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Chargement... Between Two Worlds [2021 fim]par Emmanuel Carrère, Florence Aubenas (Adaptation)
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Afin de mieux saisir les mécanismes de la crise économique et de l’exclusion sociale, la journaliste choisit la voie d’une véritable immersion auprès des plus démunis et des précaires en prenant la décision radicale de travailler parmi eux, pendant six mois, en se faisant embaucher comme femme de ménage pour la Brittany Ferries. Il en résultera un témoignage sans fard et sans filtre, un récit sec qui en dira bien plus long que de nombreux ouvrages sociologiques sur la vie quotidienne des nouveaux esclaves du monde du travail soumis à des cadences infernales, à des salaires de misère et à un enchaînement de petits contrats précaires qui les fait survivre, la peur au ventre.
Avec son film simplement intitulé « Ouistreham », Emmanuel Carrère propose une adaptation assez libre de ce récit qui a fait date dans l’histoire journalistique. Comme il n’est pas le maître du réalisme cru comme peuvent l’être les frères Dardenne (et de manière encore plus magistrale d’un Ken Loach outre-manche), le réalisateur décide d’emprunter judicieusement une autre voie. Il ne se focalisera donc pas uniquement sur une démonstration à tout crin de la cruauté absurde des « règles » du travail sous-qualifié et de la dureté du quotidien de ceux qui les subissent, mais souhaitera aussi mettre en lumière, à travers des portraits aussi subtils que touchants, la solidarité entre des déclassés (au mieux anonymes, au pire méprisés de tous) que seuls les liens humains qui les unissent peuvent raccrocher à une existence par ailleurs privée de sens et d’avenir.
Afin de restituer ces portraits sensibles et rugueux avec le plus de justesse possible, le réalisateur fait le choix également très judicieux de recourir uniquement à des non-professionnels (tous formidables) pour incarner les personnages, à l’exception de Juliette Binoche, toujours vraie, crédible et lumineuse, y compris quand elle nettoie les chiottes des cabines des ferries, en commentant que certains ne se donnent même pas la peine de tirer la chasse d’eau « quand ils chient ou quand ils gerbent ».
Ainsi, tout le monde en prend pour son grade : les patrons de sociétés (avec leur soif de profit) et l’Etat (avec ses mesures anti-sociales) ne sont pas les seuls à se conduire mal… il y a aussi malheureusement tout un chacun qui se complaît à ignorer les « petites mains » très maigrement payées pour assurer le confort de ceux qui ont les moyens de profiter de services (et de voyager en l’occurrence). Parmi ceux qui ont passé la nuit dans une cabine de la Brittany ferries et qui arrivent au petit matin à Ouistreham, lesquels n’ont pas été saisis et honteux de croiser, à la sortie du bateau, ces « escadrons du nettoyage » composés de visages gris et fatigués, qui se pressent pour accomplir leur tâche dans le temps qui leur est imparti (4 minutes par cabine), sous peine d’être virés ?
Autre élément intéressant du film : la nécessité de trahir pour traduire. Marianne Winckler (l’écrivain interprétée par Juliette Binoche) doit en effet se faire embaucher sous une fausse identité et ne jamais révéler qui elle auprès des personnes avec lesquelles elle noue des liens d’amitié pour mieux dénoncer leurs conditions. Le paradoxe de devoir mettre en œuvre une trahison humainement pénible (impardonnable pour Christèle, une jeune mère taiseuse qui élève seule ses trois enfants et qui s’attache sincèrement à la nouvelle recrue) au service d’une cause juste est bien vu.
On note enfin de jolies scènes de liberté et de découverte pour la jeune Christèle et ses trois enfants que Marianne emmène à la plage. S’étend alors devant eux la mer à proximité qu’ils n’avaient pour ainsi dire jamais remarquée. Car seul existe ce qui est regardé. A l’instar de ces anonymes qui deviennent visibles et qui se mettent comme par magie à exister dans l’œil de la caméra qui les filme et dans celui des spectateurs qui regardent les images qui ont été captées. ( )