Raton-Liseur - Lectures de 2019

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Raton-Liseur - Lectures de 2019

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1raton-liseur
Modifié : Fév 20, 2019, 10:22 am

Est-ce que je me lance ? N’est-ce pas trop ambitieux ? Allez, j’essaie et on verra bien…

J’ai la nostalgie de mes listes de lecture d’il y a quelques années. J’ai encore du mal à être tout à fait à jour dans mes notes de lecture, mais disons que j’ai l’impression d’arriver à me maintenir plus ou moins à flot, alors je vais essayer de reprendre cette tradition de mes débuts sur BiblioChose. Arriverai-je à tenir la distance, je ne sais pas, mais l’aventure me tente alors je me lance sans trop réfléchir au pourquoi ni au comment.

Et je n’ai pas changé, pas d’objectif pour moi pour cette année, je lis au gré de mes envies et de mes découvertes livresques. Mes goûts littéraires ont peu changé : je continue à lire beaucoup de littérature du XIXème et du début du XXème siècle, ainsi que beaucoup de littérature étrangère, c’est principalement ce que vous trouverez dans cette liste de lecture.

Par contre, mon comportement de lectrice a changé, en partie parce que j’ai maintenant accès à de nombreuses librairies, ce qui n’était pas le cas lorsque j’ai commencé à fréquenter BiblioChose. Mais j’ai aussi moins de temps pour lire alors, même si je continue à acheter plus de livres que je n’en lis, j’ai tendance à acheter surtout des poches.
Et puis depuis quelques années, j’ai une liseuse électronique (enfin, elle est en train de me lâcher, il va falloir que je songe à la remplacer…). Bien pratique pour les voyages, elle est aussi allergique que moi aux DRM. J’y lis donc exclusivement des livres libres de droit, glanés sur les excellents sites d’Ebooks libres et gratuits, de la Bibliothèque électronique du Québec et d’autres encore.
Je me suis aussi lancée dans le livre audio, parfait pour moi qui utilise beaucoup les transports en commun mais qui suis incapable de lire sans tomber malade au bout de trois pages. Ce sont surtout dans les créations radiophoniques de France Culture que je pioche ces lectures. Cela me permet de me diversifier, notamment de découvrir des polars, un genre que je ne fréquentais pour ainsi dire jamais avant cela. Ce sont par contre souvent des adaptations que j’écoute. Elles seront indiquées comme telles dans cette liste de lecture et, si elles prennent trop de place, peut-être m’abstiendrai-je dans le futur de les inclure dans ma liste de lecture.

Ah, et si ce n’est pas déjà clair, je suis bavarde. Et je me suis aperçue qu’au fil des ans mes notes de lecture ont eu tendance à s’allonger. Même si cette liste de lecture est d’abord pour satisfaire un plaisir très personnel,j’espère cependant qu’elle pourra intéresser d’autres personnes et que, même si j’écris parfois beaucoup, je ne lasserai pas trop.

C’est donc parti pour une liste 2019, dans laquelle je mettrai petit à petit les lectures réalisées depuis le début de l’année. On verra où cela me mène et nous mène.
Et bien sûr, bon vagabondage livresque à tous les visiteurs de passage !

2raton-liseur
Modifié : Mar 3, 2019, 9:32 am

1. Le Procès du Maréchal Pétain : compte-rendu sténographique (extraits) - Maurice Garçon (dir.) ; extraits choisis par Dominique Missika, lecture collective
Quelle mouche m’a piquée pour que je choisisse, pour ma première lecture audio de l’année un tel sujet. (Des considérations purement pratiques, je l’avoue : j’ai décidé de faire un sort aux enregistrements audio que je stocke depuis un bon moment et là, sachant que j’aurais quelques trajets en bus devant moi et que je pourrais écouter celui-là dans un temps acceptable, c’était l’occasion de me lancer).
Je ne peux pas dire que j’ai aimé. Ce n’est pas, je suppose, le genre de lecture pour lequel on peut dire que l’on a eu un coup de cœur, que l’on a adoré… Mais cette lecture m’a passionnée. Ce n’est qu’un extrait, environ cinq heures d’écoute, peut-être trois-cents ou cinq-cents pages sur les mille et quelques que comptent les volumes publiés sous la direction de Maurice Garçon. C’est à la fois trop (les débats, il faut bien l’avouer, tournent en rond et se répètent beaucoup) et trop peu (on voudrait en savoir plus, aller plus loin, creuser encore un peu une idée qui paraît prometteuse, une analyse différente, une anecdote qui permettrait enfin de comprendre). Ce n’est qu’un extrait, donc, mais jamais je n’aurais eu l’idée de lire le texte intégral, ni même de le chercher. Et pour cela, c’est une passionnante découverte que ce texte.
Et je me retrouve, à la fin de cette lecture à presque avoir envie d’écrire une dissertation tant les idées foisonnent, des idées bien difficiles à organiser dans une simple note de lecture. Alors je me lance…

1. Une page d’histoire qu’il est bon de connaître
Le procès de Pétain, c’est une page de l’histoire que l’on tourne souvent un peu trop rapidement, celle de l’immédiate après-guerre, lorsque tout était à reconstruire : l’image de la France, ses institutions, la confiance d’un peuple, l’unité d’une nation. Le procès de Pétain s’inscrit pleinement dans ce contexte, et c’est bien ce que montre ce document, puisque le procès est indissociable des événements récents et en cours en France. Tous les participants ont le sentiment que ce procès n’est pas seulement un acte de la Justice, mais que c’est une étape dans l’histoire du pays.
Dans ce contexte, la façon dont se tient le procès est vraiment intéressante, et je ne me souviens de rien qui mentionne cela dans mes cours d’histoire, à part la logique condamnation finale et la grande clémence qui commue la peine de mort en réclusion à perpétuité. Je ne veux pas ici minimiser les exactions du régime de Vichy, ni le rôle pour le moins contestable du maréchal pendant toute cette période, mais se pencher sur ce procès, c’est s’interroger tout autant sur l’historiographie (pour ne pas dire notre roman national) que sur ce qu’est la justice. En effet, étrange cette composition du jury chargé de rendre un verdict : douze parlementaires parmi ceux qui n’ont pas voté les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940 et douze parmi des résistants notoires. Pas un jury qui représente la France dans la diversité de ses attitudes pendant ces années sombres, mais un jury qui représente uniquement la France qui a fait un autre choix que celui de Pétain. Représentent-ils véritablement la France, ou bien l’image que la France veut se donner d’elle-même ? Comment penser que ce jury sera neutre de toute pensée politique ? Et puis ces juges, qui eux ont tous prêtés le serment de fidélité au maréchal. Pas tout à fait neutre non plus cela… N’ont-ils pas, eux, au contraire des jurés qui n’ont rien à prouver, des décisions antérieures à se faire pardonner, une certaine fermeté à appliquer pour sceller leurs allégeances nouvelles ?
Toutes ces dispositions, toute cette mise en scène sont donc autant d’interrogations pour celui qui, comme moi, découvre tout cela à travers ce récit. Chacun pourra se faire sa propre opinion, réfléchir à ce que ces choix disent de cette époque. Je n’ai pour ma part pas fini de ruminer tout cela pour me faire

2. Qu’est-ce que rendre la justice ?
Mais de façon plus générale, ce procès pose la question de ce qui est jugé. Est-ce un homme ou est-ce sa politique ? En quoi politique, actes et convictions sont-elles confondues ou disjointes ? Le président de la Haute Cour le dit lui-même à un moment, « nous sommes ici pour juger une politique. » Oui, vraiment ? Et comment juge-t-on une politique sans que nos propres valeurs et idéologies interfèrent ? Ne doit-on donc pas juger des actes ?
Mais là aussi est le problème, cette fois véritablement historique. Les actes de Pétain étaient-ils des actes de collaboration ou non, c’est autour de cela que tourne une grande partie du procès : Pétain a-t-il cru à la défaite de la France et a-t-il pactisé avec l’ennemi, ou bien a-t-il endossé ce rôle pour atténuer les souffrances de l’occupation et même, permettre à de Gaulle de jouer un rôle avec ne sera que l’endroit d’une seule et même médaille dont Pétain serait l’envers. C’est en tout cas un des axes principaux de la défense, avec des paroles écœurantes pour dire que même les Juifs devraient être contents de leur sort parce qu’après tout ils ont eu quelques années de répit en zone libre, et qu’après tout les déportations ont été moindres que dans d’autres pays. Donc oui, même le Juif déporté ne peut pas en vouloir à Pétain, il devrait même lui être reconnaissant. Etrange façon de mettre en balance le malheur des uns et le soulagement des autres, je me demande comment ce raisonnement, s’il a été médiatisé à l’époque, a pu être perçu…

3. Comment lire le passé et faire de l’histoire ?
Une grande partie des débats tourne autour de la question de l’armistice ou de la capitulation en 1940. Les échanges particulièrement vifs entre le général Weygand et Paul Reynaud sont très intéressants. Paul Reynaud, alors président du conseil, démissionne en juin 1940, laissant la voie libre à Pétain et à l’armistice. Etait-ce courage de démissionner pour protester ou était-ce lâcheté, comme le soutient Weygand, de fuir ses responsabilités à un moment tragique et de laisser d’autres les assumer à sa place ? Qu’est-ce que le courage dans ces moments difficiles ? Rester et assumer tout, ou bien partir pour ne pas se salir les mains mais être aussi alors dans l’inaction ? Weygand sera ministre de la guerre de Pétain le temps de préparer et faire signer l’armistice, puis il prendra ses distances, sera même arrêté par la Gestapo, mais sera un défenseur indéfectible de la mémoire du maréchal Pétain dans les décennies suivant la Seconde guerre mondiale.
Leur débat, et plus généralement ce procès, pose aussi la question de savoir comment juger, autant moralement que juridiquement, ceux qui se sont trompés ? Ceux qui ont cru, de bonne foi, que tout espoir était perdu en 1940, et qu’il fallait donc s’accommoder de l’Occupation ? Est-ce un crime que de ne pas avoir de préscience historique et politique ? Est-ce un crime de la part de Pétain, est-ce un crime de la part de ceux qui l’ont cru ?
Car finalement, au terme de ce procès, j’ai l’impression que ce qui est le plus reproché à Pétain, c’est la discordance entre son rôle dans la Première guerre mondiale et son rôle dans la suivante. Parce qu’il était auréolé d’une gloire impossible à mettre en cause, il a été cru lorsqu’il a dit qu’il fallait accepter la défaite, la grande majorité des Français l’a cru et l’a suivi. L’idée sous-jacente est que s’il avait laissé ce rôle à un homme politique plus obscur, le peuple français aurait été moins aveuglé, il y aurait eu plus de résistants, et plus tôt. Facilité de réécrire l’histoire, facilité de mettre sur le dos d’un homme les lâchetés ou les indécisions des autres, et puis tout cela va bien avec la fable du moment de la France résistante. Mais c’est intéressant de voir que ce que l’on reproche à Pétain, plus que d’avoir baissé les bras en 1940, c’est d’avoir été le grand vainqueur de Verdun, ou peut-être plus exactement d’avoir en quelque sorte trainé le souvenir de Verdun dans la boue en devenant ce qu’il a été pendant la collaboration.
Et à côté de cela, la défense fait de lui un héros tragique, pris dans les rais inextricables du destin. Il a fait la promesse de ne pas abandonner les Français. Pris dans ce serment, fidèle à une certaine idée de l’honneur, il ne pourra abandonner son poste et son peuple, immolera sa personne et même sa gloire présente et posthume, afin de respecter sa parole. Très beau, très grandiose, tragique, mais un peu pathétique aussi. Mais la défense fait ce qu’elle peut, c’est comme toujours, il est plus facile de savoir où est le bien et où est le mal une fois que les vainqueurs ont écrit l’histoire.

En guise de conclusion
Action versus opinion, préméditation versus bonne foi. Beaucoup de questions qui restent en suspens, un autre regard sur la période et sur l’homme, sur les responsabilités des uns et des autres. La nation, ou la façon plutôt partiale dont elle est représentée ici a tranché, d’une façon étrange d’ailleurs, en demandant dans une même phrase, dans un même souffle, la peine capitale et la clémence. Pétain reste une énigme, un homme auréolé de la gloire de Verdun et flétri à jamais par la poignée de main de Montoire. Une mémoire écartelée entre deux extrêmes, qui montre qu’être du bon côté n’est jamais une évidence, que c’est une réflexion au quotidien, une réflexion très personnelle.
Une lecture qui m’a passionnée donc, la longueur de cette note de lecture en est le signe. Une lecture à laquelle je reviendrai peut-être même parce que je n’ai pas fini de tirer le fil des mille réflexions qu’elle suscite.

3raton-liseur
Modifié : Mar 3, 2019, 9:32 am

2. Frappe-toi le cœur - Amélie Nothomb ; adaptation de Victoria Kaario, lecture de Marina Moncade
Je ne connais pas Amélie Nothomb l’autrice. Je connais le personnage public, les chapeaux, les vêtements noirs, ses habitudes d’écriture, sa publication annuelle et tout ce personnage qu’elle s’est créé. Mais justement, au début du phénomène Amélie Nothomb, tout cet artifice m’a plutôt éloignée de l’auteur.
Aujourd’hui, au détour d’un podcast de France Culture, j’ai l’occasion de me rendre compte par moi-même, et comme je ne suis pas contre le fait de parfois changer d’avis, eh bien pourquoi pas. Certes, ce n’est pas le plus fameux de ses livres. Il a été publié en 2017 et je dois avouer que je n’en avais jamais entendu parler avant aujourd’hui. Mais soit, pourquoi pas.

Ma réaction ? Un grand pfff… Tout ça pour ça ? Le livre explore un sujet intéressant, celui des relations mère-fille, ce qu’est être une mauvaise mère et les traces que cela laisse dans une personnalité, une existence. Mais le livre me paraît survoler tout cela à travers une histoire qui finalement prend trop de place et étouffe le propos. Un peu comme le personnage public d’Amélie Nothomb cache à nos yeux la véritable personne qu’elle est. Finalement, son livre est à l’image de sa personne. Et son personnage ne m’intéressant pas, le livre ne m’intéresse pas non plus. Vite lu, vite oublié.

4Dilara86
Fév 21, 2019, 8:18 am

Je suis très contente de retrouver tes notes de lecture en 2019 ! Je ne savais pas que les minutes du procès de Pétain étaient disponibles. Très intéressant...

Ton avis sur Amélie Nothomb rejoint le mien. Je n'ai jamais compris son attrait. J'ai lu (et pas aimé) Le sabotage amoureux, et plus récemment Péplum, que j'ai trouvé bien vide.

5raton-liseur
Fév 24, 2019, 4:04 am

>4 Dilara86: Bonjour Dilara! C'est chouette de voir qu'il y a encore un peu de passage dans ce groupe! J'espère que tu seras la première d'une longue série. Et si je peux faire des émules et que d'autres se mettent ou se remettent à faire leur liste de lecture, ça me plairait bien de pouvoir fureter à nouveau dans les lectures des autres membres du groupe.

Pour Pétain, j'ai fait une lecture audio d'extraits, je pense que pour lire l'intégralité du procès, il faut être bien accroché, mais pourquoi pas. En tout cas, les 12 heures de lecture que j'ai faites étaient vraiment intéressantes et je suis passée par de nombreux états d'esprit différents.

Et Amélie Nothomb, c'était une première et cela risque bien d'être une dernière. Tu n'es pas la première à réagir ainsi à ma note de lecture à charge.

A bientôt avec d'autres lectures!

6raton-liseur
Modifié : Mar 4, 2019, 12:41 pm

3. Beth Saïda - Michel Sidoroff ; lecture de Nathalie Boutefeu et Flora Brunier
Un curieux fourre-tout, avec de la politique locale, Rimbaud, de la lexicologie autour de l’eau… Plein de chose qui n’ont guère de rapport entre elles, sinon l’hommage que Michel Sidoroff veut rendre à un professeur trop tôt disparu, Henri Cottez.
Cela donne quelque chose d’un peu brouillon, mais dans lequel je me suis laissée embarquer, bon public que je suis. Et c’est une tranche de vie, où l’on apprend même quelques petites choses sur un poème presque inconnu de Rimbaud, un moment qui ressemble au rire que les personnages ont toujours au coin des lèvres. Cela respire une joie de vivre sans complexe, qui est communicative et m’a fait passé un bon moment avec ce scénario radiophonique, comme le qualifie lui-même l’auteur. A déguster un jour de bonne humeur ou un jour de vague à l’âme.

7raton-liseur
Modifié : Mar 4, 2019, 12:46 pm

4. Le Noël d’Hercule Poirot - Agatha Christie, traduction de Françoise Bouillot ; adaptation de Pierre Senges, lecture d’Olivier Claverie
Besoin d’une lecture simple et agréable après une ou deux semaines éprouvantes. Ce n’est plus de saison, mais j’ai jeté mon dévolu sur ce livre. Dès les premières phrases, je me suis rendue compte que je l’avais déjà lu. Vérification faite, c’est bien le cas, quelque part en 2014. Le titre ne me rappelait rien, il faut dire que Noël n’est vraiment qu’un prétexte dans cette histoire, mais les éléments de l’histoire me sont revenus assez vite.
J’ai tout de même continué la lecture audio, c’est ce que j’avais envie d’écouter ce soir. Et je me suis plus attardée sur les détails de ce meurtre sanglant à souhait, découvrant par la suite que c’est ce qu’Agatha Christie avait voulu pour cette enquête, en donner pour leur argent aux amateurs du genre. Et cette référence constante à Macbeth, « Qui aurait cru que le vieil homme eût en lui tant de sang ? » m’a bien amusée, de même que la mise en abyme quand l’officier de police s’étonne que ce scénario de chambre close n’existe que dans les romans. Et puis on peut compter sur Agatha Christie pour nous surprendre, parce que tout de même, imaginer que le meurtrier est… (Vous croyiez que j’allais le dire ? Non, tout de même, ce serait vraiment encore plus méchant que tuer ce vieux Simon Laurence…).
Une œuvre dont je n’avais pas perçu toute l’ironie et le second degré à ma première lecture, trop obnubilée par ma propre recherche du coupable, et dont la deuxième lecture m’a donc apporté un plaisir différent et bien savoureux, tout ce que je voulais en ce sombre vendredi soir de janvier.

8raton-liseur
Modifié : Mar 4, 2019, 12:52 pm

Comme j'ai commencé cette liste de lecture un peu tard dans l'année, j'ai quelques notes de lecture sous le coude, que je vais distiller au rythme de deux ou trois par semaine. Le livre qui suit me tient vraiment à cœur, cela a été une découverte fortuite, mais c'est un immense respect pour son auteur, Jean Zay, qui m'a envahie au fur et à mesure de cette lecture.
C'était une lecture audio, j'ai depuis acheté le livre en poche. Il n'est pas évident à trouver donc je me suis dépêchée avant qu'il ne devienne complètement introuvable. Je ne le lirai pas tout de suite car je n'ai pas le temps et la disponibilité d'esprit nécessaires à lui consacrer pour l'instant. Mais je sais que je le lirai un jour. Ce sera une lecture exigeante, mais de celles qui réconcilient avec le genre humain et redonnent un espoir dans ce que nous sommes parfois difficile à faire briller.

9raton-liseur
Modifié : Mar 4, 2019, 12:57 pm

5. Souvenirs et solitude - Jean Zay ; adaptation de Benoît Giros, lecture de Benoît Giros et Pierre Baux
Après avoir écouté de larges extraits du procès du maréchal Pétain, et parce que j’avais ce livre audio depuis longtemps aussi dans mes tablettes, j’ai voulu le lire dans la foulée ou presque. Envie d’écouter une parole de l’autre côté, la parole de quelqu’un qui avait fait d’autres choix et ce depuis les premières heures de la défaite, une parole irréprochable, qui me redonnerait un peu de baume au cœur après les insolubles questions qui m’ont assaillies lorsqu’il était question de Pétain.
Je ne sais ce que j’attendais exactement de ce texte, mais je sais que je ne l’y ai pas trouvé. Je pensais probablement qu’il s’agirait d’un manifeste politique, du réquisitoire d’un homme sûr de ses idées et qui se défend contre ses oppresseurs. Souvenirs et solitude n’est pas cela.
C’est un homme qui se regarde en face, un homme que l’on sent doué d’une grande culture et d’une grande habitude de réfléchir, et cet homme n’a plus que lui comme objet d’étude. Alors il s’observe, il inspecte comment son esprit et son moral réagissent à cet enfermement et cette solitude, ses pensées, ses méditations, qui lui font voir la prison sous un autre jour, mais aussi son humanité.
C’est aussi un homme qui éblouit par son incroyable optimisme, par sa capacité à ne pas se laisser abattre. Il sait profiter de tous les instants, ce n’est même pas une histoire de verre à moitié vide ou à moitié plein, c’est la capacité à s’extasier devant une minuscule goutte d’eau. Un gardien l’appelle pour parler avec lui alors qu’il fume une cigarette sur le pas de la porte, Jean Zay en profite pour se repaître des images de la rue qui s’offre quelques instants à lui, pour s’immerger autant qu’il le peut et bien que très indirectement dans la vie qui continue au-dehors. Le gardien oublie de fermer la porte qui donne sur sa petite cour, avec ses murs de cinq mètres de haut, il s’y glisse la nuit pour profiter d’un ciel étoilé qu’il n’a pas vu depuis seize mois. Et il fait son miel de ces instants, des trois plantes qu’il fait pousser à force de volonté dans cette même cour (et plus il faut de volonté, mieux c’est, car cela occupe, remplit le temps, condition sine qua non pour ne pas se laisser engloutir.
C’est un texte d’une grande beauté par ce qu’il révèle de la volonté d’un homme qui se sait emprisonné pour de mauvaises raisons (ses idées, sa judéité) mais que rien ne fléchira, et ce jusqu’au bout du bout. Le style est très classique, sans fioriture, agréable à lire de par son ton posé, immensément calme et serein. La grandeur est ici dans l’homme, dans ce qu’il est. Point n’est besoin de considérations politiques ou philosophiques, c’est un témoignage sur un épisode douloureux de la vie d’un homme, un témoignage fait en direct, mais avec un recul qui étonne.
Ce livre est pour tous, pour tous ceux qui aiment lire de belles phrases et de beaux textes, pour tous ceux qui aiment retremper leur foi en l’humanité dans une force de caractère qui force le respect.
Monsieur Jean Zay, je ne vous connaissais que de nom, et encore depuis peu, lorsqu’il m’a fallu me documenter sur l’histoire récente du ministère dont je dépends pour passer ce fameux concours. Monsieur, je ne vous connaissais pas et je ne suis pas sûre que ces écrits du fond de votre prison étaient destinés à être publiés et à me parvenir. Mais permettez-moi de vous dire toute l’admiration que j’ai pour vous à l’issue de cette lecture. Permettez-moi de vous dire merci. Merci non d’avoir souffert, il eut mieux valu que cela vous soit épargné, mais merci d’avoir souffert comme vous l’avez fait, avec une immense grandeur d’âme et une capacité à s’enthousiasmer qui me donne l’envie de regarder autour de moi avec des yeux neufs, Merci, et j’espère que beaucoup d’autres lecteurs ouvriront ces pages pour découvrir l’homme que vous avez été.

10lilisin
Fév 27, 2019, 3:41 am

Si je peut me permettre d'ecrire en anglais...

>3 raton-liseur:, >4 Dilara86:

Amelie Nothomb is an author who came out strong and now publishes a book a year since her publisher knows it will get money. And her best books, in my opinion at least, are her semi-autobiographical books about when she was a child in Japan. Thus to read Nothomb I would recommend the following only out of her works:

Hygiene de L'Assassin
Stupeur Et Tremblements
Le Sabotage amoureux (but only to be read after you've read Stupeur to get an insight on her views on Japan)

The other books are to be read only if you manage to become a fan of her works and even then I admit us once fans are all quite tired and wish she would go back to quality over quantity and actually refine her ideas.

11raton-liseur
Modifié : Fév 27, 2019, 4:17 am

>10 lilisin: Et je me permettrai de répondre en français dans ce groupe. J'ai effectivement déjà entendu ce genre d'analyse sur Amélie Nothomb, mais je dois avouer que je ne suis pas certaine de donner une seconde chance à ses livres, en tout cas pas dans un futur relativement proche.
Lorsque les livres que vous citez sont sortis, je dois avouer que le personnage public m'a fait m'éloigner de ses livres. Elle continue avec ses extravagances, mais j'ai entendu une interview d'elle récemment (je ne sais plus du tout où par contre), dans laquelle elle expliquait pourquoi elle se créait un personnage, les faiblesses que cela cachait, et j'ai trouvé cela plutôt émouvant. Mais pas assez pour me faire passer au-delà de la déception de ce livre pour essayer autre chose. Mais un jour, peut-être.
Et quand on pense qu'elle écrit encore plus de bouquins que ce qu'elle publie... Soit son éditeur fait mal le tri, soit le reste ne vaut vraiment pas grand chose... Allez, j'arrête là ma mauvaise langue...

12Dilara86
Mar 1, 2019, 4:42 am

>9 raton-liseur: Bon, tu m'as donné envie de lire Jean Zay. Bizarrement, quand j'ai lu ce nom, j'étais persuadée qu'il s'agissait d'un journaliste de France Culture, mais vu les dates et la biographie, ça n'est clairement pas le cas...

13raton-liseur
Mar 1, 2019, 5:50 am

>12 Dilara86: Et j'en suis ravie!
Jean Zay est le ministre de l'éducation nationale du Front Populaire. Ce fut une carrière politique brève mais il a laissé une marque importante dans l'organisation de l'éducation nationale, et il a aussi fondé le CNRS par exemple. Au titre de la culture, il a aussi été à l'origine du Festival de Cannes.

On en a entendu parler quand ses cendres ont été transférées au Panthéon pendant la présidence de François Hollande.
Je ne le connais que par ce livre, mais je pense qu'on peut dire que c'est un grand monsieur.

14raton-liseur
Mar 7, 2019, 3:49 pm

>12 Dilara86: Je crois que j'ai fini par trouvé avec qui tu confondais: Jean-Mathieu Zahnd, réalisateur de nombreuses émissions de France Culture? Ta remarque me trottait dans la tête...

15raton-liseur
Modifié : Mar 9, 2019, 9:31 am

6. Blue Sheet - Norimizu Ameya, traduction de Corinne Atlan ; lecture collective
J’avais commencé cette lecture audio, et arrêté immédiatement. Le théâtre allégorique, ce n’est pas « mon truc » et je ne voulais pas écouter quelque chose pour en faire une note de lecture négative ensuite tout ça parce que je n’avais rien compris. Puis j’ai lu la présentation, qui explique que c’est une pièce écrite par un auteur aponais contemporain à partir d’échanges avec des lycéens de Fukushima (d’après la catastrophe bien sûr, qui s’intéressait à Fukushima avant ?) et créée par le club de théâtre de ce même lycée, et j’ai décidé de tout de même tenter l’aventure.
Cela reste une pièce très cérébrale où tout n’est que symbole, et effectivement, je n’ai probablement pas tout compris. Mais c’est aussi une pièce qui a un véritable pouvoir d’évocation. Les affres de l’adolescence, dans toute leur trivialité et toute leur exceptionnalité, l’adolescent à la fois unique et caractéristique de tous les adolescents.
Mais quand en plus l’entrée dans l’adolescence est marquée par une catastrophe naturelle et humaine de l’ampleur de celle de Fukushima, ampleur liée au bilan humain, au bilan économique, mais aussi ampleur liée à la remise en cause du modèle de société qui est le nôtre, les questions de l’adolescence prennent une autre dimension. Que veux-je faire de ma vie, quel sens lui donner ? Cette question même a-t-elle un sens d’ailleurs ? Et la mort ? Que serait le monde sans moi ?
Des questions universelles, mais que le contexte rend plus prégnantes, plus aigues. Et pour dire cela, des scénettes qui se succèdent, chacune illustrant une facette de la question, une approche d’un adolescent. Et le résultat final est une pièce qui met mal à l’aise, qui interroge et laisse son spectateur dans un no man’s land recouvert de bâches bleues, dans un état de malaise dont il est difficile de se sortir.
Une pièce difficile, tant dans sa construction que dans les sensations qu’elle fait naitre chez le lecteur ou le spectateur. Mais le sujet ne pouvait générer que des émotions de cet ordre. Une pièce difficile, à lire quand on a le cœur et le moral bien accrochés, mais qui est intéressante pour ce qu’elle dit ou ce qu’elle laisse entrevoir. Je suis contente de lui avoir donné une seconde chance et de l’avoir lue jusqu’au bout. Ce n’est pas mon type de lecture habituelle, mais j’ai pu l’apprécier tant l’atmosphère est prenante. Je ne lirai pas ce genre de chose tous les jours, ce serait une lecture à ne plus voir le soleil qui brille.

