shakti)

> Précieuse, l'indignation toujours intacte de cet homme radieux de 93 ans, résistant, échappé d'un camp de la mort, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ancien ambassadeur de France. Toujours lucide, il reste actif en soutien aux combats pour les droits aujourd'hui. Alors que "la fin n'est pas bien loin", et prenant appui sur l'héritage du Conseil national de la Résistance il nous livre quelques éclats de réflexions. Un adversaire principal : l'indifférence. Et deux défis centraux aujourd'hui : l'écart grandissant entre riches et miséreux, et les droits humains et l'état de la planète. Hessel nous livre aussi son indignation concernant la situation en Palestine, et termine son plaidoyer avec un chapitre sur "la non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre". Un caillou d'espoir dans la chaussure d'une société qui marche à reculons. GG.
--Revue Silence, févr. 2011

Stéphane Hessel s'indigne et explique que c'était mieux avant. ( )

Tout, et probablement son contraire, a écrit sur ce petit opuscule. Rien de nouveau n’y est dit, et ces courtes 20 pages qui semblent rassembler des feuillets épars ne sont ni particulièrement bien écrites ni plus convaincantes que d’autres. Au fond, le principal intérêt de ce livre est son titre choc, avec son point d’exclamation qui n’est pas un ordre mais un besoin. Le mot d’indigné connaît actuellement une grande célébrité dans le monde, de l’Espagne aux Etats-Unis, je n’ose croire que c’est Hessel qui est à l’inspirateur de ce mouvement, mais il n’y a dans ce mot d’indignation (pas de révolte, encore moins de révolution) aucune idéologie, aucun système de pensée, seulement l’expression d’une humanité qui ne demande qu’à s’exprimer dans sa totalité.

Ecrit par un diplomate et militant politique français, Stéphane Hessel commence son ouvrage en annonçant son âge : « 93 ans. C’est un peu la toute dernière étape. La fin n’est plus bien loin » (page 9). Combattant de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale, puis déporté à Buchenwald, il impose le respect quand il parle.

Selon M. Hessel, « Le motif de base de la Résistance était l’indignation » (11). Et son message aux jeunes générations est simple : « Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! » (11). C’est l’indignation qui pousse l’individu à devenir un « militant, fort et engagé » et a rejoindre « ce grand courant de l’histoire » (12). En fait, l’indignation est « une des composantes essentielles qui fait l’humain » et l’engagement « en est la conséquence » (14).

Son critique de la course au « toujours plus, » de l’immense écart qui existe entre les très pauvres et les très riches ainsi que les lacunes qui existent face aux droits de l’homme et l’état de la planète méritent une oreille ouverte. J’aime surtout la désignation qu’il donne à l’indifférence : « la pire des attitudes » (14).

Ceci dit, le livre mérite certains reproches. Tout d'abord, de dire qu’ « on peut se dire que le terrorisme est une forme d’exaspération » et que la réaction populaire « ne peut pas être que non-violente » (18) est, dans les mots de Marc Knobel, « justifier, si ce n'est de légitimer le terrorisme. »

Une critique plus globale concerne sa conviction que l’indignation était « le motif de base de la Résistance » (11) et, il semble dire, de toute l'histoire. Alors, si ceci est vrai, l’homme est principalement motivé par une répulsion du mauvais, plutôt qu’une aspiration pour le bien. L’absence du mal laisserai donc l’homme sans motif d’action !

Pour le chrétien, « le motif de base » n’est pas l’indignation mais l’amour. L’amour pour Dieu avant tout, mais aussi l’amour pour le prochain est même l’amour pour l’ennemi. Ce n’est pas l’indignation non-violente, mais un amour radical qui a motivé le Christ. En dépit de ce qu’Hessel dit, il existe bel et bien un « terrorisme non-violent » car la haine peut prendre plusieurs formes. Hessel semble suggérer que nous pouvons vaincre la violence par une haine non-violente. Jésus dit que nous pouvons vaincre la haine elle-même par un amour radical.

