Très bon livre, quoique dur voire pénible à lire tant les personnes n'inspirent pas la sympathie. Le livre évoque l'histoire d'une jeune femme d'une famille traditionnelle du souk d'Alep (des vendeurs des tapis), et son implication dans la révolte des Frères musulmans entre 1979 et 1982. Le livre suit l'héroïne (?) dans sa socialisation féminine très séparée des hommes et contrôlée par ses tantes (elles-mêmes peu libres de leurs mouvements). Sa participation à des cercles soufis est son seul lien vers l'extérieur mais ces derniers sont pris et intégrés dans la radicalisation politique (même si là, moi qui ne suis pas un spécialiste de la question islamique, je m'interroge car il devrait y avoir plutôt une séparation entre ces mouvements?). Quant aux hommes de la famille, ils circulent beaucoup et dessinent une géographie islamiste progressivement élargie - du Yémen et de l'Arabie à l'Afghanistan puis au Londonistan.
Sur le plan personnel et intime, la narratrice (c'est mieux que l'héroïne en fait) réagit à sa solitude et à son isolement - y compris affectif - par une plongée dans la radicalisation politique qui offre un exutoire à sa haine pour les autres confessions, notamment les alaouites, qui est une réaction contre ses frustrations et celles de son milieu, et qui s'alimente des "fautes" de ses proches autant que des coups (jusqu'à la mort) qui leur sont portés (comme son frère).
La violence de la répression du Baath (jamais nommé) réduit progressivement l'espace politique de l'Organisation et aboutit à la mort, à l'exil ou à l'emprisonnement de ses membres (mais aussi à leur division). La narratrice passe ainsi de longues années en prison qui la conduise à rejeter son engagement politique et à s'éloigner des siens qui ont poursuivi leur engagement notamment en Afghanistan. Après sa libération, elle complète ses études de médecine puis s'exile elle-aussi à Londres.
Ce roman relate donc d'une manière très sensible et intimiste la chronique d'un engagement puis des désillusions qui l'accompagne. Il propose un éclairage très cru sur la violence qui marque et radicalise les comportements des divers protagonistes, et alimente en particulier les mécanismes de la construction et de la haine interconfessionnelle (même si je ne peux juger de son exactitude historique). A cet égard, le livre peut se lire aussi sur un éclairage sur la situation actuelle de la Syrie, dont il éclaire l'histoire - même si cette plongée dans le passé ne présente que peu d'analogie avec la situation politique actuelle. ( )