16raton-liseur
Mar 9, 2019, 9:52 am

7. Les Chants d’Anjouan - Jean-Marc Turine ; lecture d’Anouk Grinberg
Un texte un peu fourre-tout, revendication politique, clichés sur la beauté des pays noirs, clichés sur la pauvreté des pays noirs, clichés sur les merveilleuses amitiés au-delà des couleurs. Tout cela assemblé sans queue ni tête pour donner un ensemble assez informe, dont on ne sait trop comment extraire le propos de l’auteur. Je me suis plutôt ennuyée à l’énonciation de tous ces poncifs. J’ai tout de même appris que le statut de Mayotte avait valu quelques remontrances à la France de la part de l’ONU. Fait intéressant et que j’ignorais totalement, mais cela ne rachète pas ce texte, à la poésie revendiquée duquel je n’ai pas été sensible.

17raton-liseur
Mar 9, 2019, 9:53 am

8. Je ne sais pas parler - Franz Bartelt ; lecture de Stéphane Valensi
Mouais mouais mouais… Un auteur aussi discret que son personnage, en tout cas qui m’était tout à fait inconnu. Et je le découvre ici avec un drôle de texte, en tout cas un texte dont le point de départ est assez étrange : un homme est invité à la radio et n’arrive pas à refuser, alors que c’est un vrai phobique de la parole dite. Le texte nous fait d’abord partager ses affres, la montée de l’angoisse. Puis petit à petit, sans y toucher, on commence à entrevoir de possibles explications à cet état de fait, rendant le personnage plus humain, plus fragile, mais je n’ai pas su rentrer dans cette histoire, m’attacher d’une façon ou d’une autre au personnage. Je suis restée sur le pas de la porte pendant toute la lecture, et c’est un livre que je referme sans émotion aucune.

18raton-liseur
Modifié : Mar 9, 2019, 9:54 am

9. Les Liaisons dangereuses - Pierre Choderlos de Laclos ; adaptation de Lise Charles, lecture de Sophie Daull et Gabriel Dufay
Je vois bien dans tout cela les méchants punis ; mais je n’y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes.
(Lettre CLXXIII, “Madame de Volanges à Madame de Rosemonde”).
Les Liaisons dangereuses, voilà un titre que j’ai toujours su sulfureux, et je n’avais jamais osé m’en approcher. Il a fallu une adaptation radiophonique de France Culture pour que je m’y décide enfin, et que le monument littéraire prenne le pas sur la réputation qui me faisait rougir avant même de l’ouvrir. Et ce fut une lecture finalement assez plaisante, et pas si dérangeante que cela pour la prude que je suis…
Le propos est connu et, s’il n’est pas si original que cela à l’époque, il a depuis été battu et rebattu, ce n’est donc pas là qu’est l’intérêt de cette lecture aujourd’hui. Car le libertinage revendiqué par les personnages n’est que le révélateur d’une aristocratie décadente et à bout de souffle. Le libertinage, ce sont aussi les idées nouvelles, qui remettent en cause l’ordre établi et bien trop rigide. Les deux personnages principaux, les célèbres Valmont et Merteuil, peuvent paraître bien antipathiques dans ce roman, et certes leurs actions le sont. Mais ils apparaissent au fil des lettres qu’ils écrivent bien plus complexes qu’au premier abord, en particulier la marquise de Merteuil devient presque attachante lorsqu’elle explique, dans une de ses lettres, à quel point il lui a fallu de la volonté pour se faire elle-même, pour s’éduquer, pour se former, puis pour ériger tout un système de vie qui lui permette une certaine liberté, à elle, une femme, dont le seul bien reconnu est sa fragile réputation.
Valmont, lui, m’a moins intéressée, plus caricatural, Don Juan dans toute sa splendeur, d’autant plus intéressé que la proie paraît inaccessible. Je dois même avouer que je ne suis pas vraiment d’accord avec la marquise de Merteuil, je suis loin d’être sûre qu’il soit effectivement tombé amoureux de la Présidente de Tourvel. J’y vois surtout un effet de la jalousie de la première, de son orgueil blessé, mais je ne vois pas là de véritable amour. Peut-être suis-je trop terre à terre.

On sent les limites de l’exercice quand la morale est finalement sauve à la fin, on sent ce que Laclos a pu transgresser et ce qu’il a su devoir respecter, dans une époque pas encore tout à fait mûre pour trop de subversion. Mais c’est un livre d’une incroyable richesse, tant pour son intrigue que pour l’analyse des personnages et de la société dans laquelle ils évoluent. Choderlos de Laclos est l’homme d’un seul livre, était-il même destiné à être un homme de livre, rien n’est moins sûr. Il a utilisé un genre assez en vogue à l’époque, celui du roman épistolaire, moyen facile pour permettre les changements de point de vue et pour permettre l’omniscience sans avoir recours à un narrateur. Tout cela date beaucoup le roman dans sa forme, mais le fond reste tout aussi passionnant.
En définitive, un roman que je suis contente d’avoir lu, pas parce qu’il fait date dans l’histoire de notre littérature, mais parce que c’est un bon roman, qui accroche son lecteur tout autant qu’il lui donne à réfléchir.

19raton-liseur
Modifié : Mar 24, 2019, 7:41 am

10. Le Garçon - Marcus Malte

Regarde, fiston, parce qu’un jour tu ne verras plus. Ecoute, parce que tu n’entendras plus. Sens, touche, goûte, étreins, respire. Qu’au moins tu puisses affirmer, le moment venu, que cette vie qu’on te retire, tu l’as vécue.
(p. 172, Chapitre 11, Partie 2, “1909-1910”).

Les habitudes sont tenaces mais on n’est pas obligé de vivre, on peut se contenter d’être en vie.
(p. 508, Chapitre 10, Partie 5, “1916-1938”).
C’est en empruntant des chemins de traverse que j’ai découvert Marcus Malte. Avec des romans radiophoniques qu’il écrit pour France Culture par exemple, puis avec une nouvelle au titre énigmatique, Mon frère est parti ce matin. Je me suis dit qu’avec un style comme cela, il pourrait m’emmener n’importe où, et j’ai fini par me laisser tenter par son dernier roman, pour lequel j’ai même eu le droit à une dédicace à la dernière Rue des Livres de Rennes. Je m’apprêtais donc à me régaler, cette fois sur le long court.
Mais comme le laisse deviner cette introduction, quel pensum… L’écriture est toujours maitrisée, mais cette fois j’ai trouvé l’exercice plutôt oiseux, je me suis demandée pendant tout le livre où l’auteur voulait m’emmener, et je n’ai pas la réponse. Beaucoup de trouvailles, de très beaux passages, mais aussi des passages qui traînent en longueur et que j’aurais bien sauté si je n’avais continué à espérer mieux de ce roman.
En refermant ce livre, et en me disant qu’enfin je vais pouvoir passer à autre chose, je m’aperçois, et cela éclaire certains de mes avis très critiques sur d’autres livres, que j’ai la dent dure sur les livres pour lesquels, une fois que je les ai refermés, je me demande pourquoi l’auteur les a écrits. On peut écrire un livre pour défendre une thèse, pour essayer de comprendre quelque chose, mais aussi pour une atmosphère, pour le bonheur, pour la poésie… On peut avoir plein de bonnes raisons (qu’après j’apprécie plus ou moins, mais qu’au moins je peux respecter). Ici, je ne comprends pas pourquoi Marcus Malte s’est donné la peine d’écrire ces plus de cinq-cents pages, et je ressors de cette lecture écœurée d’un trop plein, et en même temps, perdue seule au bord d’une route que je comptais parcourir en compagnie d’un auteur et d’un livre, mais qui m’ont posé un lapin.

Je me suis demandé si ces différents épisodes dans la vie du garçon étaient autant de marches à gravir vers l’humanité, puis de retour vers l’animalité. On aurait le groupe, puis la parole, puis l’amour, puis la guerre, qui est finalement le summum de l’humanité, pour après repartir peu ou prou dans l’autre sens et se dépouiller peu à peu de tous ces oripeaux de l’humain qui sont autant de déguisement. Ai-je trop cherché, trop interprété, je ne sais pas.
Et malgré quelques belles pages dans la solitude, puis dans la guerre (je passe le passage qui se veut érotique et auquel je n’ai pas réussi à croire : Emma et Felix, est-ce vraiment réaliste ? Je n’arrive pas à y croire une seule seconde, et c’est là que Marcus Malte m’a définitivement perdue, le reste n’étant plus crédible). Pourtant, les descriptions de la guerre ne sont pas inintéressantes, pas plus que les pages sur le stoïcisme dont fait preuve le garçon lorsqu’il arrive à Cayenne. Mais je n’en pouvais plus, je criais grâce et comptais et recomptais les pages qui me restaient à lire.
Tant pis, je garderai peut-être Marcus Malte pour les formats courts, dans lesquels je le trouve excellent et avec lesquels il m’embarque dans une histoire sans problème, je chercherai peut-être aussi à découvrir Marcus Malte auteur jeunesse, mais je ne retenterai pas de sitôt Marcus Malte auteur de roman.

20raton-liseur
Mar 13, 2019, 6:40 am

11. Des Jours et des nuits à Chartres - Henning Mankell, traduction de Terje Sinding ; lecture d’Aurélie Nuzillard
Avec mes appareils, j'ai fixé une souffrance inconcevable, un courage inconcevable, une lâcheté inconcevable. J'ai fixé ce qu'est réellement la guerre : quelque chose d'inconcevable.
C’est la deuxième fois que je rencontre Henning Mankell au gré de mes lectures. Ce grand nom de la littérature noire me donne envie de le découvrir, bien que je ne sois pas adepte de ce genre, et à chaque fois, je me retrouve avec un livre qui n’a pas grand-chose d’un polar. On sait moins en effet qu’Henning Mankell est aussi un auteur de théâtre, et pas seulement un auteur si j’en crois sa notice biographique sur Wikipédia. Et c’est en effet avec une pièce de théâtre que je le retrouve aujourd’hui. Mais elle est noire cette pièce de théâtre. Pas de meurtre, pas d’enquête, mais beaucoup de sombre, de pas beau à voir.
C’est une photographie qui est ici le point de départ de l’écriture de Mankell, une photographie prise à Chartres le 16 août 1944 par le célèbre Robert Capa, et publiée en une du Life Magazine un mois plus tard. On y voit une femme, tondue, un enfant dans les bras, remonter une rue entourée de policiers, alors que sur les trottoirs, une foule narquoise et ouvertement moqueuse la regarde passer. C’est une célèbre photo célèbre, bien que pas particulièrement bonne ni particulièrement explicite, mais c’est une photo qui a le mérite d’exister, témoignage d’une période difficile de l’histoire française, de l’histoire de toutes les guerres probablement, celle où, comme le dit un des personnages, on règle ses comptes et on ne sait pas quelle est la part de la vengeance, de la méchanceté et du deuil.
De cet épisode, Mankell a conservé le nom de la femme, Simone, le lieu, petite ville de province, l’histoire d’amour et l’enfant qui en nait. Il a inventé tout le reste et, d’après ce que j’ai pu lire, à rendu son personnage beaucoup plus humain et innocent qu’il ne l’était peut-être dans la réalité. Mais les libertés qu’il a prises avec la réalité rendent sa pièce de théâtre encore plus forte, pleine de questions auxquelles il est difficile de répondre.
Qu’est-ce qui fait la trahison, qu’est-ce qui fait la collaboration ? Peut-on mélanger sentiments et politique, sentiments et guerre ? Simone est-elle innocente, coupable, mais coupable de quoi alors, innocente jusqu’à quel point ? Peut-on être aveugle à la situation qui nous entoure, dire que ça ne nous concerne pas, qu’on n’y peut rien ? Et peut-on se venger de ses souffrances sur quelqu’un d’autre ? Ou pire, se venge-t-on parfois de ses propres lâchetés sur un bouc émissaire facile à trouver et à immoler ?
Mêlant à toutes ces considérations une réflexion sur la photographie et ce qu’elle véhicule, Mankell écrit une pièce de théâtre très riche, qui se déploie selon de multiples axes sans jamais être brouillon. On sent là la maitrise d’un homme de théâtre confirmé, et cela me donne envie de voir du Mankell sur scène, pour de vrai. Cela doit prendre à la gorge et laisser un peu groggy, mais parfois c’est nécessaire pour se sentir vivant et un peu plus humain.

21raton-liseur
Modifié : Juin 16, 2019, 10:25 am

12. Le Mouron rouge, tome 2 : Le Serment - Emmuska Orczy ; traduction de Charlotte Desroyses et Marie-Louise Desroyses


Juillet, août, septembre avaient changé de nom ; on les appelait à présent : messidor, thermidor, fructidor. Mais, sous ces nouvelles appellations, ils continuaient à faire don à la terre des mêmes fleurs et des mêmes fruits. Messidor couvrait toujours les haies d’églantines sauvages, thermidor revêtait les champs dénudés d’un manteau étincelant de coquelicots écarlates, fructidor rougissait les hampes de l’oseille sauvage et mettait la première teinte vermeille sur les joues pâles des pêches mûrissantes.
(p. 41, Chapitre 5, “Une journée dans les bois”).

Qu’à travers cette épreuve, elle eût pu connaître la joie et la douceur d’être aimée, c’était plus qu’elle ne méritait, et le souvenir des baisers brûlants que Delatour avait posés sur sa main était une compensation ineffable pour tout ce qu’elle aurait à souffrir.
(p. 120, Chapitre 18, “A la prison du Luxembourg”).

Au Tribunal, la journée avait été particulièrement remplie. Trente-cinq prévenus tirés des différentes prisons de Paris avaient été jugés en l’espace de sept heures – une moyenne de cinq par heure. Douze minutes pour envoyer une créature humaine pleine de vie et de santé résoudre la grande énigme de l’au-delà !
(p. 154, Chapitre 23, “Au Palais de Justice”).
C’est bien rare, alors puisque c’est le cas je ne m’en prive pas, le deuxième tome de la série du Mouron rouge est encore meilleur que le premier. Après le pensum que je viens de finir de lire, j’avais besoin d’une lecture légère, rafraichissante. Ma liseuse électronique semblant être en sursis, je me suis lancée dans le deuxième tome des aventures du Mouron rouge. Je savais à quoi m’attendre et c’est ce dont j’avais besoin.
Et j’ai eu ce à quoi je m’attendais. Enfin presque. Une histoire de cape et d’épée, saupoudrée d’un bel amour pur et contrarié, tout cela dans le Paris sanglant et révolutionnaire de la Terreur.
Le livre est court, plus court d’après mes souvenirs que le premier tome, et la lecture ne prend que quelques heures, qui passent sans que l’on s’en aperçoive. Dès les premières pages on sait qui va aimer qui, on sait quels tourments ces nobles personnages vont endurer, mais ce n’est pas grave, car le plaisir n’est pas dans le suspens, il est dans l’observation de comment l’inéluctable va arriver.
Une petite déception tout de même, sur la façon dont sont traitées les femmes : dans les deux premiers tomes, c’est par une femme que le malheur arrive. Une femme qui ne réfléchit pas trop aux conséquences de ses actes (une faible femme, quoi), une femme qui se dédouane de toute réflexion parce qu’on lui propose un marché insensé ou parce qu’on lui fait prêter un serment. Non, l’auteur a beau être elle-même une femme, elle n’est pas féministe pour deux sous, bien au contraire, et c’est à mon avis très dommage. J’espère que les prochains tomes, que je ne manquerai pas de lire, je le sais déjà, sortiront de ce schéma bien peu féministe et proposeront des intrigues fonctionnant sur d’autres ressorts.
Mais une fois ce bémol (non négligeable je l’admets) exposé, je dois avouer que j’ai eu de très belles surprises. Le Mouron rouge se fait attendre, mais lorsqu’il paraît, son plan est d’une audace et d’une originalité folle. Grand observateur de l’âme humaine, il en joue avec brio, mais de façon tout à fait réaliste, jouant des mouvements de foule et de leur volatilité pour créer le chaos dont il a besoin pour mener à bien ses projets de fuite. Ce n’est pas très glorieux pour la populace, certes, surtout la populace française puisque c’est bien sûr d’elle qu’il s’agit, mais c’est d’un réalisme plutôt bien vu et assez d’actualité même.
Un livre pour ceux qui aiment le genre. Les romans faciles à lire mais bien tournés, et les romans avec un petit goût suranné qui donne tout son piquant à la lecture. Un bon moment de détente, avec une lecture facile à lire mais qui ne cède pas à la facilité. Un petit plaisir que je ne peux que recommander, mais il faut déjà avoir lu le premier tome pour en profiter réellement.

22Dilara86
Mar 18, 2019, 6:08 am

>14 raton-liseur: C'est possible !

Bonne continuation pour tes lectures, qui semblent très variées ! Je prends toujours plaisir à lire tes notes.

23raton-liseur
Modifié : Mar 20, 2019, 4:30 am

>22 Dilara86: Merci! Je continue à indiquer mes lectures ici en plus de Club Read pour voir s'il est possible de générer un peu de discussion dans la communauté francophone ou si d'autres se remettraient à indiquer leur lecture, comme c'était le cas il y a quelques années.
Guère de succès pour l'instant, je me donne encore quelques mois et si cela ne marche pas, je migrerai définitivement sur Club Read.

24raton-liseur
Modifié : Mar 20, 2019, 4:26 am

13. Quoi que Jean veuille - Bertrand Leclair ; lecture de Jérôme Quintard
Comment la raison peut-elle ne pas basculer quand on reçoit une demande d’amitié facebook d’un ami bien réel lui, mais mort il y a 25 ans ? Prémisse intéressant même si, déjà dépassée, le seul réseau social que je fréquente est celui de cette bibliothèque virtuelle pour lequel j’écris ces quelques lignes…
Une histoire de tous les jours, banale, trop banale, bien trop banale… Il y aurait pu avoir du mystère, il y aurait pu avoir une fin ouverte (C’est un comble que ce soit moi qui plaide pour une fin ouverte, non ?...). Mais rien de tout cela, après trois petits pas du côté du vaudou haïtien, on revient à quelque chose de bien linéaire, bien carré, et au final, sans grand intérêt. J’ai bien failli, même, ne pas finir l’écoute de ce texte. Tant pis.

25raton-liseur
Modifié : Mar 24, 2019, 7:43 am

14. Princesse Sara, cycle 1 (tomes 1 à 4) - Audrey Alwett (scénario) et Nora Moretti (illustrations)
Cette critique se rapporte aux quatre premiers volumes de la série de bande dessinée « Princesse Sara ».
Tome 1 - Pour une mine de diamants
Tome 2 - La Princesse déchue
Tome 3 - Mystérieuses héritières
Tome 4 - Une petite princesse !



Cela fait plusieurs mois que M’ni Raton tourne autour de cette bande dessinée. Elle n’a ni lu le livre (moi non plus, mais ça ne saurait tarder) ni vu le dessin animé qui a bercé mon enfance, mais elle a vu une adaptation cinématographique, très libre d’ailleurs puisqu’elle se passe pendant la Première guerre mondiale qui est postérieure à l’écriture du livre, et plutôt pas mal faite.
Alors, avec « princesse » dans le titre et le style manga et kawaï (un mot que je viens d’apprendre, tiens…), M’ni Raton ne pouvait que vouloir lire cette bande dessinée. C’est chose en cours, maintenant qu’elle est inscrite à la bibliothèque de notre nouveau chez-nous.
Et c’est chose faite pour moi, à la fois attirée par une nouvelle adaptation de cette histoire qui a bercé mon enfance et curieuse de pouvoir en discuter avec M’ni Raton. Et voici mon avis à moi, celui de M’ni Raton n’étant qu’un grand élan d’enthousiasme.
C’est une adaptation très fidèle de l’œuvre me semble-t-il, avec seulement l’origine de la fortune du capitaine Crewe, le père de Sara, qui diffère, puisqu’ici il est l’héritier d’une entreprise de fabrication d’automates, mais pas n’importe quels automates, ce sont de véritables androïdes, qui peuvent comprendre et réagir. Drôle de parti pris pour cette adaptation, je ne vois vraiment pas ce que cette introduction de fantastique apporte à cette mise en image très fidèle du livre, par contre elle la fait passer dans une sorte de légère uchronie qui n’apporte rien à l’histoire ou aux personnages, mais qui crée de la distance entre le lecteur et l’univers dans lequel il se trouve plongé.
J’ai apprécié ma lecture, sans plus donc, mais je n’ai pas non plus boudé mon plaisir, même si les dessins d’inspiration trop manga m’ont peu emballée, mais je suppose que c’est une question de génération. Par contre, maintenant que j’en suis rendue à la fin du tome 4, je me demande vraiment ce que l’auteur prépare pour la suite. L’histoire de Frances Hodgson Burnett est terminée, mais la série n’en est même pas à la moitié. Et, vus les titres, on va aller de plus en plus dans l’uchronie, dans le steampunk, comme je le vois mentionné dans d’autres notes de lecture, c’est vrai que le terme est plus exact. Et je me doute bien aussi qu’il va y avoir une histoire d’amour, ce n’est pas pour rien qu’est, autre entorse avec la version originale, créé le personnage de James dans la bande dessinée, il y a anguille sous roche à mon avis ici…
C’est donc un étrange projet que cette série de bandes dessinées, d’abord très (trop peut-être) fidèle à un livre, puis qui devra inventer une suite, et en plus dans un monde inventé. Je suis curieuse de voir la suite, justement pour me rendre compte de comment cette deuxième partie va être traitée, mais je dois avouer que je suis assez sceptique… Une bande dessinée pour les demoiselles d’aujourd’hui, donc, je suppose, mais probablement pas une lecture que je recommanderais chaudement. Et vraiment, il est temps que j’aille lire l’original…

26raton-liseur
Modifié : Mar 20, 2019, 4:48 am

15. Lettre d’une inconnue - Stefan Zweig, traduction de Mathilde Lefebvre ; lecture de Peggy Martineau
La veine romantique de Stefan Zweig n’est décidément pas ce que je préfère chez cet auteur. Bien sûr, il s’agit d’un autre milieu, d’une autre époque, mais quelle vision de la femme, quelle conception du romantisme qui semble ne trouver sa plénitude que dans l’abnégation et le renoncement.
Certes, l’écriture est belle, comme d’habitude, délicate même. Mais non, je ne peux décidément ni m’identifier ni compatir avec ce genre de personnage.

27raton-liseur
Mar 24, 2019, 5:50 am

16. Comment faire disparaître une ombre - Pierre Senges ; lecture d’Hervé Furic
Il y a quelques jours je me plaignais d’une fin pas assez ouverte dans une autre pièce radiophonique et maintenant je trouve la fin beaucoup trop ouverte, jamais contente vous allez dire, mais c’est le privilège du lecteur sourcilleux je suppose.
Ici, on est dans la farce historique. Pierre Senges fait du théâtre dans le théâtre, et convie pour cela des grands noms de la belle époque, de Molière à Torelli en passant par Colbert et d’Artagnan. Il y a aussi Tenon et Mortaise, les machinistes (oui, j’aime bien l’humour facile parfois…), et puis surtout il y a Nicolas Fougerolles, alter ego de Nicolas Fouquet bien sûr, surintendant pas très sourcilleux lui par contre, et qu’il serait bon de faire disparaître, à moins que lui ait envie de disparaître lui-même.
La chronologie n’est pas respectée, et l’histoire pourrait être amusante, mais je dois avouer que je n’ai pas accroché du tout. C’est tout juste drôle, et cela finit un peu en eau de boudin comme l’on dit familièrement, laissant l’auditeur sur sa faim. Tant pis, pour cette fois, c’est raté.

28raton-liseur
Mar 24, 2019, 5:56 am

17. Princesse Sara, cycle 2 (tomes 5 à 8) - Audrey Alwett (scénario) et Nora Moretti (illustrations)

Cette critique se rapporte au deuxième cycle de la série de bande dessinée « Princesse Sara », à savoir les tomes 5 à 8.
Tome 5 - Retour aux Indes
Tome 6 - Bas les masques
Tome 7 - Le Retour de Lavinia
Tome 8 - Meilleurs vœux de mariage



Je ne peux dire le contraire, même si les premiers tomes ne m’avaient pas véritablement emballée, j’étais curieuse de voir ce que nos deux auteures allaient faire pour la suite de cette série, maintenant que l’adaptation du roman de départ était terminée.
Et c’est en Inde que se déroule ce nouveau cycle. Comme cela, on est moins tenu à une certaine vérité historique, l’Inde c’est loin, personne ne connaît... Alors on peut y mettre plein de couleurs et plein de robes plus extravagantes les unes que les autres.
Pour l’histoire, pourquoi pas, la trame narrative n’est pas invraisemblable, avec Sara, maintenant adulte, qui veut récupérer l’entreprise de son père. Il faut bien sûr se farcir quelques histoires d’amour un peu mièvres et pas très crédibles, mais si l’on arrive à prendre son mal en patience, on s’en sort plutôt bien. Rien de transcendant certes, mais tout cela se lit facilement et on passe un bon moment avec plein de jolis dessins toujours un peu trop kawai selon moi, mais c’est le goût du jour... Ce furent donc quelques heures de lecture très détendantes, même si l’on sent bien que tout cela est fait pour de jeunes adolescentes qui veulent rêver à bon compte.

29raton-liseur
Modifié : Nov 1, 2019, 11:22 am

18. Princesse Sara, tome 9 : Intrigue à Venise - Audrey Alwett (scénario) et Nora Moretti (illustrations)



Je continue sur ma lancée avec ce neuvième tome, pour lequel je fais une critique à part, car il ne fait effectivement pas partie d’un cycle, ce tome se suffisant à elle-même. Cette fois, Sara, en route pour l’Europe, s’arrête à Venise où elle est la marraine du carnaval. Un scénario faiblard, mais le contexte idéal pour des dessins qui en mettent plein la vue. Les demoiselles ont des tailles un peu trop fines à mon goût et des formes vraiment trop généreuses. C’était déjà le cas dans les tomes précédents, mais là, on n’a même plus l’excuse de l’histoire pour faire passer cela. Les dessins sont travaillés, certes, mais le message envoyé aux demoiselles qui lisent cette histoire commence à me paraître désagréable. Le tome de trop ?

30raton-liseur
Modifié : Nov 3, 2019, 9:33 am

19. Princesse Sara, début du cycle 3 (tomes 10 et 11) - Audrey Alwett (scénario) et Nora Moretti (illustrations)

Cette critique se rapporte aux tomes 10 et 11 de la série de bande dessinée « Princesse Sara ».
Tome 10 - La Guerre des Automates
Tome 11 - Je te retrouverai


J'aimerais vous laisser faire des soudures sur mes genoux toute la nuit.
(p. 18, Tome 11).
Cette note de lecture se rapporte uniquement aux tomes 10 et 11 de la série, bien que le 12 devrait permettre de conclure le cycle (et espérons-le cette série), mais il n’est pas encore paru au moment de ma lecture.
Oui, vraiment, ce sont les tomes de trop. Ils sont bâclés, autant dans les dialogues que dans les dessins, du moins pour ce qui est de l’expression des personnages. Les robes sont toujours superbes, mais les silhouettes sont de moins en moins réalistes, de plus en plus suggestives, et là, je commence vraiment à être dérangée. J’imagine que les auteures ont voulu faire évoluer leur propos avec l’âge des lectrices cible, mais, alors que je commençais à être vaguement dérangée par les tomes précédents, ici je ne peux vraiment plus cautionner. L’image de la femme, tant physique que morale (est-ce réaliste de voir l’indépendante Sara Crewe accepter d’être l’enjeu d’une partie d’échecs ???), devient plus que problématique, les dialogues sont plein d’approximations, le scénario est bancal, on ne comprend pas pourquoi Sara se retrouve dans cet imbroglio politico-industriel qui fait pschitt et se transforme en une écœurante histoire d’amour malsain et contrarié.
Non, vraiment, je ne sais pas qui est à blâmer, des auteures dépassées par leur sujet ou de l’éditeur qui pousse pour prolonger une série qui marche bien d’un point de vue commercial, mais je suis vraiment choquée de la tournure de cette série et je commence à me dire qu’un simple « bof, pas terrible » n’est pas suffisant. C’est un « non » ferme et net qui est de mise. Nul ne devrait acheter cette série, ni pour sa fille, ni pour son CDI ou sa bibliothèque, c’est dégradant pour l’image de la femme, et certainement pas une lecture à conseiller à de jeunes adolescentes qui se cherchent des modèles et des références pour évoluer sereinement.
Cette série ne m’a jamais véritablement convaincue et je l’ai lue parce que M’ni Raton s’y intéressait. Elle l’a lue, hélas, sans voir les sous-entendus désagréables pour la femme mais j’espère qu’ils n’ont pas fait trop de dégâts. Mais je suis contente que ce ne soit qu’un emprunt à la bibliothèque municipale, et non un livre qu’elle garde dans sa chambre et qu’elle pourrait lire et relire. Une seule lecture, c’est déjà une de trop.

