Ce Chabouté était dans la bibliothèque d'une rencontre. J'avais déjà flashé sur l'auteur avec "Les princesses aussi vont au petit coin". Ce qui frappe, c'est son sens de la narration, avec simplement quelques traits de crayon. Pour lui, pas besoin de grands discours pour introduire un univers, pour décrire une atmosphère. Tout est dans la suggestion, dans l'émotion que suscite l'image en noir et blanc. Des gros plans sur les visages immobiles et silencieux, et tout saute aux yeux. S'il était réalisateur, ce serait des plans fixes et longs sur ces visages, sur des paysages, ou sur un objet révélateur... Des scènes impliquant plusieurs personnages, et où un silence s'installe, avant que l'un d'eux prenne la parole, et surprenne à la fois son interlocuteur et le lecteur. Tout cela au service de scénarios simples et percutants, encore une fois, pleins de suggestion et de questionnement.

Dans "Tout seul", on part sur les côtes d'un petit village français isolé. Un pêcheur a l'habitude depuis des années, de convoyer de la nourriture jusqu'au phare, inaccessible autrement qu'en bâteau. Un matelos, dont il ne sait rien, et qu'il a engagé récemment, commence à lui poser des questions sur ce manège. Qui ou quoi vit dans ce phare ?

Le matelos, ex-taulard sans qu'on ne sache pourquoi, montre une curiosité doublée d'une empathie inattendue qui donne à cet humble scénario une force morale digne d'un conte de portée philosophique ou sociologique. Le personnage du taulard m'a fait penser au condamné de Victor Hugo: on ne juge pas son passé, on s'intéresse à sa seule humanité. ( )

Première découverte de cet auteur et coup de coeur absolu !
Nous découvrons isolé, dans un phare en pleine mer, un être difforme, seul, qui est né dans ce phare et n'a jamais quitté cet îlot. Il a pour tout univers la mer et la pêche, comme seul compagnon un poisson dans un bocal et comme seule distraction son imagination en piochant au hasard les mots du dictionnaire. A partir de ces éléments de départ, Chabouté nous délivre une histoire pleine de tendresse et de poésie, avec des pointes d'humour et d'ironie sur les quiproquos que peuvent engendrer les définitions du Petit Larousse, d'une humanité bouleversante.
L'histoire s'appuie sur un dessin à l'encre magique. La mise en page et la succession des vignettes donne un mouvement de caméra permanent qui donne une fluidité au récit et nous transporte dans cet univers de solitude. En parcourant l'album, on entend les cris des goélands, le bruit du ressac sur les rochers, le vent en haut du phare, on hume les embruns et respire le grand air.
C'est un album à lire absolument et qui vous donnera un beau regard sur les hommes et le monde. ( )