Indignez-vous ? Je préfère ce que Jésus a dit (un appel beaucoup plus radical) : Aimez-vous les uns les autres ! ( )

Tant de battage pour cela ! Il y a des tribunes dans les journaux dits de référence qui ne bénéficient pas d'une telle audience. Ce texte aurait pu être publié dans une revue sérieuse et passer complètement inaperçu. Tel n'a pas été le cas et cet opuscule s'est fort bien vendu. Tant mieux pour l'auteur. L'anecdote éditoriale de ce succès ne doit pas cependant prendre le pas sur le fond de ces quelques 14 pages. Le sujet en est l'indignation qui, selon le dictionnaire Larousse, est le "sentiment de colère que provoque un outrage, une action injuste". De la part d'un homme de 93 ans au parcours professionnel plus que respectable, au parcours personnel impressionnant que je salue, cela dénote au moins la constance d'une ligne de pensée. La sienne est à gauche, résolument. Et la Gauche aime les mots, grands de préférences. De l'indignation, elle en a même fait une profession. Il y a les bateleurs d'estrades médiatiques, les militants offusqués, les professionnels de l'arpente-bitume entre Bastille et République, les pétitionnaires en série. C'est rodé, calibré, professionnalisé. En perdant le monopole du cœur, la Gauche a gardé celui de l'indignation. Stéphane Hessel s'inscrit dans cette dynamique. Il ne manque d'ailleurs pas de sujets d'indignation dans le monde ou en France, preuve s'il en est que si l'indignation devait être côtée en bourse, les prises de bénéfices réconcilieraient les "indignés" et le Capital !

Cependant, ce texte me semble trop de circonstances sur la période présente. On pensait avoir un développement harmonieux et profond. Las, le lecteur qui cherche cela ferait mieux de se rabattre vers le livre (De l'indignation) du philosophe Jean-François Mattéi , consacré à ce sujet. On saute du programme du Conseil National de la Résistance à la situation palestinienne. Stéphane Hessel fait de l'indignation le motif de la Résistance. C'était juste et c'était clair. L'auteur reconnaît qu'aujourd'hui, "les raisons de s'indigner peuvent paraître moins nettes ou le monde trop complexe. (...) Il n'est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent". Ce monde qui évolue sous les yeux de l'auteur offre "une interconnectivité comme jamais encore il n'en a existé". Le fond du message de Stéphane Hessel est ne ne pas laisser ce monde induire la personne dans un sentiment d'indifférence. C'est humaniste et très bien. L'auteur développe ensuite des thématiques traditionnelles pour les tenants de la gauche : les écarts de richesse, les droits de l'homme et la planète, la Palestine. On peut noter que ce sont des motifs d'indignation bien récurrents et bien faibles par rapports à la quantité de violence subie par les personnes dans le monde et en France : atteinte au droit de la parole, atteinte à la liberté de la presse, atteinte au droit de professer une autre religion dans les pays théocratiques, atteinte au principe d'impartialité laïque dans notre pays de la part de l’État, développement d'une bioéthique occidentale aveugle à la dimension pleinement humaine, dérive vers l'eugénisme d’État, massacre de la culture par la promotion de l'idiotie de masse. On pourrait en écrire des pages entières, des annuaires ! Stéphane Hessel est sélectif, ce dont on pourrait lui faire le reproche, mais la liste est décidément trop longue.

Retenons que la manifestation de son indignation se fait par la non-violence. L'auteur n'appelle pas à l'action armée mais à l'insurrection de l'esprit contre "les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous." C'est généreux et utopique dans un monde cynique. Gardons en tête, au terme de la lecture, cette fraîcheur que j'espère avoir à l'âge avancé qui est le sien. Pour les cas pratiques, je piocherai dans ma propre liste. ( )