31raton-liseur
Modifié : Juin 16, 2019, 11:03 am

20. Le Mouron rouge, tome 3 : Les Nouveaux Exploits du Mouron rouge - Emmuska Orczy ; traduction de Charlotte Desroyses et Marie-Louise Desroyses



Le Mouron rouge, dont l’identité n’est plus un secret pour personne, est provoqué en duel sur les terres de France, où il est l’ennemi public numéro un. Et, n’apprenant rien de ses erreurs passées, sa douce et tendre moitié se jette à nouveau dans la gueule du loup pour rendre les choses encore plus difficiles, encore une écervelée de femme à qui il est impossible de mettre ne serait-ce qu’un peu de plomb dans la tête…
Le livre se lit facilement, une fois de plus, c’est amusant de voir à quel point la Baronne Orczy n’a aucun scrupule à mêler des personnages historiques à son œuvre de fiction, allant même jusqu’à convoquer le sanguinaire Robespierre. Donc oui, le livre se lit bien, il est plaisant, mais on a un peu l’impression d’une resucée du premier tome et c’est donc un peu décevant, d’autant que, et je n’ai pas dévoiler la fin que de dire cela, la façon dont le Mouron rouge s’échappe ressemble plus à une pirouette d’auteur qu’à un véritable scénario de livre de capes et d’épées.
Je suis un peu déçue donc, mais parce que j’ai été habituée à mieux. Je ne m’arrêterai donc pas en chemin pour autant, espérant retrouver une veine plus inspirée de l’auteure dans les prochains tomes. (Avouerai-je que le tome suivant est d’ailleurs déjà sur ma table de chevet…).

32raton-liseur
Mar 25, 2019, 1:47 pm

21. Un Jour de chance et autres nouvelles - Hyun Jin-Geon ; traduction de Mi-Kyung Friedli et David Reichenbach


Ah ! quelle belle journée ! Regardez les branches du caroubier dans la brise, ses feuilles vertes qui dansent comme si elles voulaient s’envoler dans le ciel…
(p. 19, “Le Journal et la prison”).

C’est cela pour moi l’un des intérêts des masses critiques de Babelio*, découvrir des livres qui m’attirent mais que je n’aurais probablement pas trouvé dans mes librairies habituelles, et que je n’aurais probablement pas osé acheter. Ainsi, on ne peut avoir que des bonnes surprises. Et celle-ci en fut une, à coup sûr.
Je connais peu, pour ne pas dire pas, la littérature coréenne, à part un recueil de nouvelles aussi, tiens d’ailleurs, d’un certain Hwang Sok-Yong, lui aussi très connu dans son pays mais qui s’est peu exporté jusqu’à nous. Ces quelques nouvelles sont donc pour moi une découverte presque totale, tant d’un auteur que d’un pays et aussi d’une partie de son histoire, car j’avais probablement déjà vaguement entendu que la Corée avait été sous domination japonaise, mais sans véritablement réaliser ce que cela voulait dire.

C’est dans ce contexte donc que j’ai ouvert ce livre et que j’ai commencé à égrainer les nouvelles une à une. Ce n’est pas pour l’originalité des nouvelles qu’il faut lire ce livre, la plupart des scénarii ont déjà été vus et revus, les chutes, lorsqu’il y en a, sont prévisibles dix pages à l’avance (sachant qu’une nouvelle fait souvent moins dix pages…). Pourtant, j’ai apprécié presque chaque minute de cette lecture. C’est la plume de l’écrivain qui fait ici toute la différence et qui donne une saveur particulière à ces nouvelles. Les descriptions, par exemple, sont pleines d’une immense poésie, avec un coup d’œil tout asiatique qui dépayse tout de suite la lectrice occidentale que je suis. Comparer une vieille fille revêche à une ombrine séchée, c’est poétique dans la sonorité mais sans concession dans la signification.
Le contraste entre l’universalité des thèmes abordés et la particularité de la langue est un des traits les plus saillants de cette lecture, et un des plus émouvants aussi je crois. Et c’est ainsi que l’on découvre, par petites touches, les particularités d’une société aux codes bien marqués. Le respect pour les aînés, avec ces relations très codifiées qui sont mises en scène dans « La mort de Grand-mère » ou bien la place de la femme dans ces années 20 empreintes de tradition, avec par exemple la femme de la nouvelle « Une société qui pousse à boire » qui ne connaît ni le sens du mot « études » ni celui du mot « société », mais elle a une confiance aveugle dans son mari. Tous ces petits détails qui rendent ces nouvelles particulièrement intéressantes et riches.
Je ne peux m’empêcher, pour ma référence personnelle, de faire une courte liste des nouvelles que j’ai préférées : une société qui pousse à boire (1921), L’incendie (1925), La vertu et le prix des médicaments (1929), La mort de Grand-mère (1923), et je m’arrête là pour ne pas toutes les citer. Cela m’amène d’ailleurs à me demander comment les éditions Atelier des cahiers ont réalisé ce recueil. Est-ce un recueil existant qui a été traduit intégralement, ou y a-t-il un travail de sélection dans l’œuvre de cet auteur pour proposer un florilège de son travail ? Si c’est la deuxième option, comme j’ai tendance à le penser, je voudrais ici dire à quel point ce travail est ici bien mené. Les nouvelles sont toutes emplies de tristesse et de nostalgie (et c’est bel et bien un euphémisme), ce qui donne une unité certaine au recueil, mais dans le même temps, les nouvelles traversent toutes les couches de la société coréennes, certes principalement les plus pauvres, mais l’on côtoie aussi des garçons de bonne famille accompagnés d’une gisaeng (équivalent de la geisha japonaise) et l’on fait de très intéressantes incursions dans le milieu rural, où se déroulent deux des nouvelles que j’ai citées plus haut, celle de l’incendie et celle de la vertu.
L’Atelier des cahiers était une maison d’édition que je ne connaissais pas, mais dont je tiens ici à saluer le travail, que j’ai beaucoup apprécié, tant pour mettre à la disposition d’un lectorat francophone des œuvres d’une très grande qualité et jusqu’alors introuvables, que pour la composition de ce livre qui, et par la forme (un beau papier agréable, une couverture qui reflète la diversité des nouvelles) et par le fond (et je souligne à nouveau l’intelligence du choix des nouvelles qui forment ce recueil), est un petit bijou très discret.
Pour finir, je remercie Babelio pour l’organisation de la masse critique qui m’a permis de gagner ce livre, et surtout, je remercie les éditions de l’Atelier des cahiers pour leur envoi, qui est une addition précieuse à ma bibliothèque et à mon cheminement de lectrice, et pour la qualité de ce livre dont ils ont assuré la publication ici et en Corée. J’ai grâce à vous découvert un auteur que j’ai envie de continuer à côtoyer et j’ai passé un moment empreint de tristesse mais plein d’intérêt et de beauté.

* Système équivalent aux critiques en avant-première de BiblioChose, sur un site concurrent francophone, que je continue à fréquenter de loin en loin.

33Dilara86
Mar 30, 2019, 11:02 am

les chutes, lorsqu’il y en a, sont prévisibles dix pages à l’avance (sachant qu’une nouvelle fait souvent moins dix pages…)


:-D

Un jour de chance semble très intéressant. J'ai lu La pagode sans ombre du même auteur, mais ça ne m'a pas emballée. C'était un roman historique trop bateau. Il est peut-être temps de lui donner une seconde chance.

34raton-liseur
Mar 31, 2019, 10:06 am

>33 Dilara86: Je pense que je vais me laisser tenter par la pagode sans ombre. J'espérais que ce seraient des nouvelles aussi. Ton avis me refroidit un peu.
J'espère que ces nouvelles te plairont plus. Elles sont "bateau" aussi (comme le sous-entend le commentaire que tu as repris), mais j'ai aimé ne pas avoir à me concentrer sur l'histoire et pouvoir m'attacher aux petits détails qui rendent l'histoire ancrée dans la Corée bien que les événements en soient universels.

35raton-liseur
Mar 31, 2019, 10:37 am

22. Le Monde dans lequel nous vivons - Marin Ledun ; lecture de Laurent d’Olce
- Je veux à nouveau pouvoir dormir tranquille, avec la conscience du travail bien fait (…).
- Mais c’est perdu d’avance voyons.
- Et ca vous suffit ?
- C’est le monde dans lequel nous vivons, Monsieur Diez.
- C’est pas la bonne réponse, Lieutenant.
On commence comme tout petit roman noir doit commencer. Un homme est arrêté pour excès de vitesse, les gendarmes s’aperçoivent qu’il est au volant d’une voiture volée. Et puis tout part dans une direction inattendue, car on s’aperçoit que ce n’est pas le premier vol dont ce Simon Diez, cinquante ans, célibataire taciturne et sans histoire, se rend coupable. Mais il rend les voitures quelques heures plus tard, et il ne vole que des voitures familiales et vieillottes.
L’idée est très intéressante, j’ai beaucoup aimé le début de cette petite histoire. Mais très vite, l’auteur commence à en faire des tonnes. Pas la peine d’ajouter une histoire d’amour peu crédible et encore moins, surtout, une tragédie qu’on sent venir trois plombes avant, on sent bien pourquoi elle va avoir lieu et on sent bien à quel point ce n’est pas nécessaire. Dommage, je me suis vite ennuyée, encroûtée je dirais.
J’aurais aimé une meilleure histoire, le thème le méritait (même si je ne peux en dire plus sans dévoiler le seul petit intérêt de toute cette histoire). J’ai lu plusieurs histoires de Marin Ledun, certaines que j’ai aimées, d’autres que je n’ai pas du tout appréciées. Ici, c’est un peu des deux, mais une grande déception. Tant pis, le monde dans lequel nous vivons continuera tel qu’il est.

36raton-liseur
Mar 31, 2019, 10:38 am

23. Une Mémoire pour l’oubli, suivi de Discours de l’Indien rouge - Mahmoud Darwich ; lecture de Mohamed Rouabhl
Je viens de me souvenir que je t’ai oubliée.
(Une Mémoire pour l’oubli).
Arbre mon frère, ils t’ont fait souffrir tout comme moi. Ne demande pas miséricorde pour le bûcheron de ma mère et de la tienne.
(Discours de l’Indien rouge).
« Le temps : Beyrouth, Le lieu : un jour d’août 1982 » (sic).Voilà l’incipit d’un texte douloureux. Le texte d’un poète aux derniers jours d’une guerre qui le conduiront à l’exil. Les bombes pleuvent, les morts se succèdent, et cet homme est pris au piège dans son appartement, pris au piège de ses souvenirs, pris au piège de son irrépressible envie de prendre un café préparé dans les règles de l’art, son rituel de chaque matin, celui par lequel il se sent vivre. Oui, un texte douloureux, les errances mentales d’un homme qui n’a plus que sa tête pour errer. Une évocation de la guerre sans qu’elle soit plus qu’esquissée, elle est présente, omniprésente même mais on la voit d’une façon assez absurde, surtout à nos yeux d’occidentaux qui n’avons jamais connu ces réalités. La guerre trop proche qui empêche cet homme, dans sa grande maison pleine de belles baies vitrées donnant sur la mer, d’aller de sa chambre à sa cuisine pour se faire un café. Dérisoire, certes, mais aussi d’une gravité impossible qu’aucune épaule ne devrait avoir à porter.

Ce texte est suivi d’un autre, Discours de l’Homme rouge, où un Indien fait en quelque sorte un bilan de l’arrivée des Blancs sur son continent. Histoire retracée au fil des émotions plus qu’au fil d’une quelconque chronologie. Un texte très poétique, trop pour moi, et je m’y suis parfois perdue, d’autant que la mise en son m’a parue discutable : d’abord une voix en arabe et une voix en français se superposant et rendant la compréhension du narrateur difficile, pour passer ensuite à une alternance des langues, avec des plages d’arabe qui m’ont perdues car elles finissaient par être trop longues pour que je me laisse seulement bercer par les sonorités sans que mon esprit ne se mette à vagabonder. Bonne idée de vouloir faire une adaptation bilingue, mais la concrétisation ne me paraît pas à la hauteur de ce qu’on pourrait en attendre.
Voilà donc une écoute intéressante, qui me sort des sentiers que j’arpente d’habitude. Ce n’est pas une réussite totale, mais cela tient plus à la lectrice que je suis qu’au livre en lui-même. Je suis tout de même contente, à l’issue de cette lecture, d’avoir découvert un poète palestinien, d’abord parce que c’est un poète et je ne lis ni n’écoute souvent de la poésie, et ensuite parce qu’il est de langue arabe et que je lis rarement des livres venant de cette partie du monde, ce que j’aimerais faire plus souvent.

37raton-liseur
Avr 4, 2019, 3:29 pm

24. Rebecca, texte original de l’émission d’Orson Welles - Daphné du Maurier, traduction de Sophie Brissaud ; adaptation d’Howard Koch ; lecture de Melissa Baraud
Nous ne reviendrons jamais à Manderley. (incipit).
Je ne suis pas certaine de comprendre pourquoi cette œuvre de Daphné du Maurier a tant fasciné et est devenu un tel canon du genre. C’est bien, certes. L’atmosphère est tendue de bout en bout, les gens ne tournent rond ni au début ni à la fin. Mais c’est juste une bonne histoire qu’on aime lire pour passer un bon moment et puis voilà, non ? Il semblerait qu’il y ait autre chose, De fins connaisseurs, Hitchcock n’étant pas le moindre, l’ont dit, c’est que cela doit être vrai.

38raton-liseur
Avr 4, 2019, 3:31 pm

25. Une Brume si légère - Sandrine Collette ; lecture de Julie Moulier et Quentin Baillot
J’ai croisé le nom de cette auteure dans une note de lecture qui m’a intriguée et en allant un peu plus loin, je me suis aperçue que j’avais déjà écouté un livre d’elle, que j’en avais même fait une « critique » plutôt élogieuse il y a presque cinq ans, et pourtant je n’en avais aucun souvenir. Comme quoi, ça sert de garder une trace de ses lectures…
Donc ni une ni deux, prochain trajet en bus, je mets mon casque sur les oreilles et j’écoute à nouveau cette nouvelle. Dès les premières minutes, je me suis souvenue de l’histoire, mais pas dans tous ses détails, ce qui fait que j’ai pu être à nouveau surprise par certains retournements de situation.
Et cette seconde lecture confirme ma première impression. On est dans un futur proche dystopique, où les pauvres sont relégués dans une sorte de ghetto dont ils n’ont plus le droit de sortir, et où ils vivent dans des carcasses de voiture, car vous comprenez, avec les difficultés économiques de notre pays, on ne peut pas leur offrir mieux, on sait que ce n’est pas très digne, mais vous comprenez ma bonne dame, on fait au mieux de nos possibilités. (Toute ressemblance avec un discours actuel est naturellement fortuite).
Et l’on voit quelques personnages bien choisis évoluer dans ce milieu, Jo et Ada, Nathan et Jean-No accompagnés d’Aristote et Diogène. Des relations se créent, des tensions. Il y a de l’espoir, il y a du réalisme.

Bien vue cette nouvelle qui nous montre sans prêchi-prêcha un avenir qui pourrait bien être le nôtre, qui fait réfléchir sur nos choix sans être moralisateur.
Sandrine Collette est une auteure de romans noirs, ce qui n’est pas vraiment ce que je lis habituellement. La violence contenue qui irrigue cette nouvelle ne me donne pas envie de lire ses livres plus longs, car c’est un style et un genre qui me mettent trop mal à l’aise, mais, pour les amateurs du genre, je me dis que c’est une auteure à découvrir, car elle a une plume sacrément incisive, et si ses autres écrits peignent aussi bien les travers de notre société, ils valent probablement le coup.

39raton-liseur
Avr 9, 2019, 10:05 am

26. Le Livre de l’inquiétude - Fernando Pessoa, traduction de Marie-Hélène Piwnik ; extraits choisis par Denis Lavant, lecture de Denis Lavant
La vie me fait mal à petits bruits, à petites gorgées, par les interstices.
(Préface, lettre à Mario de Sà-Carneiro).
C’est ainsi que je porte assistance et ai toujours porté assistance, depuis que je me rappelle avoir ressenti les émotions les plus nobles, à la douleur, à l’injustice et à la misère qu’il y a dans le monde de la même façon qu’un paralytique porterait assistance à un homme qui se noie et qu’aucune personne même valide ne parviendrait à sauver. La douleur d’autrui est devenue pour moi plus qu’une douleur unique, celle de la voir, de la voir irréparable et de savoir que la concevoir irréparable m’appauvrit même de la noblesse inutile d’envisager les gestes permettant de la réparer.
Un livre dont on ne sait même pas traduire le titre… Cela s’annonce comme un livre bien opaque. Dans l’édition que j’ai écoutée, la traductrice a décidé de faire simple, elle a choisi le terme courant d’« inquiétude » et ne s’est pas laissée aller à l’« intranquillité » qu’on associe en général à Pessoa. Par contre, j’ai, en guise de préface, une lettre qu’il a écrite au poète Mario de Sà-Carneiro, dans laquelle il se dit atteint d’hystéro-neurasthénie. Ça y est, le mot est prononcé. A quelle lecture sinistre et geignarde dois-je me préparer ?
Et effectivement, il s’agit pour une grande partie d’une lecture sinistre. Une longue lettre de plusieurs centaines de pages dont l’objet principal est d’expliquer les raisons qui poussent l’homme qui l’écrit au suicide. Cela ne pouvait être plus sinistre, effectivement. Mais, à ma grande surprise, ce n’est pas geignard du tout. Les personnages de Pessoa (il a fallu tout de même que j’aille vérifier sa biographie pour savoir comment Pessoa était mort et comment je devais interpréter cette écriture à la première personne), puisqu’il apparaît qu’ils sont plusieurs, ne se plaignent pas. Ils constatent ce qu’ils sont, ils voient le monde, ils prennent acte et agissent en conséquence. C’est tout, aucune fioriture, rien à ajouter.

Ce que j’ai préféré probablement c’est la façon dont Pessoa lie la tentation du suicide à une idée de perfection, de non compromission. Faire quelque chose dans la vie, c’est « D’aucuns diraient qu’il faut tenter, quoi qu’il en coûte. Parce que c’est moral, parce que c’est ce qu’il y a à faire. Mais Pessoa, ou du moins ses hétéronymes, ne sont pas d’accord. Il ne sert à rien d’essayer si l’on sait la tentative vouée à l’échec. Pessoa ne s’encombre ni d’une morale bien pensante ni d’un héroïsme chevaleresque.
Pourtant, Pessoa n’est pas indifférent, il ne supporte pas la douleur des hommes, il ne supporte pas l’imperfection de ce qui l’entoure. Et c’est cette conjonction entre un sens aigu de la compassion et un sens tout aussi aigu de la perfection qui rend cet homme malade d’être, au point de refuser la vie.

Voilà une méditation profonde et triste, mais pas inintéressante du tout, stimulante même. A se demander si nos morales plus flamboyantes ne sont pas surtout des paravents qui cachent notre instinctive volonté de vivre à tout prix, notre instinct de survie. Pessoa est finalement peut-être plus honnête avec lui-même.
J’en parle comme si ce livre était une longue lettre que Pessoa m’avait écrite, à moi ou à une autre de ses connaissances, et que cette lettre représentait effectivement son état d’esprit. Mais je ne connais rien de Pessoa que je découvre ici, et je vois en faisant quelques recherches superficielles qu’il est mort des suites de son alcoolisme. Il était l’écrivain de la mélancolie, mais sa fin n’a pas la clarté, l’honnêteté, le courage de celle de ses personnages. Qu’en penser, qu’en dire ? Ce livre montre un absolu, absolu auquel on peut adhérer ou pas. Et puisque nous sommes tous encore sur cette terre, c’est que la plupart d’entre nous n’y adhérons pas. C’est que nous acceptons les compromissions, ou bien que la vie offre d’autres joies qui compensent, si l’on peut dire, les imperfections qui lui sont inhérentes.
Belle réflexion, beaucoup à penser. Et pour moi, une envie de découvrir un jour cet auteur et cet écrivain de façon un peu plus poussée.

40raton-liseur
Avr 9, 2019, 10:08 am

27. Lettre à ma mère - Georges Simenon ; adaptation de Pierre Assouline, lecture de Thierry Hancisse
Je tourne autour de Maigret, mais ne l’ai jamais ni lu ni vu en film. Je découvre Simenon par la petite porte, celle qu’on emprunte rarement, mais cela me permet de me familiariser avec le personnage pour peut-être enfin un jour découvrir Maigret. Lettre à ma mère est ma deuxième ou troisième incursion chez cet auteur. J’avais entendu parler, probablement au détour d’une émission littéraire, de cette douleur qu’il avait portée toute sa vie, celle de ne pas avoir été aimé par sa mère, celle de s’être entendu dire « C’est dommage que ce soit ton frère qui soit mort. ».
Cette lettre, dont le premier jet est écrit au lendemain de la mort de la mère, est une demande d’amour inconsolée. Simenon y répète souvent : « Tu vois, je ne te reproche rien. » et pourtant c’est la béance d’un cri d’amour qui n’est pas entendu que l’on lit à chaque ligne.
C’est bien écrit, déchirant car on sent l’enfant mal aimé à chaque ligne. Mais dans le même temps, on n’est jamais dans le larmoyant, ni dans la plainte. C’est un équilibre difficile à tenir, mais Simenon, alors écrivain très expérimenté, le tient de bout en bout. Pourtant, je n’ai pu m’empêcher d’éprouver un certain sentiment de gêne, ne me sentant pas à ma place face à cet épanchement. Probablement parce que je ne me sens pas familière de l’auteur, ni de son œuvre, et qu’il semble un peu étrange d’entrer dans l’intimité de cet homme sans le connaître, comme si je n’avais rien demandé et qu’on me la jette à la face (c’est pourtant moi qui ai décidé de prendre ce livre, certes, je ne le nie pas, comme je ne nie pas ne pas être à une contradiction près). C’est donc me semble-t-il un livre pour ceux qui connaissent déjà bien l’auteur, qui l’ont beaucoup fréquenté et qui veulent mieux le connaître. Pour ma part, je ressors de cette lecture avec un sentiment étrange, celui d’avoir lu un texte beau et fort, mais qui ne m’était pas destiné.

41raton-liseur
Modifié : Avr 18, 2019, 9:45 am

28. Cosmocolosse : Tragi-comédie climatique et globale - Bruno Latour ; lecture collective
Puisqu’on l’a fait nous-mêmes, on maîtrise tout. Bien sûr, il y a quand même quelques détails qu’on n’avait pas prévus du tout. On verra demain… Demain est un autre jour. Ils dorment, c’est très bien. Ils ne savent pas tout… C’est mieux aussi. Oui le directeur a raison, on ne peut pas tout dire.

Les Etats-Unis n’ont pas gagné deux guerres mondiales pour que l’humanité puisse cultiver en toute sécurité des légumes bios.*
Bruno Latour est connu pour son engagement en faveur de la lutte contre le changement climatique. J’étais curieuse, donc, en commençant la lecture audio pièce de théâtre, un peu méfiante aussi, craignant quelque chose de trop unidirectionnel, un discours un peu prêchi-prêcha. Mais il n’en est rien.
Cosmocolosse est, sous forme condensée et métaphorique, une histoire de l’idée du changement climatique : comment elle est apparue, comment les scientifiques se sont positionnés par rapport à ce nouvel objet scientifique, comment les politiques s’en sont emparés, pour agir (ou ne pas agir pour être plus exact), pour produire des éléments de langage. Et aussi comment le « grand public » a navigué entre ces discours, hésitant, mouvant, indécis et impuissant tout en même temps.
C’est à la fois caricatural, dense et complexe. Il faudrait lire et relire ce texte pour en comprendre tous les détails, tous les sous-entendus, toutes les métaphores. Il y a là matière à cogiter pendant de nombreuses heures, en contemplant les étoiles que l’on aperçoit encore à travers la couche de pollution.
Mais étrangement, à l’issue de cette lecture audio, le sentiment qui prédomine chez moi est celui de l’impuissance. Nous sommes appelés à disparaître, et après tout, ce n’est peut-être pas plus mal, en tout cas la Terre, Gaïa, s’en remettra. Alors, pourquoi, au lieu de faire des essais que l’on sait dérisoires, pourquoi ne pas en profiter au maximum, quitte à polluer un peu plus, car après tout, après moi le déluge, et c’est bien le cas de le dire.
Je ne crois pas que ce soit le message que Bruno Latour désire faire passer avec cette pièce, et pourtant c’est celui que j’ai reçu. Une sorte de sursaut citoyen me fait rejeter cette attitude, même si au fond je sais bien que mes efforts ne sont pas assez, et que, seuls, ils sont dérisoires. Mais il importe aussi de pouvoir se regarder dans la glace le matin, et de ne pas avoir tout à fait honte de ce que l’on y voit.
Etrange pièce, donc, d’un ardent porte-parole du changement climatique et de la nécessité d’agir, qui me laisse l’impression que toute action est et sera vaine. Je ne sais si je me méprends totalement dans mon appréciation ou si la pièce de théâtre n’est pas un reflet efficace de la pensée de son auteur. C’est donc un sentiment d’étonnement et d’incrédulité qui me restent à la fin de cette lecture, intéressante certes, mais qui pousse trop à mon goût à l’attentisme.

* La citation est amusante sortie de son contexte, j’ai beaucoup souri avec cette phrase. Mais, derrière la boutade, c’est aussi la réalité économique qui se cache derrière les guerres qui est exprimée et c’est une phrase d’un cynisme bien sombre qui, là, ferrait plutôt verser une larme sur les ressorts qui font bouger notre monde, qu’il soit question des Etats-Unis ou d’autres pays.

42raton-liseur
Modifié : Avr 18, 2019, 9:48 am

29. Les filles au chocolat, tome 5: Cœur vanille - Cathy Cassidy (texte) et Claudia Forcelloni (illustrations) ; traduction de Anne Guitton, adaptation de Véronique Grisseaux



Il paraît que cette série de livre fait fureur dans les CDI depuis quelques années. Je ne doute pas qu’il en est de même pour les adaptations en BD.
Pour ma part, je la lis pour continuer sur ma lancée de maman sur-protectrice. Après les Princesse Sara, M’ni Raton a emprunté cette BD, bien que je lui aie dit il y a peu que les livres n’étaient pas pour elle. Mais comment peut-elle résister ? Des filles toutes plus girly les unes que les autres (non, ce n’est pas kawaï cette fois, mais tout ça c’est un peu blanc bonnet et bonnet blanc pour moi), et avec des pâtisseries de partout. Tout pour attirer M’ni Raton… Et nous voilà toutes les deux lancées dans la lecture de ce tome, pris au hasard au beau milieu de la série.
Je m’attendais à quelque chose d’assez niais, en fait il n’en est rien. C’est certes très didactique, mais je pense que cela se veut éducatif, et en plus sur des sujets d’actualité, ici l’usage des réseaux sociaux et le cyber-harcèlement. Ce n’est pas trop mal fait, même si l’on peut regretter que les adultes ne soient pas très présents, et n’aident pas beaucoup à résoudre le problème. Donc, ici, je dirais que je n’ai pas grand-chose à reprocher à l’histoire et à la BD. M’sieur Raton n’aime pas le côté Santa Barbara, je dirais pour ma part plutôt Beverly Hills, mais on se comprend : tout le monde est bien habillé, vit dans de belles maisons. Pas vraiment de gros problèmes, juste des petits ennuis de surface. Mais je suppose que c’est ce qu’il faut pour attirer le lectorat visé. On verra plus tard pour Zola.

