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> AU LOIN LA LIBERTÉ, de Sa Sainteté le quatorzième Dalaï-Lama (Fayard). — L'autobiographie de Dalaï-Lama est intéressante, bien sûr, mais nous la connaissons tous grâce aux articles et aux livres publiés par ses amis. Par contre, ce qui est plus intéressant encore, c'est l'évolution de ses jugements et de ses attitudes face aux gouvernants chinois net à leur idéologie d'une part et au monde occidental d'autre part.
Quand, en 1954, il se rend en Chine à l'invitation des gouvernants chinois, il est impressionné par les progrès en tous genres réalisés depuis la Révolution. Il est séduit par le président Mao, il lui paraît sincère et, malgré quelques impressions mitigées, il espère que les Chinois respecteront l'accord en dix-sept points qu'ils lui ont imposé en 1951. Mais il va peu à peu déchanter, perdre toute confiance en ses interlocuteurs et devenir intransigeant face à eux, en particulier pour l'application du programme en cinq points qu'il exige comme condition de son retour au Tibet. Mais malgré tout ce que son peuple et lui-même ont souffert du fait de l'idéologie chinoise et de son application, à savoir du marxisme, et de son application, il écrit : « Si je devais me définir politiquement, je dirais pourtant que je reste à moitié marxiste. Pour autant qu'il soit pratiqué avec humanité, je n'ai rien contre le capitalisme : mais mes convictions religieuses me rapprochent davantage du socialisme et de l'internationalisme, qui sont plus en accord avec les principes du bouddhisme. Pour moi, le marxisme a en outre l'avantage de considérer que, en dernier ressort, l'homme est responsable de sa destinée. Cela reflète exactement la pensée bouddhiste ». N'idéalise-t-il pas un peu le marxisme ?…
En 1959, à l'année de l'invasion chinoise, et pendant de nombreuses années encore, les Occidentaux ne connaissent pratiquement rien du Tibet et ne s'y intéresse pas du tout malgré ce qui s'y passe, à savoir le début d'une sinisation systématique et d'un génocide qui continuent en 1991. Et puis le Dalaï Lama est très jeune face aux chefs d'Etat occidentaux ! Mais on le voit, au fil des pages et donc des années, prendre sa place parmi eux petit à petit, recevoir le Prix Nobel de la paix et prendre peu à peu une envergure internationale sans rien perdre de son authenticité de moine bouddhiste. En toute occasion, il affirme son attachement aux valeurs d’amour, de non-violence, de paix, de respect de l'individu et de sa responsabilité personnelle que prône le bouddhisme.
Je voudrais terminer par un portrait du Dalaï Lama tracé par Thomas Merton dans « Journal d'Asie » (paru chez « Critérion »). Le Dalaï Lama possède une personnalité extrêmement imposante. Il est vif et robuste et plus grand que je ne pensais… C'est un homme très solide, capable, énergique, généreux, chaleureux, aux prises avec d'énormes problèmes dont il ne m'a pas parlé directement… J'aime la solidité des idées du Dalaï Lama. Il pense de manière très conséquente et progresse par étapes successives. Ses idées sur la vie intérieure ont des fondations très solides et sont basées sur une connaissance réelle des problèmes pratiques. Il insiste sur le détachement, sur une « vie hors du monde », mais la conçoit dans le cadre d'une intelligence complète ou d'une participation totale aux problèmes de la vie du monde. Mais la renonciation et le détachement doivent venir en premier. Il est évident qu’il regrette de ne pouvoir mener une vie entièrement monastique et qu'il aimerait avoir plus de temps pour méditer et étudier… »
—Carnets du Yoga, (133), Novembre 1991