Plutôt positive, donc, même si je ne suis pas sûre d’être complètement emballée, cela manque de quelque chose. De la personnalité peut-être, un brin d’originalité sûrement. Mais à réserver à des adolescentes (oui, le public-cible est féminin, c’est une certitude) de 14 ou 15 ans au moins. M’ni Raton est encore trop petite pour cela. Les histoires de parents peu responsables, de tromperies, d’avoir embrassé trop de garçons quand on n’a que 15 ans comme c’est le cas de notre héroïne au mielleux nom de Honey, non, j’aimerais bien préserver encore un peu l’innocence de ma petite fille et qu’elle lise cela lorsqu’elle se sera déjà aperçue par elle-même que les relations amoureuses sont bien plus compliquées que dans les contes de fées.

43raton-liseur
Avr 18, 2019, 9:50 am

30. L’Incroyable Expédition de Corentin Tréguier au Congo - Emmanuel Suarez ; lecture de Quentin Dolmaire
Tout le monde pense que je suis noir à cause de la couleur de ma peau.
(Episode 3).
- Vous priez en latin ?
- Le père Théotime me répétait que les prières ne sont exaucées que si elles sont dites en latin.
- Mais c’est faux ! Ça marche aussi en breton !

(Episode 8).
Elles sont intéressantes ces petites pièces écrites pour France Culture. Pas beaucoup d’intérêt littéraire, pas de grande trouvaille scénaristiques (quoique, pour celle-là, c’est plutôt loufoque…), elles sont avant tout écrites pour permettre un travail sur le son. Mes conditions d’écoute ne me permettent pas d’en juger, mais lorsque je vois ces pièces apparaitre dans mon fil de lecture audio, je sais que je vais pouvoir passer un moment de simple détente, avec un livre simple mais pas désagréable.
Et c’est le cas ici, une histoire annoncée comme de la science fiction, et qui se passe en 1872, déjà ça commence mal… Il est question d’un savant parti en expédition au Congo et qui s’est malencontreusement transformé en singe. On ne peut pas rester sans réagir, la réputation du grand pays colonialiste et civilisateur qu’est la France est en jeu… Alors on envoie, tel un nouveau Stanley, un jeune militaire, Corentin Tréguier, afin de le retrouver et… de faire ce qu’il y a à faire. Mais les motivations des uns et des autres ne sont pas si claires, si la France a choisi un benêt sans ambition ce n’est probablement pas par hasard, et la Belgique n’est pas en reste depuis qu’elle a eu vent de cette histoire de mutation inter-espèce…
Nous sommes ici dans le loufoque, il ne faut pas prendre tout cela trop au sérieux, mais il y a tout de même quelques sujets qui sont effleurés de façon légère mais bien vues, en particulier le racisme et le sexisme, mis en parallèle de façon intéressante, chacun se sentant prisonnier de l’apparence de son corps, et ce quelque soit ce qui se trouve à l’intérieur, d’où cette belle citation que j’ai mise en exergue de cette note de lecture.
Et puis, bien sûr, Corentin Tréguier est breton, ce qui ne gâche rien à l’histoire. Avec un nom comme cela, il ne pouvait être que breton, et Saint Yves (même si, vous savez, le saint originaire de la ville de Tréguier, patron des juges et des avocats…) doit être fier de ce jeune homme plein d’idéaux et aussi juste que possible avec tous.
On a même le droit à une reprise de « Guerre guerre, vent devant » qui n’a rien à envier à celle de Tri Yann. Et les petits travers bretons en prennent pour leur grade, c’est amusant.
Je me suis bien amusée tout du long, j’ai même franchement rigolé par moment, mes compagnons de bus ont dû me trouver bizarre, mais tant pis pour ma réputation !

44raton-liseur
Avr 18, 2019, 9:56 am

31. Une aussi longue absence - Marguerite Duras, avec la collaboration de Gérard Jarlot ; lecture d’Alida Valli et Georges Wilson
Il était question de Marguerite Duras il y a peu dans une discussion et je disais que j’avais peu apprécié L’Amant et Un Barrage sur le Pacifique. J’avais cet enregistrement dans mes archives, qui ne m’attirait guère pour les raisons sus-citées, mais cette conversation a été l’occasion de renouveler mon intérêt.
Et grand bien m’en a pris. Lorsque Marguerite Duras parle de la mémoire, là je peux la suivre. Ce texte est en réalité le scénario d’un film écrit en collaboration avec Gérard Jarlot. Le film est sorti sur les écrans en 1961 et je m’aperçoit en écrivant ces lignes qu’il a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes la même année. Je ne l’ai pas vu, ma culture cinématographique étant plus que limitée j’en ai peur, mais cette lecture a été très prenante. L’histoire est simple : la patronne d’un bistrot quelque part dans une calme banlieue de Paris voit passer devant chez elle un clochard qui a perdu la mémoire. Elle note une ressemblance avec son mari, déporté pendant la guerre et qui n’est jamais revenu. Persuadée que les deux hommes n’en font qu’un, elle tente tout ce qu’il est possible pour que la mémoire de cet homme lui revienne. On ne connaitra pas le fin mot de l’histoire, la fin restant ouverte à toutes les interprétations, mais l’essentiel n’est pas là.
La résignation de cet homme sans mémoire, la détresse de cette femme qui voit en quelque sorte son mari lui être arraché une deuxième fois, l’impossibilité de faire son deuil, l’impossibilité de se couler dans une mémoire qui n’est pas la sienne. Ce sont des sujets douloureux que cette histoire expose avec une pudeur que je n’allie pas habituellement à Marguerite Duras, mais dont elle fait preuve aussi dans Hiroshima mon amour, dont j’ai aussi lu le scénario et que j’avais apprécié aussi, même si Une aussi longue absence est encore plus beau.
Une lecture qui fait réfléchir longtemps après que les personnages se soient tus, les yeux dans le vague, sentant à quel point la mémoire est un bien précieux et volatile, complexe et indispensable.

45Dilara86
Avr 19, 2019, 6:25 am

>29 raton-liseur: Je compatis ! Moi aussi, j'ai dû lire tout un tas de bouquins pour enfants/ados de qualités très inégales pour me faire une idée de l'environnement culturel/idéologique de ma fille et éventuellement discuter de certains points avec elle. Chez nous, la question du trop girly, trop Berverly Hills ne s'est pas posée parce qu'elle faisait un gros rejet de tout ça. Elle ne lisait (ne lit - ça n'a pas changé) pratiquement que de la fantasy et de la SF, deux genres qui ne manquent pas de tropes problématiques (d'ailleurs, LolaWalser tient un fil très intéressant à ce propos). Sinon, elle et ses copines ont eu une fixette WWF (les combats de catch, pas les protecteurs des animaux) pendant un an ou deux, et j'étais partagée entre en rire et m'inquiéter. Ça s'est arrêté naturellement quand elles ont eu leurs premiers copains.

>31 raton-liseur: C'est drôle, j'ai eu le même ressenti que toi à propos de L'amant et du Barrage sur le Pacifique. Mais l'année dernière, j'ai décidé de retenter Duras avec La douleur, que j'ai trouvé bouleversant. Une si longue absence me semble être dans la même veine et ta note donne vraiment envie de le lire. J'avais un peu envisagé de revisiter L'amant maintenant que je sais que ce livre est loin d'être factuel. C'était une manière pour elle de sublimer des souvenirs douloureux en les transformant en histoire d'amour. En réalité, sa mère a vendu la virginité de sa jeune adolescente de fille à un riche Chinois pour renflouer son fils aîné opiomane et joueur. C'est franchement sordide.

46raton-liseur
Avr 21, 2019, 2:55 pm

>45 Dilara86: Une fixette WWF! Qui l'aurait cru? (Et merci pour la précision, quand j'ai lu ça, j'ai commencé par me dire que c'était très bien, très écolo!).
Concernant Duras, je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à avoir une telle prévenance, et les détails que tu donnes et que je ne connaissais qu'en partie sont vraiment sordides, c'est le mot. Pour ma part, je ne retenterai pas L'Amant. Par contre, je ne connaissais pas ce livre, La Douleur, mais il me tente bien, je l'inscris dans mes tablettes, pas pour tout de suite (Je lis Duras à petites doses quand même), mais cela m'intéresse bien de lire quelque chose d'elle de vraiment littéraire (pas un script de cinéma), avec une chance que cela me plaise.

Et merci de passer par ici de temps en temps et de donner de l'animation à ce fil de lecture!

47raton-liseur
Modifié : Avr 27, 2019, 2:05 pm

32. Les Mémoires de Maigret - Georges Simenon ; adaptation de Pierre Assouline, lecture de Bruno Raffaelli
La vérité ne paraît jamais vraie.

Après la lecture récente de la Lettre à ma mère de Georges Simenon, je continue à découvrir cet auteur, mais toujours en prenant la tangente. Je me rapproche dangereusement du nœud de son œuvre puisque cette fois, pour la première fois, j’ai entendu la voix de Maigret. Mais il n’est toujours pas question d’enquête policière, puisqu’ici Maigret raconte, à la première personne, ses relations avec un certain Georges Simenon, rencontré lorsque celui-ci a demandé à visiter le 36 quai des Orfèvres, qui l’a pris comme modèle pour ses romans et qui est devenu un ami de la famille.
Maigret prend enfin la plume directement, pour tenter de rétablir quelques vérités mais il y arrive mal et finalement, tout au long de ce roman finalement assez court, il ne fait, à son corps défendant, que justifier les choix de Monsieur Simenon. Publié en 1951, c’est-à-dire au beau milieu de la carrière littéraire de Simenon, quand on s’attendrait à ce que des mémoires viennent clôturer un cycle, marquer le moment où un personne tire sa révérence, ce livre est une étrange mise en abyme d’un personnage de roman emblématique de part et d’autre de Quiévrain.
Je ne suis pas certaine qu’il était judicieux de lire ce livre avant de faire la connaissance de Maigret comme « simple » personnage de roman, mais je sais au moins que Simenon est capable d’auto-dérision, qu’il aime jouer sur les différents plans de la fiction, et ce fut une lecture amusante et instructive, mais qui sera probablement à reprendre si je m’aventure dans l’immense collection des Maigret. Mais, avec 75 romans et 28 nouvelles (d’après les comptes de Wikipédia), par où commencer ? La question reste pour moi entière à ce jour.

48raton-liseur
Avr 27, 2019, 2:05 pm

33. Conte de Noël - Charles Dickens, traduction de Mlle de Saint-Romain et M. de Goy ; adaptation de Sophie-Aude Picon, lecture de Serge Avedikian
Qui ne connaît pas le conte de Noël de Dickens ? Un classique parmi les classiques, non ? Je suis un peu à contre-saison, mais j’ai pris le prétexte de ce texte pour différer la lecture audio d’un texte autrement plus ardu auquel j’avais encore besoin de me préparer.
Et finalement, grand bien m’en a pris car je me suis aperçue que finalement, je connaissais bien peu de cette longue nouvelle de Dickens. A mieux y réfléchir, je crois que j’ai découvert cette histoire en bande dessinée dans un des rares Je Bouquine que j’ai eus entre les mains, un magazine littéraire pour jeunes, qui présentait toujours une œuvre du patrimoine en bd, dans le but de donner envie de la découvrir. C’est donc bien des années plus tard que je m’y attèle, et ce fut un plaisir de découvrir un texte beaucoup plus riche que ce que j’en avais alors entraperçu. En particulier, j’ai beaucoup aimé la description de chacun des esprits, ainsi que leur aspect changeant. C’est l’image de la bd lue il y a probablement vingt cinq ans qui m’est apparue devant les yeux pour l’esprit des Noëls présents, je me souviens encore de ses couleurs vives tranchant avec un dessin oscillant partout ailleurs entre marron et gris, mais les esprits des Noëls passés et des Noëls futurs ont pris de l’épaisseur avec cette lecture. J’ai aussi plus voyagé, vu plus de noëls, assisté à la transformation de Scrooge et ce fut un plaisir. On retrouve aussi le Dickens politique, compagnon intellectuel de Victor Hugo, avec une critique ouverte des maisons de force, cette incroyable réalité dont j’ai pris conscience il y a finalement bien peu de temps, et grâce à la littérature.
Certes, la transformation de Scrooge me paraît un peu trop rapide (il n’y a guère besoin de trois esprits, le premier aurait probablement suffi pour le convertir), certes elle ne se fait pas vraiment pour des bonnes raisons (c’est la peur de la punition après la mort qui l’emmène à changer, pas vraiment la compréhension de l’ignominie de son attitude), mais je suppose qu’il faut prendre en compte l’âge du livre et la période à laquelle il a été écrit, ainsi que la contrainte que s’impose Dickens de prendre l’esprit de Noël pour pivot de son intrigue.
Et puis, il faut bien avouer que la plume de Dickens est une caresse bien agréable, avec de belles descriptions qui font de ce chant de Noël tout en prose un classique bien mérité. Il m’a été agréable de me frotter enfin à l’original, de découvrir toute la saveur qu’il renferme et que les adaptations édulcorent bien trop. Une belle lecture, donc, que je ne regrette pas d’avoir fait, même si c’est à contre saison !

49raton-liseur
Avr 27, 2019, 2:13 pm

34. L’Empire des signes (extraits) - Roland Barthes ; lecture de Denis Podalydès
Roland Barthes est présenté par Wikipédia comme un philosophe, critique littéraire et sémiologue. Pas du tout le genre d’auteur que je fréquente habituellement. Mais, lu ici par Denis Podalydès, cela me paraissait moins inaccessible et mon petit côté intello se sentait flatté.
Certes, c’est une lecture ardue et je n’ai l’impression que d’avoir survolé le livre, mais j’ai aimé cette analyse du Japon. C’est l’analyse d’un européen, à n’en pas douter. L’analyse d’un occidental qui a passé un temps finalement assez court dans un pays étranger et qui, confronté à une culture radicalement différente, se laisse envoûter par son exotisme. C’est un livre tout en fascination, qui, probablement, ne supporterait pas le regard critique d’un spécialiste de la culture japonaise (si tant est que cela puisse être un titre dont quelqu’un se glorifie). Roland Barthes semble plus, dans son approche du Japon, refléter ses propres questionnements philosophiques, et c’est en creux l’analyse de sa propre culture qu’il fait en la confrontant à l’altérité.
Son analyse de l’espace de la maison japonaise, dans toute la splendeur de son dépouillement, ses réflexions sur les haïkus, leur apparente simplicité et ce qu’ils disent et ne disent pas sont intéressantes, mais, il faut que le lecteur en soit prévenu, écrit dans une langue recherchée, à grand renfort de répétitions et de périphrases. Le livre est intéressant, les idées stimulantes, mais je n’ai pu m’empêcher de sourire à l’ironie d’une forme finalement assez ampoulée pour raconter un fond fait de simplicité et d’épure. Bel exemple de contradiction dans cette réflexion très occidentale sur une culture éminemment orientale.

50Dilara86
Avr 28, 2019, 4:55 am

>49 raton-liseur: Juste un petit mot pour dire que j'ai beaucoup apprécié ce billet.

51raton-liseur
Avr 28, 2019, 5:37 am

>50 Dilara86: Merci :)

52raton-liseur
Mai 4, 2019, 9:09 am

35. L’Orphelin - Anouk Grinberg ; lecture d’Anouk Grinberg
Un livre audio mal nommé, et me voilà avec un conte groenlandais adapté et lu par la comédienne Anouk Grinberg au lieu de ceux de Ma Mère l’Oye, de Perrault, auxquels je m’attendais. Qu’à cela ne tienne, je ne suis jamais contre un petit vent froid et un joli conte traditionnel dépaysant.
L’orphelin fait écho à un conte que je connais déjà, celui de l’enfant rejeté par sa communauté parce qu’il est un poids mort, mais qui se révèle, grâce à sa générosité spontanée et son courage. Un peu de chance aussi ici, puisque notre orphelin reçoit l’aide d’un bon gros géant (mais qu’il rencontre parce qu’il est généreux, justement). C’est un conte sur le passage à l’âge adulte, ce qui veut dire, ici, devenir un grand et valeureux chasseur.
Conte dépaysant, mais dont je n’ai probablement pas su lire tout le sous-texte car je ne connais pas cette culture et ses références. Mais un bon moment de lecture et de voyage très loin du climat tempéré dans lequel je baigne et très loin du confort quotidien dont je jouis dans ma maison chauffée et équipée. Un conte d’un autre temps, d’un autre lieu, qui permet de passer un agréable moment loin de soi-même.

53raton-liseur
Mai 4, 2019, 9:10 am

36. Une Saison au Congo - Aimé Césaire ; lecture de Marc Zinga
Une Saison au Congo, c’est en réalité un an de son histoire, de janvier 1960, alors que l’indépendance se profile à l’horizon et qu’un certain Patrice Lumumba est emprisonné, à janvier 1961 lorsque ce même Lumumba est assassiné. Entretemps, il a été le premier Premier Ministre d’un nouveau pays, le Congo, dans un contexte de guerre froide et, déjà, de course aux matières premières.
Aimé Césaire, dans la troisième des quatre pièces qu’il a écrites pour le théâtre, prend ouvertement parti pour Patrice Lumumba et contribue à forger sa légende, qui en fait officiellement le premier « héros national » du pays. Je ne connais que les très grande lignes de l’histoire du Congo, j’ai donc appris beaucoup mais ne peux pas, non plus, porter un regard critiques sur la vision qu’Aimé Césaire nous donne de la personnalité et des actions de Lumumba. Et sachant Aimé Césaire lui-même très engagé politiquement, je me garderais bien de faire de cette pièce de théâtre ma référence pour comprendre l’histoire complexe d’un épisode au combien sensible de l’histoire de la colonisation et de la décolonisation.
Mais l’intérêt de cette pièce, qui est grand, ne réside pas là. D’abord, d’un point de vue purement littéraire, c’est une pièce extrêmement bien construite, probablement difficile à mettre en scène, mais d’une grande richesse et d’une langue riche et maîtrisée. Ensuite, et ce seulement six ans après les faits, et alors que la décolonisation est encore plus de l’actualité que de l’histoire, Aimé Césaire donne à voir à quel point la décolonisation a été un jeu de dupes, une façon de remplacer un système par un autre, moins outrageusement voyant mais tout aussi outrageusement unidirectionnel. Au sortir de cette pièce, on se dit que Lumumba n’avait aucune chance, que le Congo même n’avait aucune chance, et l’état de ce pays aujourd’hui donne hélas raison à Aimé Césaire.
C’est une pièce dure, d’une violence contenue, qui, tout en respectant les contraintes de la mise en scène théâtrale, fait entrer le monde sur la scène. Le monde avec ce qu’il a de plus indicible, de plus inhumain. Ce qui fait mal, qui met mal à l’aise, mais qui est notre responsabilité collective car trop souvent, en disant qu’on n’y peut rien, on détourne seulement les yeux.
Bel hommage à un homme qui continue à hanter l’imaginaire collectif dans les Grands Lacs. Un homme qui ne fait pas l’unanimité, mais qui a marqué une époque, une volonté de renouveau et qui est allé jusqu’au bout de son engagement. En mettant en scène les derniers mois de sa vie, Aimé Césaire rend hommage à cet homme qu’il a probablement beaucoup admiré, je ne sais s’il l’a rencontré. Cette admiration transparaît dans le parti pris de cette pièce, et nous renvoie à nos propres atermoiements, nos petites lâchetés et les questions que nous préférons ne pas nous poser lorsque l’on habite du côté de la méditerranée où sont les pays colonisateurs, de peur de déranger nos confortables petites habitudes. Un texte puissant, à découvrir, avec le cœur bien accroché.

54raton-liseur
Mai 11, 2019, 3:45 am

37. Tigre en papier - Olivier Rolin ; adaptation d’Anna Sigalevitch, lecture d’Eric Elmosnino
Les révolutions. Révolution dans l’espace, avec ce mouvement semble-t-il sans fin de giration sur l’asphalte du périphérique parisien. Révolution au sens politique, avec ces souvenirs d’une jeunesse militante sans concession qui n’a concerné qu’une petite frange de la jeunesse des années 60 mais qui a marqué notre imaginaire collectif. Un livre savamment construit pour que la forme reflète le fond.
Je ne suis pas particulièrement intéressée par ce genre de sujet, dont je me sens plutôt éloignée, mais j’étais curieuse de découvrir l’œuvre d’un auteur assez en vue de la scène littéraire française contemporaine, et ce depuis quelques années maintenant. Mais j’ai trouvé un livre un peu trop travaillé à mon goût, où l’attention à la forme est tellement visible qu’elle nuit au propos plus qu’elle ne le sert. Tout cela est trop intellectualisé, ce qui est un comble pour des mémoires impromptues d’un ancien intellectuel maoïste, à moins que ce ne soit un juste retour des choses, je ne saurais trancher.
Je me suis sentie bercée, tout au long de cette lecture audio, par la voix (monocorde et peu agréable) du narrateur, sombrant dans une sorte de léthargie entretenue par la succession des sorties du périphérique et des sièges de grandes entreprises qui le bordent. Et je suis arrivée au bout du livre contente d’en avoir fini, et pas plus avancée qu’avant de le commencer. Mais n’est-ce le propre d’une révolution que de revenir à son point de départ ?

55raton-liseur
Mai 11, 2019, 3:47 am

38. Le Petit Breton et le lama qui cherchait ses lunettes - Jean Lebrun ; lecture de Jean Lebrun
Je découvre, avec la dernière en date, cette nouvelle collection d’histoires pour enfants que France Inter commande à des auteurs ou des personnalités connues, qui doivent les écrire puis les lire. Ces histoires ne font pas plus de 10 minutes et transportent le lecteur dans des univers très différents les uns des autres.
Celle-ci est donc la dernière publiée à ce jour, et est l’œuvre non d’un romancier mais d’un journaliste historien de France Inter. Et j’ai été surprise par ce court texte bien loin de l’univers dans lequel il officie habituellement. Un texte un peu surréaliste, sans véritable histoire, où tout est dans l’ambiance, une ambiance loufoque dont on ne saura ni l’alpha ni l’oméga.
Je suis en général assez peu attirée par ce type de littérature, et encore moins lorsqu’elle est à destination des enfants. Trop cartésienne pour apprécier cela, trop cartésienne pour imaginer que cela puisse plaire à un enfant. Pourtant, ici le format court fonctionne plutôt bien et je serais maintenant curieuse de l’essayer sur un enfant pour voir ce que cela donne. Je n’ai pas, à portée d’oreille d’enfant de 5 à 7 ans, la cible (restreinte) affichée par cette collection alors cela restera une question en suspens.

56raton-liseur
Mai 11, 2019, 3:49 am

39. Le Coq solitaire - Alain Mabanckou ; lecture d’Alain Mabanckou
Deuxième intrusion pour moi dans la collection de contes originaux proposes par France Inter. Cette fois, il s’agit d’un auteur connu, dont j’ai même déjà lu un livre (pour adulte, sans l’ombre d’u doute) il y a bien longtemps, Verre cassé.
Ici, Alain Mabanckou raconte une anecdote d’enfance, vraie ou imaginée, peu importe. Son grand-père Moukila est toujours très attentif à ne pas faire mal aux animaux qui sont autant d’âmes trépassées, mais les choses se compliquent lorsque l’oncle Pandi décide qu’il est temps de manger le vieux coq pour Noël.
Etrange conte pour enfant où l’on côtoie le fantastique et la mort, où l’on ne peut pas dire que les choses finissent bien. Drôle de littérature à mettre sur les oreilles d’un enfant, mais il n’y a pas d’âge pour s’initier au réalisme magique, et en voilà un bon petit échantillon. Mais il faudra être prêt à répondre à une longue série de « et pourquoi… ? ». Une expérience à tenter, pour les plus téméraires.

57raton-liseur
Modifié : Mai 22, 2019, 7:14 am

40. Lonesome Dove - Larry McMurtry ; traduction de Richard Crevier



Cette critique se rapporte aux deux tomes de l’édition française.
Tome 1 - Lonesome Dove : Episode 1
Tome 2 - Lonesome Dove : Episode 2

J’espère que c’est assez difficile pour toi, Call, dit-il. J’espère que t’es satisfait. Sinon, j’abandonne. Parce que faire une si longue route avec tout ce bétail squelettique, c’est une drôle de manière de garder goût à la vie.
(p. 286, Chapitre 25, Partie 1, Episode 1).

« Poussons encore un jour ou deux » comme dit Augustus à quelques encablures de la fin du livre (p. 461, chapitre 94, Partie 3, Episode 2). Et c’est un bien long voyage auquel nous invite Larry McMurtry. Un long voyage par le nombre de pages de ce roman fleuve, un long voyage géographique par le nombre de kilomètres que les protagonistes vont parcourir, un long voyage dans l’histoire et la psyché américaine aussi.
Je n’aime guère les phrases publicitaires que les éditeurs se sentent maintenant obligés de mettre sur les quatrième de couverture. Et celle qui accompagne ce livre est bien présomptueuse : « Si vous ne devez lire qu’un seul western dans votre vie, lisez celui-ci. », conseil d’un certaine James Crumley dont je n’ai jamais entendu parler. Je ne suis pas certaine d’être d’accord avec lui, car je ne suis pas certaine que ce livre soit un western, du moins ce n’est pas ainsi que je l’ai lu.
Certes, il est question de far west, de pionniers, de lutte contre les Indiens, d’élevage, de Mexicains hors la loi… On retrouve tout Il était une fois dans l’Ouest ou Le bon, la brute et le truand (les westerns spaghetti sont à peu près l’intégralité de ma culture western…), mais ce livre est beaucoup plus que cela. C’est avant tout l’histoire d’une poignée d’hommes (et quelques femmes en périphérie), menés par deux anciens Texas Rangers, des vieux de la vieille, un peu revenus de tout, des braves parmi les braves, légendes vivantes d’un temps qui est déjà révolu.
Deux hommes, Augustus McCrae et Woodrow Call liés par une amitié indéfectible et pourtant difficile à comprendre tant ils sont différents l’un de l’autre. Gus, le moulin à paroles qui disserte sur le moindre brin d’herbe, a un avis sur tout et ne se prive pas de le partager, ouvertement paresseux et désireux de profiter de chaque opportunité que la vie lui laisse entrevoir. Et Call (intéressant que l’un soit désigné principalement par son surnom tandis que l’autre l’est principalement par son nom de famille), droit dans ses bottes de cow-boy, sûr de ses principes, dur à la tâche, meneur d’hommes malgré lui, incarnation vivante de ses principes moraux inflexibles. L’auteur les décrit, dans une préface que je n’ai pas, comme l’épicurien et le stoïcien. Ce n’est pas à moi d’expliquer à l’auteur ses intentions, mais cette catégorisation me paraît trop réductrice par rapport à la complexité des personnages que McMurtry a su créé, et qui donne tout son charme à son œuvre.
Car, autour de ces deux hommes, ce sont d’autres hommes qui gravitent, et, même s’ils ne sont pas aussi fouillés (plusieurs sont de simples figurants, mais dans l’ensemble, les personnages secondaires ont une existence et une épaisseur bien réelles). Dish l’amoureux transi, O’Brien l’Irlandais nostalgique de ses vertes prairies, Bolivar le cuisinier Mexicain pas tout à fait clair, pour n’en citer que quelques uns. Toute cette faune crée un kaléidoscope à la fois étourdissant et complet de ce que pouvait être un cow-boy à cette période de l’histoire. Et c’est là que ce livre est intéressant et que je ne suis pas d’accord avec la phrase de James Crumley citée par l’auteur : ce livre n’est pas un western classique. Certes, il en a tous les ingrédients, mais ce serait réducteur de ne voir que cela dans cette galerie de personnages.
En effet, McMurtry donne à voir ce qui pouvait animer ces hommes. Il y a bien sûr ceux qui sont frustres, qui se laissent porter par la vie, mener par des chefs, qui font leur travail et ne voient guère plus loin. Mais il y a aussi ceux qui aspirent à autre chose. Ceux qui se demandent pourquoi le soleil se lève chaque matin mais qui savent qu’ils ne sont pas aller assez longtemps à l’école pour le comprendre, il y a ceux qui aspirent à un idéal qu’ils entrevoient parfois de façon obscure et dévoyée mais qu’ils savent être là, il y a ceux qui ont une vie intérieure riche et trouvent en eux des ressources sans fin pour faire de leur vie une épopée incessante.

Voilà beaucoup de phrases pour dire que j’ai aimé ce livre qui m’a captivée dès le début. J’y vois bien quelques imperfections. Un traitement un peu feuilletonnesque, ce qui fait que je n’ai pas été surprise d’apprendre que McMurtry a utilisé pour ce roman un scénario de cinéma qui n’avait pas servi (bien que le roman soit beaucoup plus riche que ce qui aurait pu être porté à l’écran). Quelques longueurs peut-être aussi. Mais c’est le talent de conteur de McMurtry qui a prévalu, sa capacité à créer une galerie de personnages riches et captivants, sa capacité à se jouer des standards et des clichés, en un mot, à rendre la légende de l’ouest sauvage plus humaine, quitte à écorner cette même légende que ce soit celle des valeureux justiciers ou des bandits à l’insondable noirceur. Les Indiens, certes sur le déclin en prennent aussi pour leur grade. Soit irrémédiablement sanguinaire, soit tellement affamés qu’ils viennent quémander de la nourriture à ceux qui les ont poursuivi pendant bien longtemps.
Et, si le côté feuilletonnesque est un peu trop apparent, il faut aussi reconnaître à McMurtry un sens aigu du scénario. J’y ai vu un peu de Game of Thrones avant l’heure, avec une capacité à se débarrasser d’un personnage de façon cruelle, ou bien de façon inattendue, au détour d’une phrase, sans aucun signe annonciateur. Une scénarisation qui se veut proche de la vie, lorsque les choses ne sont pas forcément logiques ou justes. Un personnage qui meurt avant que l’on ait appris à le connaître.
En un mot, cette sorte de road movie sans route et sans voiture m’aura fait voyager dans la géographie et dans l’histoire des Etats-Unis, au-delà des clichés habituels et aura donné vie et humanité à des périodes et des lieux de légende. Un très beau livre, qui propose différents plans de lecture et dont les personnages restent longtemps avec le lecteur, tant durant la lecture (cette envie irrépressible de retrouver son livre pour savoir ce que nous réserve la prochaine page, le prochain chapitre…) que bien longtemps après.

58raton-liseur
Juin 2, 2019, 3:23 pm

41. Je soussigné cardiaque - Sony Labou Tansi ; adaptation de Catherine Boskowitz et Marcel Mankita, lecture de Marcel Mankita
Sony Labou Tansi est un dramaturge congolais dont je n’ai entendu parler que grâce aux explorations téméraires des radios publiques françaises telles que RFI ou France Culture, comme quoi il est bon, parfois, de subventionner la culture et l’intelligence.
La pièce que je viens d’écouter est semble-t-il celle par laquelle il commence à se faire connaître au-delà des frontières du Congo et de l’Afrique. Au Lebango, un pays imaginaire, Mallot Bayenda, simple instituteur, entend garder sa liberté de penser et d’agir. S’opposant à un petit potentat local ou bien à l’administration pour sauvegarder ce qui fait de lui un homme digne, il n’hésitera pas à payer le prix le plus fort.

Nous sommes au théâtre, les actions se succèdent avec rapidité, sans grand développement psychologique. Cela donne ici une pièce un peu creuse dans son propos, sans thèse véritablement nouvelle, mais les joutes entre les personnages, irréalistes par leur âpreté, sont intéressantes par ce qu’elles mettent en lumière du drame personnel qu’est l’absence de liberté, la corruption et le refus de la corruption. Il y aurait beaucoup à dire sur ces sujets, que Labou Tansi ne dit pas, mais ce qu’il dit est dit avec une verve et une absence de compromis que l’on peut saluer et qui ne décrasse pas qu’un peu les méninges.

59raton-liseur
Juin 2, 2019, 3:25 pm

42. Cheval de guerre - Michael Morpurgo ; traduction d’André Dupuis



Nous avons beaucoup travaillé sur la première guerre mondiale cette année avec mes élèves, centenaire oblige. Ils ont été très intéressés par le sujet et cela a donné à d’intéressants échanges. Histoire d’aller plus loin, je leur ai lu quelques livres sur le sujet, juste pour le plaisir de la lecture.
Je crois que, comme pour mes élèves, c’est mon premier livre de Morpurgo, et ce fut une découverte plutôt positive de cet auteur dont on dit beaucoup de bien. C’est un roman historique bien vu, qui montre tous les aspects de la guerre, passant d’un camp à l’autre, du front à l’arrière. L’histoire est narrée par un cheval, ce qui permet pour les enfants à la fois une certaine empathie et une distance par rapport aux horreurs décrites. Un procédé donc plutôt bien trouvé. On voit aussi l’évolution des techniques de guerre, ce qui en fait un livre très complet. Par contre, l’histoire n’est pas haletante. Pour les lecteurs qui ne peuvent se passer d’action ou de suspens, la lecture risque d’être assez frustrante.
Un petit bémol cependant. On manque un peu de repères temporels, ce qui rend difficile la compréhension des évolutions de la guerre. Et plusieurs historiques nécessitent un décryptage. La motorisation est évoquée, ainsi que toutes les nouvelles techniques de guerre, mais si l’enfant n’a pas déjà une bonne connaissance de cette période historique, ou s’il n’est pas accompagné de près dans cette lecture, il risque fort de passer à côté de beaucoup d’informations que Morpurgo distille tout au long du livre.
Un livre que je conseillerai donc facilement, que je pourrais aussi offrir, à conditions que les bonnes conditions de lecture soient réunies. Et je pense que je lirai la « suite », Le Secret de grand-père, même si je crois comprendre qu’elle aborde un tout autre sujet.

60raton-liseur
Juin 2, 2019, 3:26 pm

43. Nagori : La Nostalgie de la saison qui vient de nous quitter - Ryoko Sekiguchi



Les quatre saisons introduisent dans notre vie l’idée de la cycles qui se répètent, un peu à la manière d’un escalier en colimaçon. Pourtant, le temps de notre vie progresse, lui, selon une linéarité à sens unique, vers une dégénérescence irréversible. Cette temporalité interne, inhérente à notre corps, renforce encore notre aspiration aux saisons, au renouveau, à la renaissance.
(p. 51, Chapitre 4, “Saisons qui se répètent, saisons qui ne peuvent plus revenir”).

Je suis une néo-rurale dans toute sa splendeur. Et toute récente en plus, alors je m’extasie facilement sur les beautés de mon petit carré de verdure ; Voilà donc qu’en mars dernier je regardais, attendrie, les premiers signes du printemps, les oiseaux, la lumière, les plantes. Et de m’apercevoir à quel point on ressent mieux le temps qui passe, les saisons, lorsque l’on est à la campagne.
Alors quand je suis tombée, peu de temps après, sur une note de lecture concernant ce livre écrite par une lectrice dont je lis toujours les avis avec intérêt, je me suis laissée tenter, bien que ce livre soit bien éloigné de mes habitudes de lecture.
Car ce livre est une réflexion sur les saisons, plutôt à partir de la nourriture, qu’est-ce qu’un fruit de saison (et j’ai souri à l’évocation des fraises en mars, car j’avais fait une remarque outrée à peine quelques jours avant sur les fraises déjà présentes sur les étals du supermarché du coin…), pourquoi aime-t-on les plats de saison. Une réflexion sur la cyclicité et la linéarité.
J’ai par exemple appris que les saisons au Japon sont, selon les systèmes, 24 ou 72. Des chiffres qui s’accordent tellement mieux que nos 4 saisons cosmiques, aux changements incessants de la nature. Moi qui ai toujours été fascinée par la capacité de la culture japonaise à ritualiser le quotidien, à faire de la contrainte de la répétition une force émancipatrice, je découvre une autre facette qui m’émerveille un peu plus.

Ce fut donc une lecture agréable, qui m’a permis de faire une incursion dans des pages que je fréquente peu d’habitude, mais je dois avouer que j’en garde une impression mitigée. S’il y a beaucoup de réflexions intéressantes, de nombreuses références, j’ai en général trouvé le propos confus, tournant en rond sans une véritable progression de la pensée, un peu comme si tout était dit en quelques pages puis qu’il avait fallu délayer pour en faire un livre, certes très court, mais d’une taille suffisante pour être vendu. J’ai eu la sensation d’assister à une pensée en train de s’élaborer, peut-être même autour d’un verre, une dissertation impromptue d’intellectuelle, mais pas à un travail mûri, pensé, abouti. J’ai trouvé cela un peu dommage car cela enlève de l’intérêt à une lecture par ailleurs plaisante et érudite.

Un petit post scriptum en direction de l’éditeur. Pourquoi avoir enlevé le sous-titre sur la couverture pour les réimpressions, car c’est ce sous-titre, la nostalgie de la saison qui donne envie de lire ce livre et qui en évoque toute la saveur.

61raton-liseur
Modifié : Nov 17, 2019, 1:37 pm

44. La Constellation du chien - Peter Heller ; traduction de Céline Leroy



C’est tout ce qu’il me reste à présent. Ces choix-là. Et pourtant. Je ne veux pas tomber en panne sèche et m’écraser dans les hautes herbes à l’ouest de la vallée de Gunnison et mourir en essayant de parcourir cinq cents kilomètres à pied avec Jasper pour rentrer chez moi. Chez moi. Même si ce n’est pas grand-chose. Même si je n’ai rien à perdre. N’avoir rien à perdre c’est déjà quelque chose.
(p. 56, Chapitre 1, Partie 1).

Ce n’est pas qu’il ne reste rien. Il reste tout ce qui était avant, moins un chien. Moins une femme. Moins le bruit, la clameur de.
(p. 150, Chapitre 1, Partie 2).
Qui aurait cru que je serais allée à ma première rencontre littéraire dans la petite ville provinciale à côté de chez moi ? Pas même une ville secondaire, une ville tertiaire, voire quaternaire ? Et qui aurait cru que ce serait pour rencontrer un écrivain américain maintes fois primé ? Eh oui, il s’agissait de Peter Heller, qui a régalé son auditoire de nombreuses anecdotes, de quelques réflexions sur le processus d’écriture et de grands sourires ravageurs. Ce fut pour moi une belle expérience littéraire, nouvelle et agréable,
Alors, bien sûr, il m’a fallu me documenter un peu. Je dois avouer m’y être pris tard et n’avoir eu le temps de lire que quelques dizaines de pages avant la rencontre. Je l’ai fini bien longtemps après. J’avais repéré ce livre probablement à sa sortie en France si j’en crois la date à laquelle je l’ai entré dans ma longue liste de livres-à-lire-un-jour-peut-être. Mais la couverture, avec cet homme qui s’éloigne d’un feu avec son bidon d’essence, sous un ciel aux couleurs criardes et fausses m’avait rebutée. Cette fois, je ne me suis pas trop fait prier cette fois pour m’y plonger.
Et ce fut au départ une très belle surprise. On est après la catastrophe. Ce qu’est cette catastrophe n’est qu’évoqué. Il fait chaud, il y a une maladie a priori incurable, mais aucun besoin d’en savoir plus. Cela permet d’ailleurs de mieux s’identifier au personnage principal, qui est aussi le narrateur de cette histoire, Hig. Vivant près de Denver, cet homme est, à mes yeux d’habitante du vieux continent, l’archétype du cow-boy américain moderne. Il vit dans un de ces états mythiques de l’Ouest américain, il aime chasser et pêcher pour être au plus proche de la nature, il aime voler dans son Cessna pour se sentir libre. Un homme, un vrai, un peu caricatural, mais aussi très sensible, qui aime son chien plus que son voisin, qui lit de la poésie japonaise, qui aime les paria, et qui rêve à tout ce qui a été perdu tout en tentant d’aller de l’avant.
Il forme un duo improbable avec Bangley, lui aussi un archétype américain, mais plutôt de la catégorie vétéran du Vietnam, vétéran qui en est sorti renforcé et conforté dans ses jugements à l’emporte-pièce. La façon dont Peter Heller démarre son histoire, sans regarder vers l’arrière, lui permet d’exposer cette association comme un état de fait, sans avoir à la justifier alors qu’elle est plus qu’improbable, mais pourquoi pas. Elle permet à l’auteur, par l’entremise de son personnage-narrateur de beaucoup réfléchir à ce qu’est cette vie après la catastrophe. Qu’est-ce qui pousse à continuer, pourquoi le faire ? Hig est en général plus près de l’abattement que de l’espoir et semble en définitive continuer à vivre plus par habitude que par volonté même s’il s’accroche à chaque petite parcelle de plaisir avec l’énergie qui est celle du désespoir.
Toute la première partie du roman est donc véritablement intéressante, à deux bémols près. Le premier est qu’il faut s’habituer au phrasé très personnel de Peter Heller. Voulant rendre un style parlé, ou se réapproprier les théories du flux de conscience, Peter Heller manie en effet la ponctuation de façon très personnelle et passablement déroutante, mais j’ai fini par m’y faire et par me laisser porter. Le second bémol est qu’il faut aussi accepter de passer outre les réserves que l’on peut avoir face au deuxième amendement, car dans ce livre, on a la gâchette plutôt facile, et c’est un euphémisme que de dire cela.

Mais je crains que Peter Heller ne sache pas s’arrêter. Alors que les quelques premières centaines de pages se tiennent et forment un tout cohérent, il semble que l’auteur ait été rattrapé par la morosité de son personnage et ait eu besoin de se changer les idées. Il a alors donné un tout autre ton à son livre, avec, selon moi, un peu trop de sirop et de bien pensance pour rester cohérent et fidèle à son personnage et à son histoire. On oscille alors entre un espoir béat et artificiel (un deus ex machina au féminin, rien de moins) et des scènes de violence gratuite et incohérente. Pourquoi les personnages trouvent-ils normal de tirer sur tout ce qui bouge avant de connaître les intentions de leurs visiteurs et trouvent-ils anormal, quand ils arrivent eux-mêmes dans un nouvel endroit, d’être accueillis de la même façon qu’ils accueillent eux-mêmes les étrangers ?
Dommage, car le livre partait plutôt bien, mais il dérape en cours de route et j’en suis la première chagrinée car j’aurais aimé l’aimer jusqu’au bout. Ce livre étant le premier de Peter Heller, je vais me dire que c’est une erreur de débutant d’avoir laissé son histoire le déborder et je pense que je lui donnerai une autre chance, peut-être en sautant directement au troisième, Céline, quand il sera paru en poche. C’était l’objet de la rencontre à laquelle j’ai assistée et le sujet avait l’air plutôt intéressant. Et cette fois, la couverture a de bien plus belles couleurs…

62Dilara86
Juin 11, 2019, 1:13 pm

>59 raton-liseur: Je n'ai jamais connu d'instit' (ou de prof) qui fasse la lecture à ses élèves : c'est merveilleux que tu puisses le faire.

>60 raton-liseur: C'est intéressant qu'on n'ait pas eu du tout le même ressenti par rapport à ce livre, que j'ai vraiment adoré. Désolée si je t'ai donné de faux espoirs ! Ça m'a fait penser aux discussions sur Solaris, notamment dans le fil Reading Globally - Speculative Fiction : la plupart des gens semblent avoir au moins apprécié ce livre, alors que j'ai vraiment dû me forcer pour le terminer...

63raton-liseur
Juin 11, 2019, 1:44 pm

>62 Dilara86: Je crois que ça se fait de plus en plus, de faire la lecture à ses élèves. Je crois que j'y prends au moins autant de plaisirs qu'eux!

A propos de Nagori, je suis contente de l'avoir lu, ce fut une expérience intéressante, mais non, je n'y ai pas trouvé ce que j'y attendais. C'est le jeu...
J'ai lu au moins un autre livre trouvé en suivant tes lectures, Venin de Saneh Sangsuk et je viens d'en acheter un, Des amis de Nam-Ryong Baek... Une bonne façon de voir si nous avons des goûts similaires en matière de lecture! Cela promet d'être intéressant!

64raton-liseur
Juin 11, 2019, 1:47 pm

>62 Dilara86: Et je n'ai pas lu Solaris, mais j'ai essayé Mémoires trouvés dans une baignoire de Stanislas Lem, livre chaudement recommandé par M'sieur Raton, il m'est tombé des mains.
En voyant vos discussions sur Solaris, je me suis dit qu'il faudrait peut-être que je donne une autre chance à cet auteur, maintenant que j'ai plus de mâturité (hem, hem...), mais ce ne sera pas dans un avenir proche, je le crains.

65raton-liseur
Juin 12, 2019, 3:21 pm

45. Le Moine - Matthew Gregory Lewis, traduction de Léon de Wailly ; adaptation de Jean-Jacques Vierne, lecture de Daniel Mesguich
Et dire que l’auteur aurait écrit ce livre pour divertir sa mère… Quel étrange divertissement, et quel étrange présent à faire à sa mère ! On est ici dans le roman gothique dans son expression la plus crue. Dérangeant d’un bout à l’autre, ne reculant devant rien pour mettre le lecteur mal à l’aise, bravant les interdits moraux les uns après les autres, tombant toujours dans plus sordide alors que l’on croyait avoir atteint le fond...
Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire ce bouquin, et on ne m’y reprendra pas. Sade l’a aimé et ça ne m’étonne pas. Parce que c’est glauque au possible, mais aussi parce que, sous ses dehors provocateurs, c’est un livre de contestation. Il contient une charge virulente contre l’Eglise et toute son hypocrisie. Excessif aujourd’hui, il est, à l’époque de sa publication en 1796, extrêmement subversif. Si j’en crois ce que j’ai lu sur Sade (incapable de lire plus de quelques pages d’un de ses romans, j’en ai la nausée rien qu’en y repensant), c’est la même démarche. Les horreurs décrites ne sont pas là juste pour choquer, elles sont là pour dénoncer les apparences de la vertu, les faux-semblants d’une société corsetée dans ses principes et volontairement aveugle à ses déviances. C’est en partie à partir de ce type de roman que s’est forgée dans la société occidentale une défiance par rapport au pouvoir religieux, puis une remise en cause de sa tutelle. C’est à des romans de ce genre, entre autres, que l’on doit la liberté de penser dont l’on jouit aujourd’hui.
En conclusion, c’est une lecture intéressante d’un point de vue historique et pour ma culture générale. Mais une fois me suffira, et ce ne fut pas une partie de plaisir. Un lecteur averti en valant deux, du moins ici, à chacun de prendre ses responsabilités en décidant de lire ou non ce roman.

66raton-liseur
Modifié : Juin 12, 2019, 3:24 pm

46. Un Océan, deux mers, trois continents - Wilfried N’sondé


J’étais devenu une interrogation permanente pour ces homes aux raisonnements sommaires qui n’arriveraient sans doute jamais à comprendre que je pusse ressembler aux esclaves par la couleur de ma peau tout en bénéficiant des mêmes privilèges que leurs supérieurs hiérarchiques. Ils se méfiaient de moi et préféraient m’éviter, de peur que je perturbe leurs certitudes.
(p. 102, Chapitre 14).
J’ai découvert ce livre lors d’une rencontre avec l’auteur, organisée il y a peu à Rennes, dans le cadre du salon Rue des Livres. Des propos intéressants, une pensée bien construite qui donne envie d’en savoir plus. Il ne m’en a pas fallu plus pour acheter un exemplaire, me le faire dédicacer et, quelques semaines plus tard me lancer dans cet opus étonnamment court.
Etonnamment court, dis-je, car il s’agit pas moins de la biographie romancée du premier ambassadeur noir au Vatican, Dom Antonio Manuel, né Nsaku Ne Vunda quelque part sur les berges du fleuve Congo. Nommé ambassadeur par le roi des Bakongos, Alvaro II, suite à la requête du pape Clément VIII, il part en 1604 pour l’Europe, sur un bateau négrier français qui doit d’abord faire escale au Brésil pour livrer sa précieuse cargaison. Arrivé en Europe, il fera une halte de trois années dans les geôles de l’Inquisition espagnole, dont il sera enfin libéré en 1607 sur les instances du nouveau pape, Paul V. Après avoir brièvement rencontré celui-ci, il meurt, épuisé par les péripéties de son voyage. Le Pape, impressionné par la lumière se dégageant de son corps, le fait enterrer dans la basilique Sainte-Marie Majeure et demande à l’artiste Francisco Caporale d’en réaliser un buste en marbre noir (plutôt laid à mon goût si j’en crois les photos vues sur internet). Voilà, cela ce sont les faits historiques. Et à partir de là, Wilfried N’Sondé, auteur confirmé mais dont je n’avais que vaguement entendu parler, donne un corps et des sentiments à cet homme dont on sait peu.

Il est difficile d’entrer dans un livre dont on s’est fait une idée précise, ici suite à la rencontre avec l’auteur, et que l’on découvre autre. Ma lecture a été pour beaucoup parasitée par le fait que je n’ai pas retrouvé dans le texte les propos de l’auteur. Je l’ai en effet entendu décrire la complexité inhérente au commerce triangulaire, dont les responsabilités sont plus partagées que l’on nous le fait souvent croire, que la couleur de peau n’est pas le seul déterminant, puisque l’on pouvait traiter un noir à l’égal d’un blanc tant qu’il était bien né. Un roi portugais se sentirait ainsi plus proche d’un roi kongo (et par là même noir) que d’un simple matelot, blanc certes mais pauvre et sans ascendance. Wilfried N’Sondé dit aussi que la vie d’un esclave à vendre est plus précieuse que celle d’un matelot, puisque le premier est de l’argent à venir tandis que le second engendre des frais. Ce dernier point est certes évoqué en filigrane dans le livre, mais le premier ne m’est jamais apparu, même s’il est vrai que des noirs sont montrés dans des sphères de la société où on ne les attend pas habituellement, par exemple parmi les moines d’un couvent européen. Je n’ai donc pas vu ce dont l’auteur parle dans ses conférences, cette complexité des relations sociales de l’époque où l’argent et la naissance plus importante que la couleur de peau.
Par contre, une fois que j’ai réussi à me départir des attentes que j’avais face à ce livre, j’ai commencé à m’intéresser d’un peu plus près au personnage de Dom Antonio. Cet homme qui ne sait rien de la réalité du monde et qui la prend de plein fouet. Et pourtant, un homme inébranlable dans sa foi, dans sa foi en Dieu s’entend, pas dans sa foi en l’homme (quoique, mon propos est ici un plutôt réducteur).
Un homme qui reste en marge toute sa vie, éternel spectateur. Malgré son sacerdoce, il ne se rapproche pas de ses frères en captivité, se donnant l’argument qu’il lui faut préserver sa personne pour préserver sa mission. Puis spectateur des échauffourées entre marins, des brutalités des pirates, puis de celles de l’Inquisition. Spectateur toujours. Ou participant involontaire lorsqu’il tombe aux mains de l’Inquisition, mais là encore, spectateur de lui-même en quelque sorte. Et dans cette éternelle distance au monde et aux événements, un homme qui tombe de désillusion en désillusion. Appelé par son roi, dont il comprend vite qu’il est aux abois et victime des jeux de pouvoirs incessants, il voit cette figure garante de l’ordre ancestral se dissiper. Puis ce sont les riches armateurs sans pitié aucune, puis c’est l’Europe bien plus pauvre, sale et banale que ce qu’on lui avait raconté durant ses années de séminaire. Alors il ne reste que la figue du pape, ce berger de tous les fidèles, qui comprendra et qui remettra de l’ordre dans tout cela. Mais arrivé au terme de son voyage, Dom Antonio s’aperçoit que le pape n’est pas mieux que les autres hommes. Il ne lui reste plus que Dieu, directement, et comme ultime recours. Tombant de désillusion en désillusion, je ne veux pas augurer de ce que fut sa rencontre avec Dieu, pourtant une nouvelle désillusion serait dans l’ordre des choses. Mais ici je m’égare, car l’œuvre de Wilfried N’Sondé me parait profondément respectueuse de la religion, ce qui m’a d’ailleurs parfois dérangée.
Alors que penser de Dom Antonio, né Nsaku Ne Vunda ? Sur la quatrième de couverture, l’éditeur Actes Sud le compare à un Candide africain, et ce n’est qu’après ma lecture que je m’aperçois à quel point ce qualificatif est juste. Mais faux aussi. Car s’il décrit bien le caractère que Wilfried N’Sondé prête à son personnage et s’il résume bien son parcours semé de désillusions de plus en plus cruelles, ce roman n’est pas un conte philosophique, où un personnage est défini par un unique trait de caractère, pour en faire la personnification d’une thèse défendue par l’auteur. Le personnage est ici censé être réel. Alors que faire de cet homme qui reste un éternel spectateur effaré de la dureté du monde, un homme qui se lance à corps perdu dans une aventure qui s’avèrera vaine et qui, au soir de sa courte vie peut avoir la sensation de n’avoir rien fait, rien accompli ?
C’est finalement un personnage tragiquement pathétique que Wilfried N’Sondé décrit. A l’entendre, ce n’était pas son intention d’auteur, mais c’est ainsi que j’ai lu et reçu son livre. M’sieur Raton, avec qui je partageais mes impressions de lecture, a comparé cette figure à celle d’un martyr, et cela m’a paru assez juste. « Martyr » signifiant d’ailleurs « témoignage », c’est encore plus juste. Et cette lumière qui émane du corps de Dom Antonio après sa mort, n’est-ce pas un début de miracle qui en ferait un saint, certes non reconnu par l’Eglise, mais un saint noir tout de même ?

Etrange lecture, donc, d’un livre qui s’est révélé tout autre que ce que j’en attendais, mais dont la lecture n’a finalement pas été désagréable bien qu’un peu longuette (malgré le nombre de page finalement assez réduit). Je goûte peu la plume de Wilfried N’Sondé, j’ai eu du mal avec l’approximation de son vocabulaire maritime (même si j’ai essayé de l’excuser en me disant qu’on pouvait y voir le reflet de la méconnaissance de ce même vocabulaire de la part du personnage principal, tout en contemplation et jamais en action), j’ai eu des difficultés avec le personnage de Martin. Mais malgré ces insuffisances, c’est un livre que je suis contente d’avoir lu, et un livre qui était probablement difficile à écrire. Ils sont rares les livres où les héros sont présentés comme des héros positifs bien qu’ils soient dans la perpétuelle inaction, où les héros sont dans la contemplation permanente, et ce quelque soit le prosaïque et le sordide du monde qui les entoure. Etrange personnage que ce Dom Antonio, qui me tarabuste encore plusieurs semaines après la fin de ma lecture.
Un livre plein d’insuffisances donc (et le fait de ne pas avoir identifié les deux mers du titre n’est pas la moindre, mais c’est peut-être ma géographie qui est en cause…), mais qui laisse des traces, et c’est, j’imagine, la marque d’un bon roman. Ou du moins d’un roman que j’ai bien fait de lire.

67raton-liseur
Juin 15, 2019, 9:24 am

47. L’Indésirable - Louis Guilloux



J’ai découvert Louis Guilloux au détour d’une note de bas de page dans un autre livre, Besoin de mer, de Hervé Hamon, que je lisais dans ma petite chambre surchauffée alors que je vivais au Burundi, l’essence même du pays enclavé. Un auteur breton dont il est dit tant de bien, ami d’Albert Camus, qui est probablement mon auteur préféré ? Il fallait que je lise cela et, lors de mon passage suivant dans une librairie, j’ai acquis Le Sang noir, son roman le plus célèbre. Ce fut une lecture merveilleuse. Sombre, âpre, mais superbe. Un éblouissement de lectrice, à tel point que je n’ose pas le relire, bien que j’en aies envie depuis un bon moment déjà.
Alors quand je suis passée chez Dialogues, la librairie indépendante de Brest aux dernières vacances et que j’ai vu ce livre sur une table discrète dans un petit renfoncement, je n’ai pas pu m’empêcher de le prendre, et j’en ai commencé la lecture sitôt mon livre en cours terminé.
Car L’Indésirable est en quelque sorte le brouillon du Sang noir. C’est le premier roman écrit par Louis Guilloux, mais il n’a pas trouvé d’éditeur et Guilloux, qui en aurait lui-même reconnu les lacunes, n’y est jamais revenu. C’est donc un écrit de jeunesse, jugé inabouti tant par l’auteur que par un éditeur qui est proposé ici. Et c’est pourquoi il ne serait pas judicieux d’aborder Louis Guilloux avec ce texte, dont, même moi lectrice novice, je peux percevoir les insuffisances même si je n’arrive pas toujours à les nommer.
Pourtant, pour qui a lu et a aimé le Sang noir, c’est une œuvre très intéressante. On y retrouve effectivement les grands thèmes de l’œuvre et les archétypes des personnages. Si Le Sang noir est plus travaillé, plus profond, du moins dans mon souvenir, plus percutant aussi, on retrouve ici, dans un roman écrit dans l’immédiate après-guerre et qui s’inspire d’un fait divers de 1917, toute l’amertume et la désillusion de l’écrivain. Il avait tout juste vingt ans lorsqu’il écrivit L’Indésirable, mais il avait déjà une conscience aigue des bassesses dont l’âme humaine était capable, ces petites mesquineries lourdes de conséquence, ces recherches d’un dérisoire petit pouvoir personnel. A côté de cela, des personnages intègres, simples dans leurs valeurs et dans la façon de les vivre, parce que cela va de soi. Cela semble un peu manichéen lorsque je le dis ainsi, et ce n’est pas faire justice aux talents d’écrivain de Louis Guilloux, mais il faut reconnaître qu’il ne s’attarde guère aux subtilités des motivations de ses personnages. Par contre, il dépeint les états d’esprit et les cas de conscience des personnages qu’il aime avec une plume à la fois belle et précise qui me fait aimer à mon tour ces personnages avec lesquels je me sens toujours une immense empathie. Ses personnages ont les même tourments que moi, que ce soit dans cette œuvre de jeunesse non aboutie mais qui m’a donné envie de me replonger dans son œuvre ou dans des œuvres de sa maturité comme le merveilleux Sang noir ou le très émouvant Coco perdu.

68raton-liseur
Juin 23, 2019, 6:21 am

48. Rappel en trouble - Michel Sidoroff ; lecture de Arnaud Bedouet
Michel Sidoroff est réalisateur à Radio France, notamment de fictions radiophoniques. De temps à autres, il commet lui-même un texte, qui passe sur l’antenne. Parfois j’aime, parfois je n’aime pas. Cette fois, je suis partagée. C’était un texte agréable à écouter, léger, parfois drôle, souvent érudit. Mais tout cela forme un amas auquel je n’ai pas réussi à donner de sens ni de direction. Et je ressors de cette écoute comme si le texte avait glissé sur ma peau imperméable, ne me laissant aucune impression, ni passagère ni durable. Tant pis.

69raton-liseur
Juin 23, 2019, 6:22 am

49. L’apocalypse est notre chance - Sylvie Coquart-Morel et Sophie Maurer ; lecture de Tiphaine Rabaud-Fournier
Elle fait un peu pschitt cette histoire… Pourtant elle était bien partie. Une mort suspecte dans une université, une thésarde qui ne sait plus où elle en est, le personnel occulte de l’Elysée qui s’en mêle. Un cocktail varié et explosif le tout mêlant le genre, populaire s’il en est, du polar, avec un cadre élitiste au possible, celui de l’université et de la recherche la plus nébuleuse.
J’ai été prise dans cette histoire, voulant à tout prix connaître la suite, et puis à partir de l’avant dernière partie (sur quinze…), j’ai commencé à sentir que les deux auteures n’avaient plus rien à dire, et finalement, c’est bien ce qu’il s’est passé. Il n’y a pas eu de révélation, rien à la hauteur de l’ambiance si bien créée et du suspens si bien entretenu.
Je sors de cette lecture en me sentant flouée et je déteste ce sentiment, surtout lorsque l’on joue avec mon impatience. C’est bien dommage car il y avait matière à beaucoup de choses intéressantes.

70raton-liseur
Juin 23, 2019, 6:23 am

50. Nadine et Robert : le dernier voyage d’un poisson rouge - Delphine de Vigan ; lecture de Delphine de Vigan
Delphine de Vigan est une auteure française plutôt spécialisée dans l’introspection, alors c’est amusant de la voir se frotte à l’exercice de l’histoire pour enfant. Elle le fait à travers un sujet grave à hauteur d’enfant, celui de la mort d’un animal domestique, ici Nadine le poisson rouge. Il est question de la façon d’enterrer ce petit animal et de faire son deuil, avec une fin joliment ouverte et discrètement poétique. Simple, mignon et efficace.

71raton-liseur
Juin 23, 2019, 6:25 am

51. Lucia Petite Poète - Yannick Haenel ; lecture de Yannick Haenel
Décidément bien sympathique cette collection d’histoires pour enfants. Il y en a pour tous les goûts. Et ici, c’est une jolie histoire toute en poésie, dans laquelle il est question d’une petite fille qui se demande comment les étoiles tiennent accrochées dans le ciel et sur le merveilleux pouvoir de la lecture. Une phrase sur les documentaires qui m’a un peu froissée, opposant trop crûment (et injustement) réel et poésie, information et fiction, mais si l’on fait abstraction de ce détail, c’est un très joli livre audio, que je n’hésiterais pas à mettre entre les oreilles de tous les petits lecteurs en herbe.

72raton-liseur
Juin 23, 2019, 6:26 am

52. Les Amours de Jacques - Claude Régy ; lecture de Jean Parédès
(Not translated into English)

Une adaptation théâtrale de Jacques le Fataliste, de Diderot. J’avais lu cette œuvre lors de mes années d’étude. Pas vraiment une lecture forcée, mais très vivement encouragée. Et, même si je n’avais pas tout compris, si beaucoup de réflexion m’étaient passées un peu au-dessus de la tête, je me souviens d’avoir beaucoup apprécié cette lecture et je m’étais alors promis de le relire, un jour, loin des contraintes scolaires, pour m’en délecter tout à loisir.
Je n’ai pas eu l’occasion de mettre ce projet à exécution, et j’espérais que cette petite œuvre théâtrale me donnerait l’occasion d’en avoir un avant-goût. Hélas, j’ai l’impression que cette pièce réduit l’œuvre de Diderot à la narration des amours de Jacques (en cela le titre ne ment pas), et en enlève tout le piquant, tout l’aspect philosophique que Diderot y a mis. Ce fut donc une œuvre bien fade à écouter mais qui, paradoxalement, me donne encore plus envie de relire le vrai, le seul Jacques le Fataliste, pour y redécouvrir tout le piquant.

73raton-liseur
Juin 23, 2019, 6:27 am

53. Infidèles - Ingmar Bergman, traduction de Vincent Fournier ; lecture de Fanny Cottençon et Roger Planchon
Première incursion dans l’œuvre de Bergman (ma culture cinématographique est plus que pauvre, et je ne me soigne pas vraiment), et je suis un peu déçue. Certes, il y a une sombre histoire de drame intime entre des personnes très bien éduquées des milieux artistiques, mais ce ne sont ni mon milieu ni mes préoccupations. Certes, il y a une réflexion probablement intéressante sur la création et le rapport entre l’auteur et son personnage, mais c’est un thème qui me passe bien au-dessus de la tête.
L’écoute de cette pièce dans la mise en scène que j’ai est d’ailleurs assez éprouvante. On a sans arrêt l’impression que les acteurs ne savent pas leur texte. C’en devient pénible et agaçant. Je suppose que cela se veut une traduction de l’acte d’écrire, une façon de représenter de façon palpable le processus de création, mais cela donne une écoute laborieuse, poussive, qui est loin d’aider à l’immersion du lecteur dans l’œuvre.
Un scénario tout en intellectualité donc, mais de celle que je trouve étriquée et repliée sur soi, une intellectualité dont je me sens exclue parce que je n’en partage ni les codes ni les aspirations. En résumé, un film nombriliste qui ne regarde pas les nombrils qui m’intéressent.

74raton-liseur
Juin 26, 2019, 9:55 am

54. Carnet de bal, nouvelle extraite du recueil Des putains meurtrières - Roberto Bolaño, traduction de Robert Amutlo ; lecture collective
Roberto Bolaño est un auteur intriguant, que je découvre ici à travers une nouvelle qui raconte, en quelques soixante phrases ou courts paragraphes numérotés comme autant d’entrées d’un carnet de bal, sa vie, ou du moins des fragments significatifs de sa vie.
Sous le signe de la poésie et de la politique, Bolaño vagabonde dans ses souvenirs, plus ou moins avérés, plus ou moins rêvés. Une entrée de plain pied dans l’univers de l’auteur, mais tout cela me fait un peu peur et, si Bolaño est un auteur que j’aimerais découvrir, je dois avouer que je me sens intimidée et même un peu effrayée par une poésie que je ne sais pas décrypter. Il me faudra danser d’autres danses avec Roberto Bolaño avant de savoir si nous serons des partenaires de bal bien assortis.

75raton-liseur
Modifié : Juin 26, 2019, 9:57 am

55. Un coup de tonnerre, nouvelle extraits de Les Pommes d’or du soleil - Ray Bradbury, traduction de l’anglais par Richard Negrou ; lecture de Féodor Atkine
Il est bien difficile de faire une note de lecture après l’écoute d’une seule nouvelle d’un auteur. C’est bien trop court pour prendre la mesure du talent d’un écrivain. Pourtant, cette nouvelle se suffit à elle-même. Malgré le titre, c’est de voyage dans le temps qu’il est question ici. Et pas la peine de chercher les grandes aberrations temporelles qui font la joie habituelle des auteurs de science-fiction, on est ici dans la subtilité, le rien.
Et tout cela est décrit avec une très belle maitrise, un style tout en délicatesse et en retenue. J’ai passé un très bon moment, redécouvrant après bien des années un auteur découvert pendant mon adolescence (et qui m’avait alors peu intéressée). On peut se laisser bercer par la langue, on peut méditer sur la contingence de la vie. Et avoir envie d’ouvrir un livre de Bradbury, pour redécouvrir un auteur à côté duquel j’ai bien failli passer.

76raton-liseur
Juin 26, 2019, 9:58 am

56. La Petite Roque - Guy de Maupassant ; lecture d’Arnaud Bédouet
Bien que cette nouvelle soit plutôt célèbre dans l’œuvre de Maupassant, je ne l’avais jamais lue. Je ne connaissais pas non plus ce côté très noir de Maupassant, puisqu’il est question ici d’un crime, et le plus sordide de tous, le viol et le meurtre d’une fillette, et de l’impunité dont bénéficie son auteur. Relativement longue, elle permet à Maupassant de développer son art de la description et de nous livrer quelques phrases finement ciselées.
Si je retrouve donc le Maupassant dont j’ai l’habitude, mais dans un contexte nouveau. Assez dérangeant car c’est un sujet auquel la littérature du XIXème siècle ne m’avait guère habituée, mais pas inintéressant.
Cette nouvelle ne détrône pas Boule de Suif, qui est ma nouvelle préférée de Maupassant, et ce depuis que je l’ai lue en 5ème, mais je suis contente de l’avoir lue et de découvrir une nouvelle facette de cet auteur protéiforme avec lequel j’ai une relation en dent de scie.

77raton-liseur
Juin 26, 2019, 9:59 am

57. Le Scalpel, le Sang : Georg Büchner, biographie générale - Frédéric Metz ; adaptation d’Irène Bonnaud, lecture par les élèves de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne
Les polices savent bien que tout cela, sur un sol où c’est venu, peut réapparaitre aussi vite que c’était parti et que c’est un chiendent. On a mis le sol propre, des racines sont quelque part qu’on ne voit pas. Cette remarque nous aurions pu la mettre à la fin de notre livre. Elle aurait fait la lueur dans la nuit, qui va le fermer. C’est l’optimisme du chiendent, qui est l’optimisme légitime de toute grève. La vie revenante, même extirpée, arrachée, foulée, détruite par les meilleures polices. La vie est revenue toujours sur le sol remis propre : du chiendent.
Une bien étrange lecture, dans laquelle je me suis lance après une erreur d’homonymie sur le nom de l’auteur. Je ne me serais pas lancée, de mon propre chef, dans une biographie de Georg Büchner, un médecin et révolutionnaire allemand mort à 23 ans en 1837.
Ce n’est pas une biographie au sens classique du texte, plus un travail en spirale, qui essaie, couche après couche, de rendre compte de la complexité d’une vie courte mais diverse.
Je n’avais jamais entendu parler de ce personnage et, si la forme m’a déroutée, j’ai appris beaucoup sur la naissance du socialisme alors que Karl Marx n’a pas encore commencé à écrire. J’ai vu ce monde en ébullition, qui allait donner naissance à de nouvelles idées longtemps fécondes. Ce fut donc une lecture instructive, même si la forme m’a parfois perdue et que j’ai l’impression que ce livre s’adresse plutôt à des lecteurs qui ont déjà une bonne connaissance historique de ce qui est décrit.

78raton-liseur
Juin 26, 2019, 10:01 am

58. Olga, le canard et le petit garçon battu - Geneviève Brisac ; lecture de Geneviève Brisac
Une fillette qui sait ce qu’elle veut, un canard qui parle, cela aurait pu donner un conte intéressant. Mais je dois avouer que je n’ai pas trouvé dans cette histoire pour enfant la petite étincelle qui fait que l’on a envie de la lire et à relire à un petit bout d’apprenti lecteur. Tant pis, j’oublie celle-là dans la collection des « Oli » de France Inter, et j’irai fureter ailleurs pour trouver des petites pépites insoupçonnées.

79raton-liseur
Juin 26, 2019, 10:02 am

59. Sainte Cécile ou la puissance de la musique - Heinrich von Kleist, traduction d’Armel Guerne ; lecture de Gabriel Dufay
Une nouvelle très marquée par la religion, où s’affrontent catholicisme et protestantisme, ou mieux, le décorum de la religion romaine et le dépouillement de l’iconoclasme. C’est le pouvoir de la musique et des saints qui, comme l’annonce le titre, triomphe.
Connaissant peu von Kleist, il m’est difficile de replacer cette nouvelle dans son œuvre, et je dois avouer qu’elle m’a laissée indifférente, car, peu réceptive aux miracles, le sujet ne me touche guère et son traitement ici ne le rend pas plus intéressant pour moi. Une lecture classique qui enrichit, je suppose, ma culture, encore faudrait-il qu’elle me marque assez pour que je m’en souvienne.

80raton-liseur
Juin 26, 2019, 10:03 am

60. Le Testament des gouttes de pluie - Einar Már Guðmundsson ; traduit de l’islandais par Eric Boury



Un beau titre, l’idée du réalisme magique à la sauce islandaise, j’avais repéré ce livre depuis longtemps... Alors quand il est sorti en poche, je n’ai pas pu résister et je me le suis offert quand est venu le moment d’utiliser les points accumulés sur ma carte de fidélité à la librairie. Hélas, trois fois hélas, j’ai eu toutes les peines du monde à lire ce livre dont je n’ai compris ni les tenants ni les aboutissants.
On est un soir d’orage à Reykjavik, où l’on suit plusieurs personnages plus ou moins hauts en couleur. Un vieux raconteur d’histoires un peu imbibé, le gardien halluciné du jardin botanique, la très discrète femme du pasteur… Cela aurait pu être intéressant, ou agréable à lire, mais je n’ai pas aimé ce langage imagé qui se veut poétique mais que je trouve agressif, et je n’ai pas vu où voulait m’emmener l’auteur, ce qu’il avait à me raconter.
A la fin du livre, et je me suis accrochée pour donner jusqu’au bout une chance à l’auteur, je me demande ce qui l’a poussé à prendre la plume, pourquoi il a voulu écrire ce livre, et je n’ai pas le moindre commencement de réponse à cette question. Aurais-je mieux apprécié ce livre si j’avais su avant d’écrire cette note de lecture que c’était le dernier d’une trilogie ? Je suppose que non, les deux premiers tomes ne semblant pas avoir été traduits en français. Tant pis, il y a beaucoup d’autres auteurs islandais dont je me régale, alors je suppose qu’un de perdu, c’en seront dix de retrouvés.

81Dilara86
Juin 28, 2019, 4:09 am

>80 raton-liseur: Le concept m'attire, je dois avouer. Dommage que le résultat ne soit pas satisfaisant... Et alors, traduire le troisième tome mais pas les deux premiers, c'est une décision incompréhensible !

82raton-liseur
Juin 28, 2019, 6:34 am

>81 Dilara86: Oui, l'idée était intéressante, mais je suis complètement passée à côté de ce livre.
Il faut nuancer mon propos quand même, ce livre a eu un beau succès, en France aussi, donc j'imagine que l'on peut lire le troisième sans avoir lu les deux premiers opus de la trilogie, et l'apprécier quand même. Mais ce ne sera pas moi.

83raton-liseur
Juin 30, 2019, 5:29 am

61. En Famille - Guy de Maupassant ; lecture d’Anne Benoît
Maupassant dans toute sa mordante férocité. La petite bourgeoisie étriquée, avec ses petits rêves, ses petites mesquineries, ses petits calculs, tout est là, ramassé en quelques pages. Un portrait au vitriol d’une couche de la société que Maupassant honnissait et qui le lui rendait probablement bien (à condition d’en avoir entendu parlé…). J’ai oscillé, pendant cette lecture, entre jubilation un peu méchante et consternation.
Une nouvelle de Maupassant plutôt connue, étudiée parfois dans nos lycées, et c’est à raison.

84raton-liseur
Juin 30, 2019, 5:32 am

62. L’Amie prodigieuse - Elena Ferrante, traduit de l’italien par Elsa Damien ; adaptation de Victoire Bourgeois, lecture d’Amira Casar

Je le concède, je suis parfois très loin de l’actualité littéraire. J’étais par exemple passée totalement à côté de cette auteure, dont je n’ai entendu parlé pour la première fois il n’y a que quelques semaines, et cela dans des termes tellement élogieux que je me suis tout de suite méfiée. Mais, plutôt curieuse de nature, je ne me suis pas fait prier pour me plonger dedans lorsque j’en ai trouvé un enregistrement, sans me départir d’une pointe de scepticisme.
Et j’ai été happée, littéralement happée par ce texte. J’ai suivi avec avidité les quatre cent coups d’Elena et de Lila, et surtout leurs rêves, leurs espoirs, leur relation aux études et à leur milieu. Des petites filles qui se ressemblent, toutes les deux douées pour les études, mais qui n’auront pas les mêmes opportunités et qui devront composer avec ce que la vie leur donne. C’est, en creux, sans jamais donner de leçon ni asséner des vérités à l’emporte-pièce, une réflexion sur la fidélité à son histoire familiale, sur la réalisation de ses désirs personnels, sur le fragile équilibre entre les deux, que l’on recherche peut-être tous sans jamais le trouver.
J’ai été surprise par la fin abrupte de ce livre, et je la comprends mieux maintenant que je sais que je n’ai en réalité écouté que le premier tome d’une longue saga. Je n’ai maintenant qu’une envie, celle de me plonger dans le reste de cette histoire, comprendre comment ces deux demoiselles au caractère si trempé vont mener les premières années de leur vie d’adulte, vont voir leurs rêves, leur espoirs et leurs illusions s’entrechoquer avec la difficile réalité.
Voilà un livre fascinant, qui m’a hantée pendant tout le temps où je l’ai lu, grappillant chaque petite minute possible pour retrouver les deux héroïnes, avec un faible pour Elena, la narratrice, je dois l’avouer. Et des personnages qui ne me quittent pas une fois la dernière phrase écoutée. Alors qu’importe toutes les spéculations autour de l’auteure. Elle veut garder son anonymat, soit, autant le respecter et ne pas chercher à en savoir plus. Ce qui compte chez un écrivain, c’est son œuvre et, ici, l’œuvre est suffisamment prodigieuse pour qu’elle se suffise à elle-même. Une merveilleuse découverte, et je ne m’arrêterai pas en si bon chemin.

85raton-liseur
Modifié : Juin 30, 2019, 5:37 am

63. Un Royaume sous la mer - Henri Queffélec



Je pensais, en lisant ce livre, pouvoir réduire d’une unité le nombre de livres qui dorment depuis trop longtemps sur les étagères sans que je les aie jamais ouverts. Mais les premières pages m’ont semblé bien familières, puis il y a eu l’épisode des radis et là, je me suis dit qu’il y avait anguille sous roche (ou julienne au fond de la mer). Je me suis donc aperçue, en venant farfouiller sur ce précieux site qui recense toutes mes lectures depuis bientôt dix ans que j’avais déjà lu ce livre, en 2013, cela ne nous rajeunit pas ma bonne dame…
Et ma note de lecture était plutôt acerbe à l’époque. Je crois que je vais être plus clémente aujourd’hui, j’ai été plus sensible aux tiraillements entre la fierté de pêcher, de ramener le plus de poissons possible et les inquiétudes face à la raréfaction des ressources. Il n’est pas facile de changer ses pratiques, de savoir placer sa fierté ailleurs que là où on l’a toujours mise, et où nos pères ont mis la leur avant nous.
Par contre, je suis toujours aussi agacée par les tensions conjugales qui font la trame narrative de ce livre. Trop mélodramatique pour moi, tout à fait dispensable. Est-ce un poncif des romans de mer de dépeindre ainsi le brave, fier et valeureux capitaine comme un homme malheureux en amour ? Roger Vercel utilise la même trame dans le célèbre Remorques ou le moins célèbre Jean Villemeur, et cela devient lassant. Certes, c’est un peu l’Albatros de Baudelaire (toutes proportions gardées !), l’intrépide homme de mer que ses ailes de géant empêchent de marcher dès qu’il rejoint le plancher des vaches, mais au bout de quelques livres, cela devient un marronnier, et j’attends mieux d’un roman maritime.

86raton-liseur
Juin 30, 2019, 5:39 am

64. Thomas - Dominique Douay



J’avais participé, il y a plusieurs années maintenant à un défi de lecture de nouvelles, et j’avais, à cette occasion, gagné quatre nouvelles choisies dans le catalogue des éditions Armada. Cela était tombé dans l’oubli et je suis tombée sur ces fichiers il y a peu, un peu par hasard. Maintenant que j’ai une liseuse électronique toute neuve, je peux enfin les lire, il était plus que temps…
Je commence par cette nouvelle, il faut bien commencer quelque part. Et je ne me souviens absolument plus de pourquoi je l’ai choisie. J’apprends avant même de commencer qu’elle a gagné le Grand Prix de l’Imaginaire en 1975. Cela date, mais cela place aussi la barre un peu haut, ce qui n’est pas une bonne chose parfois, ce qui n’est pas une bonne chose cette fois.
On découvre deux hommes dans un monde immensément plat et blanc. Une femme arrive dans ce monde immensément plat et blanc. Les bas instincts ne sont pas longs à se manifester, pas longs du tout... Tout cela dans une langue parlée et crue, qui se complait dans sa pauvreté et sa crudité. Puis on découvre que l’on est dans le cerveau d’un des personnages, et que ce cerveau est contaminé par une chose étrange, et….
La nouvelle était peut-être intéressante dans les années 70, mais elle me semble aujourd’hui assez banale et je n’ai pas une connaissance historique du genre pour l’apprécier dans son contexte. Je me suis donc plutôt ennuyée, mais j’imagine que des lecteurs plus versés que moi dans le genre y trouveraient leur compte.

87raton-liseur
Modifié : Août 9, 2019, 1:46 pm

65. La Garçonne - Victor Margueritte



J’ai entendu parler de ce livre des années 1920 il y a quelques mois au détour d’une émission de France Culture. Il était question de la façon dont ce livre avait contribué à définir ce qu’était la garçonne, mais aussi du scandale que ce livre avait créé, allant jusqu’à valoir le retrait de sa légion d’honneur à l’auteur, sanction qui n’avait jamais été prise avant cela… Il était précisé que c’était un livre érotique, ce qui n’est guère ma tasse de thé, mais ce livre m’intriguait et, comme il est maintenant dans le domaine public, j’ai profité de l’acquisition de ma nouvelle liseuse pour me plonger dedans.
Il me faut d’abord préciser, avec une lecture près de centa ans après la publication de ce livre, que le qualificatif érotique ne s’applique pas. Beaucoup de choses qui peuvent choquer certes, les relations hors mariage, mais surtout la bissexualité assumée, la domination de la femme dans le couple, mais aucune description explicite, rien de graveleux. Mais Victor Margueritte n’a pas pour autant froid aux yeux. Il décrit une certaine réalité des années folles, concentre sur son personnage toutes les extravagances du moment, et il faut avoir le cœur bien accroché pour la suivre dans toutes ses expériences et expérimentations. Il y a le sexe, mais aussi la frénésie des soirées dansantes, la décadence de la consommation de drogue, tout y passe.
Mais Victor Margueritte donne un sens à tout cela. Monique Lerbier, son héroïne est en fait une femme de principe. D’une morale pure et exigeante, elle refuse les compromissions de la société et c’est parce qu’elle est bafouée qu’elle décide de vivre de façon libre et au grand jour. Mais très vite, Monique Lerbier se retrouve face à une existence vide de sens. Elle cherche alors dans la maternité ce sens qui lui échappe, mais la maternité lui étant refusée, elle se laisse sombrer dans une spirale d’auto-destruction, dont elle ne sortira que grâce à une confiance retrouvée dans les hommes (du moins certains hommes) et dans l’amour.
Et c’est dans ce propos que le livre pêche un peu car au fond, la morale est sauve, tout rentre finalement dans l’ordre et la société bourgeoise sort tout juste un peu égratignée. Certes, Monique Lerbier ne renie pas ses convictions profondes et réussit finalement à trouver un mode de vie qui convient tout autant à la société qu’à elle-même. Si bien que ce roman provoque beaucoup mais ne va pas au-delà. Il ne présente rien de radicalement différent, et finalement Monique Lerbier ne trouve son équilibre qu’en réalisant son rôle de femme, à savoir celui de l’épouse et probablement de la future mère.

Malgré cela, ce livre a été passionnant à lire. D’abord parce qu’il faut le replacer dans son époque, celle de l’entre deux-guerres, ensuite parce qu’il est intéressant de comprendre pourquoi il a en même temps été un grand succès de librairie et a fait scandale. Il met en effet à mal beaucoup des faux semblants de la société de l’époque, les tiraillements qui existent déjà entre la morale sociale et la libération de l’individu, il s’inscrit dans les débuts de l’émancipation des femmes, fruit inévitable des bouleversements de la première guerre mondiale car on ne envisager un simple retour en arrière.
En lisant ce livre, j’ai pensé au Tour du malheur de Kessel pour la période historique et la façon dont on a pu s’enivrer de musique et de danse pour oublier la vacuité de la vie ou bien aux Chemins de Katmandou de Barjavel pour les personnages qui cherchent l’oubli dans la drogue. C’est une lecture parfois déstabilisante, parfois frustrante, mais intéressante pour son caractère historique et pour ce qu’elle dit de la société de l’époque et du chemin que l’on a fait depuis et qu’il reste à faire. Et si ce livre est plein d’imperfections, je crois que l’on peut lui appliquer ce que l’auteur écrit à propos de son personnage : elle a beaucoup tenté, mal peut-être, maladroitement parfois, mais elle a tenté.

88Dilara86
Juil 1, 2019, 2:29 am

>86 raton-liseur: Je compatis pour le Dominique Douay. J'ai lu Car les temps changent, et je n'ai pas trouvé ça transcendant... Son écriture et sa façon de traiter les sujets ont un côté Fleuve noir. C'est à l'opposé de ce que je recherche en SF. Et c'est vrai que c'est bien daté. Le milieu de l'édition SF a fait des efforts ces derniers temps pour remettre en avant et ré-éditer des auteurs un peu oubliés comme Dominique Douay, Nathalie Henneberg ou Julia Verlanger mais tout n'est pas de qualité...

>87 raton-liseur: La Garçonne me tente, par contre ! Merci pour ce billet qui m'a fait découvrir un nouveau titre.

89raton-liseur
Juil 1, 2019, 5:50 am

>88 Dilara86: J'ai continué dans la collection et j'ai trouvé des nouvelles qui m'ont plus plue, mais rien de transcendant... C'est difficile de trouver de la bonne SF récente, mais je ne désespère pas.

La Garçonne est vraiment intéressant. Je découvrais encore ma nouvelle liseuse et j'ai effacé toutes les citations que j'avais notées, mais il y a vraiment des passages qui valent le coup, pas forcément pour leur grande qualité littéraire, mais pour ce qu'ils disent de notre société et du féminisme. C'est une perspective historique partielle certes, mais à connaitre. Je serais intéressée de lire un autre avis dessus!

90Dilara86
Juil 1, 2019, 8:50 am

<89 C'est difficile de trouver de la bonne SF récente, mais je ne désespère pas.

Il n'en faut pas plus pour me lancer sur un de mes dadas ! Sachant ce qu'on dit des goûts et des couleurs, je ne peux pas garantir que ça va te plaire, mais en SF récente, j'ai apprécié les titres suivants :

Français : Pollen de Joëlle Wintrebert, Étoiles mourantes d'Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach, La Horde du Contrevent d'Alain Damasio (tire sur la fantasy), Sous béton de Karoline Georges (si on a le coeur bien accroché - c'est violent).

Anglais : Le temps du déluge et le reste de la trilogie de Margaret Atwood, tous les China Miéville que j'ai lus (perso, j'adore, mais les avis sont polarisés : il a une écriture et une imagination très baroques qui ne plaisent pas à tous), tous les Octavia Butler, Anatèm de Neal Stephenson (si on aime les pavés et la philosophie des sciences), les livres de la série Xuya d'Aliette de Bodard (pas sûre qu'ils aient été traduits en français, mais ça va venir !), La Justice de l'ancillaire et les autres de la série d'Ann Leckie.

Chinois : Membrane de Ta-Wei Chi

Suédois : Amatka de Karin Tidbeck

Personnellement, j'ai plus de mal avec les classiques de l'Age d'or de la SF, qui révèlent trop souvent un sexisme et une étroitesse d'esprit à pleurer...

91raton-liseur
Juil 1, 2019, 9:22 am

>90 Dilara86: Il va falloir que j'explore tes suggestions, cela paraît bien alléchant!

Quelques noms me sont familiers. Damasio par exemple, dont j'avais aimé La Horde du Contrevent mais sans plus. Ou Mieville, dont j'ai adoré The City & the City, mais à en croire M'sieur Raton, une fois qu'on a lu celui-là les autres paraissent un peu fades.

Et puis bon, en néophyte qui tape plus vite que je ne pense, je parle de SF, mais c'est, sous mes doigts, très abusif. Je suppose que je devrais parler d'anticipation et de fantasy?
En tout cas, M'sieur Raton, encore lui, s'est replongé avec plaisir dans les Ursula LeGuin et maintenant les Ray Bradbury et a l'air d'y trouver plus son compte que tout ce que je lui ai suggéré de lire de la SF récente, que ce soit Pierre Bordage, Cixin Liu ou Antoine Bello. Il est plus versé que moi dans ce type de littérature et je me contente souvent de le suivre en fonction de ses propres avis de lecture. Il a tellement l'air d'apprécier Bradbury que je me prends à avoir envie de m'y mettre moi aussi!

92raton-liseur
Modifié : Juil 1, 2019, 3:03 pm

Ah, et je n'ai pas eu le temps d'ajouter cela dans mon dernier message. Tu cites de Margaret Atwood. On en entend beaucoup parler en ce moment avec La Servante écarlate.
Puisque tu recommandes cet auteur, par quel titre proposerais-tu de commencer?

93Dilara86
Juil 3, 2019, 1:18 pm

>91 raton-liseur: Ou Mieville, dont j'ai adoré The City & the City, mais à en croire M'sieur Raton, une fois qu'on a lu celui-là les autres paraissent un peu fades.
Et pour moi, c'est le contraire. C'est celui que j'ai trouvé le moins intéressant, toutes proportions gardées...

En tout cas, M'sieur Raton, encore lui, s'est replongé avec plaisir dans les Ursula LeGuin et maintenant les Ray Bradbury et a l'air d'y trouver plus son compte que tout ce que je lui ai suggéré de lire de la SF récente, que ce soit Pierre Bordage, Cixin Liu ou Antoine Bello. Il est plus versé que moi dans ce type de littérature et je me contente souvent de le suivre en fonction de ses propres avis de lecture. Il a tellement l'air d'apprécier Bradbury que je me prends à avoir envie de m'y mettre moi aussi!
LeGuin et Bradbury sont des pointures et des auteurs à part ! Forcément, à côté, Bordage et Cixin Liu ne font pas le poids... (Je ne me prononce pas sur Bello - je ne connais pas.)

>92 raton-liseur: Pour ce qui est d'Atwood, ça dépend un peu de tes goûts. Il ne faut pas oublier qu'elle a une production très variée, avec de la poésie, de la littérature blanche, de la SF axée biologie/dystopie et de la dystopie pure.
Littérature blanche, généralement plutôt psychologique : j'ai beaucoup aimé Alias Grace, The Blind Assassin et The Robber Bride
SF axée biologie/dystopie : la trilogie MaddAddam, avec une petite préférence pour Le temps du déluge
Dystopie : la fameuse Servante écarlate.

94raton-liseur
Juil 8, 2019, 12:07 pm

>93 Dilara86: Intéressant ton opinion sur Mieville. Je vais peut-être me laisser tenter par un autre titre alors.
Et merci pour les pistes sur Margaret Atwood, je crois que je vais laisser une certaine part de hasard décider, en fonction des livres d'occasion sur lesquels je pourrai mettre la main.

Mais pas tout de suite, j'ai une liste d'idées longue comme le bras pour cet été!!!

95raton-liseur
Modifié : Août 9, 2019, 1:46 pm

66. Le Cercle sauvage - Anne Sibran ; lecture de Chloé Réjon
Décidément, j’aime la plume d’Anne Sibran, sa capacité à décrire, à faire sentir. Il ne se passe pas grand-chose dans cette pièce radiophonique, pas plus que dans la précédente que j’ai écoutée, Géographie du Purgatoire, mais je me laisse facilement emporter par ses descriptions, ses pensées.
Anne Sibran est ethnologue, et elle en a le regard attentif. Mais elle est surtout rêveuse, car la signification qu’elle donne à tous les petits détails qu’elle nous rapporte est plus de l’ordre d’une quête mi-philosophique mi-onirique à laquelle elle nous convie à sa suite.
Si Géographie du purgatoire était un écrit très personnel, ici, le sujet est plus proche de l’ethnographie justement, puisqu’il est question des peuples non contactés, ces groupes qui vivent dans la forêt amazonienne et qui n’ont pas eu aucun contact avec notre civilisation (du moins de ce que nous savons, et suffisamment pour refuser de faire plus ample connaissance). Se posent tout un tas de problèmes éthiques : doit-on les contacter en premier, décider pour eux qu’il ne faut pas qu’ils connaissent notre civilisation, comment comprendre leur mode de vie, ou au moins le respecter sans pouvoir l’étudier ? Comment réagir à leurs réactions violentes, telles une pluie de flèches sur une embarcation qui passe tout simplement sur le bras du fleuve ? Et si l’on met tout cela dans le contexte d’une zone de plus en plus grignotée par l’exploitation minière, qu’est-ce que cela donne ?
Anne Sibran n’évacue aucune de ces questions, mais elle n’y répond pas non plus. Elle est spectatrice d’un monde qui la fascine mais dont elle n’est pas, et elle assume tout à fait ce rôle de spectatrice, de témoin. Elle donne à voir, avec une immense bienveillance (toutes les personnes rencontrées, même celles qui semblent un peu frustres, avec des jugements un peu à l’emporte-pièce sont traités avec un immense respect et beaucoup de douceur dans l’écriture), et c’est à chacun de se faire, s’il le désire, une opinion.
C’est un très beau texte, d’une grande simplicité, de cette simplicité qui met en relief la justesse du choix des mots et la mélodie de l’agencement des phrases ; C’est une déambulation au fil des chemins invisibles, au fil de l’eau boueuse, dans les rais d’un visage de fillette qui s’évanouit dans le mouvement des feuilles.

96raton-liseur
Modifié : Août 9, 2019, 1:47 pm

67. Le Renard et le poulailler - Guillaume Meurice ; lecture de Guillaume Meurice
Un bon cru que ce livre audio pour enfant. On est dans le registre de la fable, la fable à tendance humoristique si cela existe.
Les poules devisent toute la journée et ne dédaignent pas les conversations philosophiques. Alors quand le renard vient mettre à l’épreuve leurs principes, on assiste à une joute entre rhétorique et sophisme qui est plutôt savoureuse, et qui ne finira pas comme on pourrait s’y attendre.
Il y en a pour tous les âges dans cette histoire, de 7 à 77 ans comme dit l’expression consacrée. Les plus petits pourront s’amuser des saillies drolatiques et de la lecture guillerette de Guillaume Meurice, les plus âgés pourront s’amuser de la leçon de morale et se demander ce qui prime, des principes ou du pragmatisme (une question au combien d’actualité dans notre douce France, et l’on retrouve là l’inspiration de l’auteur, humoriste politique sur France Inter).

97raton-liseur
Août 9, 2019, 1:47 pm

68. Héloïse, Artémis et le sort Premium - Chloé Delaume ; lecture de Chloé Delaume
Mignonne cette petite histoire, qui rappellera à nos chères têtes blondes (et moins blondes) qu’il est effectivement bon de chercher à être complimenté, mais que cela ne vient pas seul. Il faut faire des efforts, mériter ces compliments, et c’est cela qui les rend véritablement savoureux.
Un langage simple et actuel pour illustrer tout cela, par une auteure que je ne connaissais pas. Selon Wikipédia, elle écrit principalement de l’autofiction et fait de la littérature expérimentale, je n’avais donc aucune chance de la lire un jour. Tout cela ne transparaît pas dans cette histoire pour enfants (heureusement, dirais-je…), qui est tout à fait accessible dès un très jeune âge.

98raton-liseur
Août 9, 2019, 1:49 pm

69. Dernier Repas cannibale - Lionel Evrard



Je continue ma petite exploration de la collection Memoria des éditions Armada. Et ici, ce fut une réelle déception, à tel point que j’ai arrêté la lecture au bout de quelques pages, ce qui est relativement rare pour moi, et encore plus pour un écrit court.
Cette nouvelle n’est pas à proprement parler de la science fiction, mais une réflexion sur l’acte d’écrire. Mais une réflexion brouillon et écrite dans un français parlé et plutôt agressif, un mode d’expression auquel je me vois devenir de plus en plus allergique. Alors j’ai arrêté le massacre et je laisserai dormir cette nouvelle au fond de mon logiciel Calibre, qu’elle y repose d’un long sommeil réparateur dont je ne la sortirai pas.

99raton-liseur
Août 9, 2019, 1:50 pm

70. La Duchesse insoumise - Christine Merril ; traduction de Marie-José Lamorlette



J’ai presque honte de mettre ce livre ici, mais on ne peut pas être toujours un lecteur studieux et appliqué, une lectrice non plus. Ce livre était dans la centaine de livres offerts avec ma toute nouvelle liseuse que j’ai étrennée avec délice ces derniers jours, comme le montrent les avis de lectures mis en ligne en ce moment…
Je crois que j’ai lu adolescente les deux Harlequins de ma mère, qui trainaient sur les étagères (en secret, car je pense qu’elle aurait désapprouvé ce genre de lecture à mon jeune âge), mais depuis, je n’avais jamais retenté. Un peu de chick lit, comme l’on dit (ça fait poulet, non ?), pour savoir ce que c’est et parce que je ne boude pas toujours une lecture qui ne me demande même pas de temps de cerveau disponible.
Le constat est mitigé. Certes, je ne suis pas sûre que j’étais prête à lire beaucoup plus difficile. Mais tout de même... Cela ne me dérange pas de savoir d’ores et déjà comment un tel livre finira. Lorsqu’on lit un tel livre, on passe un pacte tout sauf implicite avec l’auteur et l’éditeur, donc cela ne me pose pas de problème de connaître la fin avant même d’avoir lu la première page. Mais tout de même… Je n’aime pas être prise pour plus bête que je ne suis, et ce livre m’a paru plein d’aberrations (l’honneur, certes, mais je doute que cela pousse à se marier dans de telles circonstances). Et puis j’aurais aimé un peu de piment, être tout de même un peu surprise le long du chemin qui me menait vers une destination déjà connue. Le lourd passé de chacun des protagonistes est tellement évident que je crois que j’ai fini par m’ennuyer.
C’était probablement un de mes premiers Regency romance, car oui, même pour ces livres on a inventé une catégorie. Ce ne sera peut-être pas le dernier (il y en a deux ou trois autres sur ma liseuse), mais ce ne fut pas une grande réussite, et c’est une litote, je vous prie de me croire.

100raton-liseur
Août 9, 2019, 1:51 pm

71. Venin - Saneh Sangsuk ; traduit du thaïlandais par Marcel Barang
(Translated into English as Venom, in Venom and other stories)



Une nouvelle courte qui se lit en à peine une heure et qui permet de voyager dans un petit village thaïlandais où la vie s’écoule au rythme des bêtes et des travaux des champs. Wât est un jeune garçon qui n’a pas froid aux yeux et qui sait toujours comment aider ses parents. Un accident, quelques années plus tôt, lui a coûté l’usage de son bras droit, mais cela ne le démonte pas pour autant.
Ce soir, alors qu’il va bientôt falloir rentrer les vaches et que Patte Folle (c’est son surnom) s’amuse à faire des petites marionnettes de paille, un cobra surgit, un long, un immense, un musculeux cobra. Et un duel improbable s’engage entre le petit garçon infirme et le grand animal.
Je ne sais pas pourquoi, en découvrant ce livre sur une liste de lecture il y a peu, j’ai imaginé une histoire pleine de réalisme magique, à la fin incertaine mais très probablement poétique. Il n’en est rien. Et même s’il me semble que la situation dans laquelle se retrouve ce petit garçon a quelque chose d’improbable, le traitement qui en est fait est lui très réaliste. C’est donc plus à une déambulation dans un village thaïlandais que l’on est convié, Wât guidant le lecteur avec son immense cobra tenu à bout de bras.
Il est toujours difficile de se remettre d’une attente déçue, donc mon avis sur ce livre est mitigé. Pourtant, il faut reconnaître que c’est un moment de lecture plutôt agréable, simple et dépaysant, même si j’ai peu goûté la fin abrupte. A tenter, juste pour le plaisir de la découverte, sans idée préconçue et en étant prêt à se laisser emmener là où l’auteur veut aller.

101raton-liseur
Août 11, 2019, 2:23 pm

72. Meurtre à Sciences Po - Victoria Kaario ; lecture d’Anne-Lise Heimburger
Je m’étais bien amusée en écoutant Meurtre au conservatoire ; alors quand j’ai vu le nom de Victoria Kaario apparaître à nouveau dans ma liste de créations radiophoniques, je n’ai pas résisté très longtemps. Et, cerise sur le gâteau, on retrouve même notre duo d’enquêteurs de choc, l’inspecteur Serge Lavigne et sa jeune lieutenante Liza Olivier.
Toujours de l’humour à froid, mais qui fait moins sourire, toujours une enquête décalée, mais qui surprend moins. Je ne le cacherai pas, ce deuxième opus est certes agréable, mais moins bon que le précédent. Un bon moment, mais une petite déception tout de même au vu du premier opus.
Et au fait, les meurtres dans les universités, est-ce un genre littéraire ? C’est tout de même le deuxième que je lis cette année, après L’apocalypse est notre chance !

102raton-liseur
Août 11, 2019, 2:25 pm

73. Personne ne bouge - Enzo Cormann ; lecture de Marc Barbé
Une étrange pièce de théâtre, un monologue en réalité. Celui d’un prisonnier d’une soixantaine d’années, condamné à vingt ans de prison, et qui sait qu’il ne reverra donc jamais la lumière du jour autrement que derrière des barreaux de sa cellule. Alors il parle. Il parle à la jeune psychologue dont c’est le métier de l’écouter, et il parle à Marlon Brando, un de ses grands amis de jadis, de quand tout allait bien et qu’il côtoyait le grand monde, sur les îles lointaines qui leur appartenait. Etrange soliloque de cet homme qui se retourne sur sa vie parce qu’il sait qu’il n’y a plus rien devant. Vie passée rêvée ou réelle, le spectateur ne peut que faire des conjectures.
C’est une sensation de malaise qui m’a accompagnée tout au long de ma lecture. Malaise du fait de la situation, cet homme enfermé, sans avenir, mais qui ne fait que payer sa dette à la société, comme le veut l’expression consacrée. Mais aussi malaise dû à la forme de cette pièce. Un homme qui discourt, sans personne en face, même lorsqu’il dialogue (les réponses de la psy ne sont en effet pas véritablement des réponses et ressemblent plus à des notes prises au cours ou après les échanges). Malaise donc, mais finalement un texte dont je n’ai pas saisi toutes les subtilités et qui ne m’a pas beaucoup marquée.

103raton-liseur
Août 11, 2019, 2:26 pm

74. Le Lion qui se lamentait - Katherine Pancol ; lecture de Katherine Pancol
Histoire pour les petits, à la façon des Histoires comme ça de Rudyard Kipling, mais en moins caustique, en plus lisse.
Une histoire du soir pas trop mal pour les tout petits, à écouter pour ce qu’elle est et pour laquelle il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures.

104raton-liseur
Oct 6, 2019, 3:49 pm

75. Les Vies de papier - Rabih Alameddine ; traduit de l’anglais par Nicolas Richard



Ce livre me faisait de l’œil depuis un moment sur les tables de ma librairie habituelle. Des belles arabesques, des couleurs vives qui laissaient présager une lecture légère et pleine d’énergies positives. Il ne m’en faut parfois pas plus pour que je finisse par me laisser tenter…
Et me voilà faisant la connaissance d’Aaliya, une femme vieille mais dynamique, une femme de caractère, et on se dit qu’il vaut mieux être dans son camp que dans celui d’en face, parce qu’elle n’est pas tendre dans ses jugements, et parce qu’elle est entière. Drôle de personnage, qui a survécu à tant de choses, de son mariage raté à la guerre à Beyrouth. Il faut un sacré caractère pour passer à travers ces événements, et Aaliya l’a, le caractère, mais cela me l’a rendue finalement peu sympathique, et je n’ai pas réussi à m’attacher à cette femme. On sent qu’il pourrait y avoir beaucoup d’émotion, que les lecteurs sont flattés dans le sens du poil car c’est la littérature qui maintient cette femme en vie, en lui donnant une raison d’être et une porte pour rêver.
Oui, il y a tout cela, mais je n’ai pas été emportée, ni par l’histoire qui m’a parue un peu trop artificielle, ni par le personnage, car je n’ai pas réussi à percer sa carapace. Et finalement je suis plutôt passée à côté de ce roman qui aurait dû être un bon moment, une lecture à la fois facile et intelligente. Non, rien de cela pour moi, plutôt une lecture oubliable, et qui m’a rappelé un autre roman d’un thème similaire, lu il y a plusieurs années et que je me souviens avoir aimé, L’Immeuble de Mathilde d’Hassan Daoud. Tiens, peut-être devrais-je le relire ?

105raton-liseur
Oct 7, 2019, 2:30 pm

76. Quartier lointain, l’intégrale - Jirô Taniguchi ; traduit du japonais par Kaoru Sekizumi et Frédéric Boilet



Je suis plus que néophyte en ce qui concerne les mangas. En commençant avec ce titre et cet auteur, je commence par une valeur sûre. Et je n’ai pas été déçue, bien au contraire.
Je ne savais pas à quoi m’attendre en ouvrant ce livre (adapté au sens occidental, donc pas tout à fait mon premier manga, mais bon), et je dois avouer que le début m’a plutôt déstabilisée et fait craindre le pire, avec cette entrée en matière un peu fantasmagorique. Puis je me suis laissée prendre au jeu de cet homme revenu dans le corps de l’adolescent qu’il était, tout en conservant sa mémoire d’homme mûr.
Et j’ai commencé à comprendre ce regard extrêmement mélancolique, un peu doux, un peu lointain, de ce jeune homme sur la couverture. Allier l’insouciance et les espérances de la jeunesse avec la maturité et l’expérience de l’âge adulte, c’est le rêve de beaucoup. Hiroshi Nakahara a cette chance et compte bien, une fois l’incrédulité passée, la mettre à profit pour profiter pleinement de cette seconde jeunesse et pour en corriger certains aspects.
Mais il s’aperçoit vite qu’il ne peut changer le cours des choses, ni pour l’améliorer ni pour le rendre pire. Cette seconde chance lui offre seulement la possibilité de comprendre. Comprendre pourquoi son père l’a abandonné, lui, sa mère et sa sœur, comprendre ce qu’est vivre, ce que cela implique d’espérances déçues et de sacrifices.
C’est une très belle histoire, une sorte de rédemption intérieure, dont personne ne se rendra compte mais qui n’en est pas moins touchante, parce qu’elle permet à un homme de s’accepter, de se comprendre et de prendre des décisions plus en accord avec sa propre vie.
J’ai lu cette bande dessinée à la fois très vite, happée par l’histoire de cet homme adolescent, sentant son histoire résonner avec certaines de mes préoccupations de femme, de compagne et de mère entre deux âges, et à petites gorgées, pour en déguster les mouvements imperceptibles, les oscillations à peine visibles. Je ne pensais pas que le manga, avec son dessin très codifié et en noir et blanc pouvait avoir une telle force d’expression graphique. Le trait de Jirö Taniguchi, vu par une néophyte je le précise à nouveau, est propre à faire naître des sensations toujours mouvantes, et avec une délicatesse merveilleuse.
Une superbe découverte, qui me donne envie de pousser plus avant dans la découverte des mangas, mais n’est-ce pas placer la barre trop haut que de commencer par ce titre ? L’avenir livresque le dira.

106raton-liseur
Oct 7, 2019, 3:58 pm

77. Papa 1er - Jacques Mondoloni



Une petite nouvelle par un auteur semble-t-il assez prolixe mais que je découvre au gré de ce petit opus offert il y a un moment par les éditions Armada.
Hommage affiché à Philip K. Dick, cette nouvelle montre un monde futur qui n’a pas bien tourné. Loin du paradis technologique qu’on nous promet, ce n’est pas l’enfer non plus, mais un monde sclérosé, dépend de la technique pour sa survie, et incapable de mutation sociale. Les pauvres doivent rester pauvres, les riches… je ne sais pas, on ne les côtoie pas. Un enfant de pauvre, parce qu’il est doué à l’école, entrevoit la possibilité d’une ascension sociale, mais c’est un monde à la Philip K. Dick, ça ne peut pas bien finir…
Lecture rapide et plutôt agréable même si elle est poisseuse et difficilement respirable. Un plaisir un peu masochiste, où l’on se dit que finalement, ce n’est pas si mal de vivre maintenant plutôt que demain.

107raton-liseur
Oct 8, 2019, 12:37 pm

78. Salomé et les femmes de parole, tome 1 : Trouver sa place - Nathalie Charles



Un bien beau titre et une bien belle couverture, avec 4 femmes de parole en médaillon autour de notre héroïne à l’air décidé. Je remercie les éditions Rageot de m’avoir permis de recevoir ce livre, que j’ai lu en une soirée et qui, une fois cette note de lecture écrite, sera transmis à M’ni Raton. Car le sujet est d’actualité chez nous : l’entrée en 6ème, c’est pour dans quelques mois, et se faire sa place dans une nouvelle classe, ce n’est jamais facile. Et puis savoir ce que c’est que d’être une fille, savoir trouver un équilibre entre ses convictions (ou celles de papa-maman) et les impératifs d’une société monolithique, ça n’est pas facile. Si en plus j’ajoute que Rosa Parks, qui est sur la couverture, est une des héroïnes de ma fille en ce moment, j’ai presque l’impression que ce livre a été écrit juste pour elle.
Plein de petites choses à dire sur ce livre, alors plutôt que d’essayer de construire un texte cohérent, pour une fois, j’y vais de mon inventaire à la Prévert.

Les aspects positifs d’abord :
 Des personnages attachants. Les méchants sont un peu caricaturaux, mais on a tout de suite envie d’être copine avec Salomé, Emma et Théodore.
 On croise des grands noms, de Beauvoir à Gandhi. C’est rapide, léger, mais cela donne un aperçu des convictions de ces personnages, et c’est plutôt bien fait.
 Une histoire simple, facile à suivre et à comprendre sans pour autant être trop convenue ou caricaturale, très bien pour l’âge visé (8 à 10 ans d’après ce que j’ai vu sur le site de l’éditeur).

Quelques points que j’ai trouvés moins bien :
 Pourquoi Salomé doit-elle être la meilleure élève de la classe (je crois même qu’elle a un an d’avance, c’est mentionné en passant) ? Pourquoi pas une élève studieuse et moyenne (ou juste bonne), cela changerait et rendrait pour beaucoup d’enfants l’identification plus simple.
 Un langage très parlé, je ne sais si je dois le mettre dans les points positifs ou négatifs. Négatif pour moi parce que j’aimerais offrir aux enfants des lectures avec des textes un peu plus littéraires, pour qu’ils s’habituent à une langue plus soutenue, plus complexe, ce qui manque cruellement aux enfants qui ont une dizaine d’années aujourd’hui. Mais un point positif j’imagine pour les enfants lecteurs qui n’auront pas de mal à aborder le texte, à le comprendre, à s’identifier, ce qui leur permettra peut-être d’être plus disponibles pour réfléchir au message du livre.
 Le concepteur de la couverture a-t-il lu le livre ? Pourquoi mettre le portrait de femmes qui ne sont même pas mentionnées en passant dans le livre, c’est le cas de deux des quatre femmes de la couverture, Simone Veil et Emma Gonzalez. J’ai un peu eu l’impression de me faire avoir sur le contenu, alors que celui-ci est suffisamment riche pour ne pas avoir besoin que l’on nous trompe sur la marchandise.
 Je ne m’étais pas aperçue que ce livre était le premier d’une série à venir. Il se termine sur une fin ouverte qui, en tant qu’adulte ne m’a pas dérangée et je suis prête à en rester là de la vie de Salomé, mais ce ne sera pas forcément l’avis des jeunes lecteurs qui aiment que les histoires se concluent véritablement. Et on n’a aucune indication de quand le deuxième tome sera publié, sachant que c’est un livre qui va vieillir vite : les lectrices (ou lecteurs, pas d’a priori, même si le public visé est assez évident) auront probablement passé le cap de la 6ème avant que la suite des aventures de Salomé ne soit disponible, et dans quelques années, ce livre sera dépassé : il y est question de la coupe du monde de foot féminine en France, très d’actualité puisque l’équipe de France joue dans quelques heures, mais un événement qui sera complètement oublié dans quelques années par les générations montantes.

Verdict :
Un bon livre, qui allie de nombreux sujets complexes, de la place de l’enfant à l’école à celle des femmes dans la société en passant par l’acquisition de l’autonomie et les relations familiales, tout cela dans un style accessible et avec une histoire bien ficelée sans être trop originale. Malgré mes quelques réserves d’adulte, je suis sûre que ce livre aura du succès auprès de M’ni Raton. Un livre que peut plaire aux enfants de cet âge et qui véhicule des messages positifs sans platitude, c’est plutôt une belle réussite et je crois que, malgré encore une fois ces réserves, je serais prête à recommander ce livre à beaucoup d’enfants, comme un bon devoir de vacances ludique et intelligent pour préparer sa rentrée dans le monde des grands !

108raton-liseur
Oct 8, 2019, 12:41 pm

79. Chronique de la vallée - Jacques Boireau



Etrange que cette nouvelle soit dans une collection de science fiction, car elle est vraiment très légèrement dystopique, et c’est peut-être paradoxalement cela qui en rend la lecture si pleine d’amertume.
On est dans un petit coin du milieu de la France, parmi les pâturages et les terres en friche. Les touristes viennent prendre un bol d’air pur dans ce reste de nature mis sous cloche. Et le vieux raconte la mort de sa vallée : l’usine qui ferme, puis, surtout, la construction du barrage ; la résistance vaine, la dignité inutile.
Je n’ai pas réussi à déterminer de quel barrage il était question, à quel point les événements racontés étaient vrais ou bien inspirés de différentes luttes contre cette anthropisation galopante de nos campagnes. Mais j’ai refermé cette nouvelle avec une petite boule dans la gorge, parce qu’il y en a beaucoup, en France et ailleurs, des clochers qui sonnent encore dans le vide de nos vallées, mais seulement le temps que nos souvenirs les feront vivre.
Une belle et triste nouvelle, par un auteur peu publié mais qui aurait peut-être mérité un peu plus d’attention de la part des lecteurs.

109raton-liseur
Oct 8, 2019, 12:48 pm

80. La Réunion - François Cuel ; lecture de Thomas Poulard
Il ne faut pas bouder son plaisir. Voici une petite comédie qui trace à traits très grossiers les travers des managers incapables de prendre des décisions, et on en a probablement tous connu si l’on a été salarié à un moment ou à un autre de notre vie professionnelle.
Pierre Cedar a atteint son seuil d’incompétence, ce niveau que tout un chacun atteint un jour : il est bien connu que l’on est promu jusqu’au jour où l’on atteint un niveau de responsabilité que l’on n’est pas capable d’assumer… Ici c’est pire puisque Pierre est le fondateur et le gérant de sa propre maison d’édition.
Certes Pierre est caricatural, ses collaborateurs un peu aussi d’ailleurs. La pièce est gratuitement féroce, mais elle fait sourire et passer un bon moment, sans apporter le début d’une idée de solution aux travers de nos vies professionnelles. Mais, si l’on ne veut que passer un bon moment en cassant du sucre sur le dos de nos collègues imaginaires, c’est tout à fait la pièce radiophonique à recommander. Mais chut, ne dites pas à vos collègues que vous avez fait plus que sourire en l’écoutant et que décidément, tel personnage vous a fait pensé à … (non je ne le dirai pas).

110raton-liseur
Oct 9, 2019, 4:13 am

81. Midinette, ou la fille de personne - Maria Larrea et Catherine Paillé ; lecture de François Loriquet
Une fille qui a une relation un peu compliquée avec sa mère, entre fusion et rejet, Et qui, après qu’on lui ait tiré les tarots, a une explication avec cette même mère qui lui dit enfin, 25 ans après, qu’elle a été adoptée. Si on rajoute à cela l’origine espagnole des personnages, on se retrouve en plein cœur d’un des récents scandales qui ont secoué ce pays. Annabelle, puisque c’est le nom de cette midinette, part alors dans une quête éperdue de vérité et d’origine.
Les ficelles sont assez grossières, mais elles ont l’avantage de nous faire voir les différents aspects du problème, sans oublier les sentiments que peuvent éprouver les protagonistes volontaires ou le plus souvent involontaires de cette affaire. Et si on rajoute là-dessus un beau nappage de sirop de guimauve, ça donne un scénario de film, puisque c’est de cela qu’il s’agit, plutôt facile et attendu, didactique, mais peut-être intéressant pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler de ces bébés volés pendant des décennies de l’ère Franco.

111raton-liseur
Oct 9, 2019, 4:15 am

82. Les Villages du versant - Alice Zeniter ; lecture de Alice Zeniter
Une route, deux villages. Une histoire de rivalité. Mais elle ne nous mène pas là où l’on croirait et un village meurt au profit de la modernité. Une plate histoire des progrès de nos sociétés, sans poésie ni profondeur. Une histoire que ne m’a émue et dont je n’ai pas vu l’intérêt pour des enfants.

112raton-liseur
Oct 9, 2019, 4:17 am

83. Invisible Max - Zep ; lecture de Zep
Je ne suis pas une fan de Titeuf, et c’est un euphémisme que de dire cela. J’ai donc commencé ce petit conte avec beaucoup de réticence. Et pourtant, c’est une façon plutôt originale et sensible de traiter le difficile sujet de la rentrée scolaire.
Max ne veut pas aller à l’école, alors une fée lui fait le cadeau de l’invisibilité, pour qu’il puisse aller voir à quoi cela ressemble, mais sans y prendre part. Il voit bien que l’école c’est toutes les choses désagréables qu’il pensait. Mais il y a aussi plein de belles choses auxquelles il a envie de participer, alors finalement, il renonce à son invisibilité.
Gentil petit récit, qui permet d’aborder ce thème cent fois rabaché mais qui demeure une préoccupation annuelle majeure de nos chères têtes blondes, brunes et rousses. A garder sous le coude pour faire écouter aux petits anxieux de septembre !

113raton-liseur
Oct 9, 2019, 6:05 am

84. Capitaine Rosalie - Timothée de Fombelle (texte) et Isabelle Arsenault (illustrations)



Que dire après avoir lu ce livre? C’est un superbe livre, un livre pour enfant qui m’a fait monter les larmes aux yeux (et c’est rare qu’un livre me fasse un effet aussi physique). Je ne sais pas ce que les enfants retirent de ce livre, je ne sais même pas pour quel âge je pourrais le conseiller, peut-être parce que quelque soit l’âge du lecteur il pourra y trouver quelque chose pour lui.
Une histoire de petite fille dont le papa est à la guerre, la grande (paraît-il), la première (première d’un genre nouveau, première d’une longue série…). Une petite fille qui écoute sa maman lui lire les lettres de son père. Une petite fille qui ne devrait pas aller à l’école, mais c’est le seul endroit où elle peut aller quand sa maman doit aller travailler à l’usine.
L’histoire du pouvoir de la lecture. Parce que c’est l’accès au savoir, à la vérité, même si cette vérité fait pleurer. En écrivant ces lignes, j’ai les larmes aux yeux rien qu’en pensant à ce petit Capitaine Rosalie. Histoire merveilleusement écrite par Timothée de Fombelle (connu pour d’autres livres, plus fantastiques, mais que je découvre ici) et superbement illustrée par Isabelle Arsenault, avec des traits sûrs comme l’est la détermination de Rosalie, mais d’une grande douceur comme l’est la maman de Rosalie, comme l’est le cœur de Rosalie aussi. Les deux se marient pour créer ce livre, cette petite bulle aussi douce et dure que peut l’être la vie. Un bon condensé, qui ne ment pas aux enfants et qui fait grandir.

114raton-liseur
Oct 9, 2019, 8:28 am

85. Le Chien gardien d’étoiles - Takashi Murakami ; traduit du japonais par Victoria Tomoko Okada



Ah, enfin, un manga qui « se lit à l’envers »! Mon premier ! Pris au rayon jeunesse de la petite bibliothèque de notre commune pour plus de sûreté (je suis souvent plus à l’aise avec les bandes dessinées pour enfant qu’avec celles trop violentes ou trop explicites du rayon adultes).
J’allais écrire que c’était un mauvais choix, mais c’est faux. Un mauvais choix de la part des bibliothécaires certes, car, si l’image de couverture est toute kawaï (comme dirait M’ni Raton…), l’intérieur est beaucoup plus sombre, et pas véritablement adapté à un jeune public.
L’histoire se décompose en deux parties, qui n’ont qu’un lien tenu entre elles. La première est celle d’un homme qui se voit peu à peu exclu d’une société japonaise qui évolue plus vite que lui. Plus de travail, plus de famille, plus de santé… Une exclusion progressive et acceptée par un homme dont le principal défaut est peut-être d’avoir bon cœur sans savoir le montrer à quelqu’un d’autre qu’à son chien, son seul fidèle ami. Dans la seconde partie, un travailleur social chargé d’organiser les funérailles d’un inconnu médite sur sa vie et son enfance et commence à se réconcilier avec lui-même.
J’ai apprécié la première partie, beaucoup moins la seconde que je trouve de trop dans ce livre. J’ai trouvé ce personnage paumé dans un monde qui va trop vite attachant, même si dans la vraie vie il m’agacerait probablement, mais c’est cela aussi, la magie de la lecture, la possibilité de se mettre au moins pour un temps ou pour un peu à la place d’un autre et de comprendre ce qui l’anime, ses doutes, ses espoirs, ses renoncements, ses résignations.
Je ressors donc de ce premier manga vrai de vrai avec une impression mitigée, mais en tout cas, je vois que les mangas ne s’arrête pas à Dragon Ball (ou plutôt Fairy Tail, dont P’tit Raton est plus que fan) ou à Lucille, Amour et Rock’n’roll (ah non, pardon, ça c’est un manga animé de mon enfance, que j’aimais beaucoup d’ailleurs, comme quoi, les goûts évoluent, fort heureusement !). Il y a aussi des mangas plus réfléchis, plus riches, et je me retrouve donc avec tout un nouveau rayon de bibliothèque à explorer !

115raton-liseur
Oct 9, 2019, 8:32 am

86. Aya de Yopougon, tomes 1 et 2 - Marguerite Abouet (scenario) et Clément Oubrerie (illustrations)
(Translated into English as Aya of Yop City)



Cette critique se rapporte aux deux premiers volumes de la série de bande dessinée « Aya de Yopougon ».
Tome 1
Tome 2

J’étais très curieuse de découvrir cette bande dessinée qui semble avoir eu un véritable succès d’estime lors de sa parution. Pourtant je n’ai pas réussi à me laisser séduire, et je n’ai lu le deuxième tome que parce qu’il est arrivé à la bibliothèque de mon village avant que je ne puisse annuler la réservation, c’est dire…
On nous annonce une bande dessinée loin des clichés. Mais sur l’Afrique, il y a les clichés à journalistes et les clichés à touristes. On est effectivement loin des clichés à journalistes, les guerres, les coups d’état, les famines, rien de tout ça ici. Mais les clichés à touristes, on est en plein dedans. Les gens pauvres (et pas trop pauvres, une pauvreté qu’un touriste arrive à regarder en face) mais heureux, des femmes qui ont du mal à se faire une place mais qu’est-ce qu’elles sont belles, un manque d’avenir mais une énergie inépuisable pour danser.
Non, décidément, trop de ces clichés-là pour moi. Et comme il y a quand même un fond de vérité là-dedans, je n’ai pas réussi à sourire d’une situation qui n’a rien d’enviable.
Je ne suis pas le public pour ce genre de livre, trop proche d’une réalité que j’ai vue de trop près, sans l’enjoliver, et c’est finalement plus douloureux de lire ce livre que je ne le pensais. Je laisse ce livre à d’autres qui, plus éloignés du sujet y trouveront peut-être ce que je n’ai pas su y voir.

116raton-liseur
Oct 9, 2019, 8:41 am

87. La Grève des électeurs, suivi de Prélude - Octave Mirbeau



J’ai retrouvé ce court texte il y a quelques semaines en faisant un peu de rangement parmi mes livres électroniques. On était alors en plein dans la préparation des élections européennes, qui ne passionne en général pas les foules, et, même si le taux de participation n’a pas été aussi bas que d’habitude, ces élections n’ont pas dérogé à la règle.
N’ayant pas été emballée par ma première rencontre avec Octave Mirbeau, lors de la lecture de Lettres de ma chaumière, j’étais donc contente de lui donner une deuxième chance, avec qui plus est un sujet d’actualité !
Mais ce fut à nouveau une déception. Je ne sais pourquoi, je m’attendais à une histoire qui montrerait le chaos et la prise de conscience que cela provoquerait si les électeurs se mettaient en grève. Mais il n’en est rien : j’ai lu un pamphlet d’une dizaine de pages qui assène une vérité, cela ne sert à rien de voter et tous les électeurs sont de piètres imbéciles, sans aucune véritable argumentation ou démonstration si ce n’est une vérité encore, que tous les candidats au suffrage ne poursuivent que leurs propres intérêts.
Je ne dis pas que je ne suis pas frustrée moi-même de l’utilisation de mon vote, mais je tiens à ce droit comme à la prunelle de mes yeux et je mets toujours un point d’honneur à remplir ce devoir civique. Alors ce livre m’a agacée plus qu’autre chose et je suis déçue de ma lecture. Pourtant, le style caustique d’Octave Mirbeau aurait pu faire des merveilles sur ce sujet, s’il s’était donné la peine de trouver quelque chose de pertinent à dire ! C’était mon deuxième essai, cela risque d’être le dernier.

Addendum : Renseignements pris, je m’aperçois que ce texte est en réalité une chronique destinée à être publiée dans un journal, et d’inspiration clairement anarchiste. Je comprends mieux la forme, mais le fond ne me plaît toujours pas. Anarchisme, soit, mais des arguments doivent être avancés, plus que d’asséner ainsi des vérités. Je comprends donc mieux le contexte, mais ne change pas pour autant mon opinion, ni sur ce texte ni sur Mirbeau.

117raton-liseur
Oct 9, 2019, 8:48 am

88. L’homme qui levait des pierres - Jean-Claude Mourlevat



Avec ce livre, je finis un cycle Mourlevat, car je crois bien que c’était le dernier livre de cet auteur que je n’avais pas lu dans la merveilleuse collection Petite poche de Thierry Magnier, des livres courts pour lecteurs peu aguerris, mais avec des histoires pour des enfants de 10 à 12 ans. On allie contenu pour grand et relative facilité de lecture, ce qui est peu habituel et très adapté pour certains lecteurs. C’est donc une collection que je recommande les yeux fermés dès que j’en ai l’occasion.
Et ce titre ne déroge pas à la règle de cette merveilleuse collection. De plus, Mourlevat est peut-être mon auteur jeunesse préféré, si bien que je ne pouvais pas me tromper. Cet homme qui levait les pierres est une histoire très originale, dont la chute est tout à fait inattendue, mais absolument délicieuse. Il est question des aspirations et des rêves, de la transmission et de l’émerveillement.
J’ai lu à mes élèves tous les autres Mourlevat, sauf L’Homme à l’oreille coupée, que nous sommes en train d’étudier (et ils attendent la semaine prochaine avec impatience pour avoir le fin mot de l’histoire…). Ils commencent à s’habituer au style et surtout aux textes qui ont des fins ouvertes, et c’est un plaisir de les voir prendre le pouvoir sur l’histoire, en devant des lecteurs de plus en plus acteurs de l’histoire qu’ils lisent et non plus seulement consommateurs de l’histoire. Merci Monsieur Mourlevat pour ces petites pépites que sont chacun de vos textes courts, merci Monsieur Magnier pour votre travail d’éditeur. A quand les prochains textes de Mourlevat dans cette collection, je les attends avec impatience !

118raton-liseur
Oct 9, 2019, 10:03 am

89. Sky Hawk - Jirô Taniguchi ; traduit du japonais par Corinne Quentin



J’avais repéré ce manga dans les bacs de la bibliothèque municipale. Le mélange entre Japon et Amérindiens m’avait attirée, alors maintenant que je suis dans une frénésie de mangas, je l’ai emprunté, sans même me rendre compte que c’était un manga du même auteur que Quartier lointain, lu (et grandement apprécié) quelques semaines plus tôt.
Cette fois, je dois avouer que j’ai moins accroché. Je n’arrive pas à déterminer la part de vrai et d’inventé dans cette histoire. Des samouraïs japonais se sont-ils vraiment retrouvés en territoire indien, voire aux côtés de Crazy Horse, ou tout cela n’est-il que de l’affabulation complète ? J’ai toujours beaucoup de mal lorsque je ne peux pas faire la part entre réalité historique et invention romanesque, et cela a parasité ma lecture pendant tout le temps où elle a duré.
Sinon, l’histoire est plutôt bien menée, sans trop de clichés me semble-t-il, et avec une belle façon de montrer les ponts entre des cultures différentes et comment leurs philosophies, même si elles s’expriment différemment, peuvent se rejoindre.
Ce fut donc une lecture en demi-teinte, intéressante et bien menée, mais étrange de par l’idée même de western japonisant. Les dessins, dans leur simplicité apparentes, sont intéressants, les paysages sont bien rendus. Il y a donc matière à rêver et à réfléchir dans ce livre, mais je n’ai pas su me laisser emporter comme il l’aurait fallu.

119raton-liseur
Oct 9, 2019, 10:05 am

90. Mon Amoco Cadiz - Nathalie Capitaine



Voici un livre en auto-édition, que j’ai découvert grâce au site netgalley et que l’auteur m’a gracieusement envoyé, qu’elle en soit remerciée. Je lis peu de livres en auto-édition, mais ici le sujet m’intéressait vraiment. Je n’avais que quelques mois quand l’Amoco Cadiz a sombré et j’ai souvent entendu parler de cette catastrophe, de ses conséquences écologiques, mais sans jamais pouvoir vraiment me la représenter.
Me voilà donc embarquée dans ce roman et sur ce bateau pour sa dernière et tragique traversée. C’est une lecture assez rapide, le livre n’est pas gros. Il est même dit qu’il est destiné aux enfants, même si je ne suis pas ici tout à fait d’accord avec l’auteur.
L’idée du livre est très bonne : faire parler le bateau, lui donner une voix, celle qu’il n’a jamais eue, pour savoir comment lui a vécu tous ces évènements.
Malgré ces prémisses intéressantes, il me semble que le livre n’est pas abouti (et je ne parle pas des nombreuses coquilles qui l’émaillent). Le caractère du bateau n’est pas suffisamment bien défini, la forme du livre oscille entre documentaire et fiction (et finalement, on ne sait plus tout à fait ce qui est avéré et ce qui est inventé). Une écriture qui aurait plus de caractère, plus de personnalité permettrait de mieux s’immerger dans ce livre, de faire corps avec le bateau et peut-être de comprendre le scénario qui a mené à cette catastrophe. Ici, il y a effectivement plein de petites choses, mais j’ai l’impression d’avoir réussi à les voir parce que je les connaissais déjà, comme la négociation sur le contrat de remorquage, les pavillons de complaisance…
C’est donc un livre intéressant que j’ai eu la chance d’avoir entre les mains, un livre qui mériterait d’être retravaillé probablement pour lui donner plus de corps et de personnalité, car l’Amoco a beaucoup à nous dire. Suite à ce naufrage, beaucoup de modifications ont été apportées à la navigation dans le Rail d’Ouessant, on a beaucoup appris sur comment démazouter des oiseaux ou nettoyer une plage, et c’est un drame que l’on ne doit pas oublier, qui est toujours dans les mémoires des habitants de Portsall la tristement nommée (bien que ce soit du breton, qui signifie « Port du château », rien à voir avec une marée noire), un moment de l’histoire de nos côtes qui a une résonance particulièrement à la lumière de la prise de conscience écologique actuelle. C’est donc un sujet intéressant dont Nathalie Capitaine s’empare, elle s’attèle à un travail de mémoire nécessaire, et j’espère que son livre continuera d’évoluer pour porter la voix de ce bateau plus loin et auprès de plus de lecteurs.

120raton-liseur
Oct 9, 2019, 10:06 am

91. Journal d’un ogre - Valeria Davila (texte), Monica Lopez (texte) et Laura Aguerrebehere (illustrations) ; traduit de l’espagnol par Ian Ericksen



Ce n’est pas tout à fait ce à quoi je m’attendais à la lecture du titre et de la présentation par l’éditeur, mais c’est un livre amusant, pour voir le monde du point de vue de l’ogre, ce que les histoires habituelles ne nous permettent guère. Un livre d’anti-éducation, pour s’amuser de tout ce que les enfants n’ont pas le droit de faire, avec des dessins plutôt amusants, parfois en décalage complet avec le texte qu’ils accompagnent, ce qui permet de développer le sens de l’observation et de l’interprétation chez les enfants.
Ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais c’est amusant, et parfois on a besoin de ces lectures qui détendent et permettent de passer un moment de simple rigolade entre enfants et parents.

121raton-liseur
Modifié : Oct 10, 2019, 3:48 pm

92. Retour à Lemberg - Philippe Sands, traduit de l’anglais par Astrid von Busekist ; adaptation d’Elsa Naouri, lecture de Philippe Sands
J’avais entendu une interview vraiment stimulante de Philippe Sands sur France Culture à propos de ce récit, alors quand j’ai vu que cette même radio offrait une retransmission du spectacle adapté de ce même livre, je n’ai pas été longue à le télécharger et l’écouter. Une adaptation pour la scène lue par Philippe Sands lui-même, d’ailleurs.
Philippe Sands est un juriste franco-britannique spécialisé dans le droit international et qui a travaillé ou travaille pour différents organismes tels que la Cour Européenne de Justice ou, surtout, la Cour pénale internationale. A ce titre, il est le digne héritier de deux des trois principales figures évoquées dans son livre. Retour à Lemberg, étrange titre très éloigné du titre original, est en effet un récit très bien mené, et jamais ennuyeux malgré l’aridité de son sujet, retraçant en parallèle la vie de deux éminents juristes, Hersch Lauterpacht, qui développe le principe de crime contre l’humanité et Raphael Lemkin , qui lui développe celui de génocide. Etrangement, la vie de ces deux juristes est pleine de coïncidences, et pas seulement celle de leur présence au procès de Nuremberg, qui est l’axe principal de la narration, car il est le terrain sur lequel ces deux hommes vont affronter leurs visions et vont pouvoir mettre en pratique leurs concepts.
De nombreux points communs, donc, quant à l’origine et la carrière. Mais, et c’est ce livre passionnant qui me l’a fait réalisé, un antagonisme fort entre ces deux concepts. J’ai tellement l’habitude d’entendre dans une même phrase que tel général ou tel autre dictateur est inculpé pour génocide et crime contre l’humanité, que j’ai toujours cru que ces termes étaient indissociables et quasi synonymes. Et pourtant non, ce sont deux visions très différentes du droit qui s’affrontent. Le crime contre l’humanité, c’est comment un homme nie l’humanité d’un autre homme, c’est l’individu qui est au cœur de la réflexion et qui est, dans un sens, le sujet même de l’accusation. Le génocide, c’est la négation d’un groupe, basée sur des caractéristiques qui le définissent. C’est le collectif qui prime ici, dans son essence, et l’individu n’est plus vu comme victime que quand elle est une parmi d’autres qui, par leur nombre même font corps et dénoncent le génocide.
Philippe Sands oppose beaucoup ces deux conceptions qui sont devenu les deux piliers de la justice internationale. Elles me semblent à moi être très complémentaires, un peu les deux faces d’une même pièce. D’ailleurs, ces deux concepts n’ont-ils finalement pas été créés à partir du même terreau, tant d’un point de vue de la carrière universitaire que des origines sociales et culturelles, sans oublier, bien sûr, le contexte historique. Mais je suis peu versée dans les subtilités du droit international et de la philosophie du droit, ce dont ce livre me fait prendre conscience. Il y remédie un peu, et à travers un récit ardu mais passionnant, plus sur le mode de l’enquête personnelle que sur le mode de la rigueur scientifique, mais cela permet au lecteur de se sentir plus proche de ce sujet à la fois ardu et sombre.

122raton-liseur
Oct 10, 2019, 3:50 pm

93. L’Os - Christophe Léon



Jolie histoire sur la puissance des amitiés enfantines, sur la capacité d’adaptation et de résilience des enfants, aussi. Beaucoup de non-dits dans cette histoire, ce qui permet de beaucoup imaginer, mais aussi une histoire qui finit un peu trop abruptement, je suis restée sur ma faim et est été un peu déçue par ce deuxième opus (pour moi) de Christophe Léon, dont j’avais tant apprécié Le Goût de la tomate.

123raton-liseur
Oct 12, 2019, 1:44 pm

94. Opaque et Opaline - Alex Vizorek ; lecture d’Alex Vizorek
Opaque et Opaline sont deux chevaux. L’un opaque (noir donc) et l’autre opaline (blanche donc). Ces deux-là doivent travailler ensemble, alors qu’ils se détestent, de part et d’autres de leurs certitudes colorées. Le directeur du cirque où il travaille décide de remédier à la question d’une bien étrange façon, puisqu’il décide de leur adjoindre un zèbre ! S’allier contre le même ennemi renforce les liens, mais ne règle pas la question du racisme. Pour cela, il faudra toute la sagesse de notre ami zèbre.
Très belle histoire, très originale, pour parler du racisme à travers des personnages animaliers qui permettent une juste mise à distance. Je me vois bien travailler ce texte avec des élèves, pour comprendre ce que cela veut dire, pour savoir si chacun est plutôt Opaque, Opaline, zèbre, ou encore autre chose…

124raton-liseur
Oct 12, 2019, 1:56 pm

95. Zelda et les abeilles - Tatiana de Rosnay ; lecture de Tatiana de Rosnay
Je ne vais pas être tendre, je le crains. Mais je vais dire les choses comme je le pense… Sous couvert d’une petite fable écolo (« les abeilles c’est bien, ça pollinise »), ce petit opus est surtout un discours bobo-écolo-urbain bien pensant mais complètement à côté de la plaque.
La petite Zelda a peur des abeilles et des guêpes. Mais non, regarde, les abeilles elles sont gentilles, elles pollinisent, et puis elles ne piquent pas parce que si elles piquent elles meurent. Et les guêpes dans tout ça, c’est normal d’en avoir peur ? Et elles sont méchantes alors ?
L’intention de l’auteur n’est pas de réhabiliter les abeilles au détriment des guêpes, j’en suis consciente, mais c’est le message qui m’est resté à la fin de cette lecture audio. Un message erroné, à l’encontre du « chacun sa place et son rôle dans l’écosystème » qui me paraît fondamental. Donc non, ce texte est pour le moins maladroit (si je lui laisse le bénéfice du doute), et peut à mon avis s’avérer complètement contre-productif. Donc à déconseiller à tout prix si l’on veut développer une conscience écologique digne de ce nom chez nos chères têtes blondes, brunes ou rousses.

125raton-liseur
Modifié : Déc 14, 2019, 1:38 pm

96. Le Monarque des ombres - Javier Cercas ; traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujičić

D’ailleurs, peut-on être un jeune homme noble et pur et en même temps lutter pour une mauvaise cause ?
(p.141, Chapitre 7).


Je le souviens avoir lu Les Soldats de Salamine il y a bien longtemps, et être plutôt restée circonspecte, un peu sur le bord de la route, surtout au vu des critiques élogieuses qui l’avaient accueilli. Mais en voyant ce titre en librairie peu après sa sortie, je n’ai pas été longue à décider de donner une seconde chance à cet auteur. Titre énigmatique, auteur qui s’aventure de l’autre côté du miroir, il y avait en effet de quoi me tenter.
J’ai mis un peu de temps ensuite pour commencer ma lecture, mais maintenant que c’est chose faite, il me faut essayer mettre de l’ordre dans mes idées. Le sujet, d’abord. Javier Cercas, qui explore inlassablement la guerre civile espagnole, se décide, après moultes tergiversations, à écrire sur un de ses oncles, phalangiste, mort à 19 ans sur le front, et pendant longtemps, héros de la famille. Mais depuis, les caprices de l’histoire ont fait de cet ancien héros un ancêtre encombrant. Celui qui a fait les mauvais choix, qui s’est retrouvé du mauvais côté. Je me suis sentie flouée à plusieurs reprises pendant ma lecture, car le personnage de Manuel Mena reste évanescent tout au long du récit. On ne connaîtra rien de ses aspirations intimes, de ses projets et désirs. Normal pour un homme mort si jeune et sans avoir rien laissé derrière lui.
Mais il m’a fallu du temps pour réaliser que Manuel Mena est finalement un prétexte ici. Prétexte à quoi, c’est une question complexe, car ce livre explore plusieurs voies, plusieurs sujets et arrive, grâce à l’écriture toute en contrôle de Javier Cercas à les faire tenir ensemble. Non à les relier pour en faire un tout cohérent, mais à les faire cohabiter et se succéder sans que cela paraisse artificiel ou décousu. On revisite l’histoire espagnole du début du XXème siècle (et j’ai souvent eu l’impression de ne pas avoir assez de connaissances préalables pour comprendre toute la subtilité du discours de Cercas), en particulier l’évolution sociale et économique de la société, et comment celle-ci interagit avec son évolution politique. On réfléchit à l’engagement politique, et à son lien possible avec un engagement militaire. On réfléchit aussi beaucoup à la mémoire, qu’elle soit individuelle, familiale ou collective : les liens entre mémoire et vérité, l’importance à donner aux détails (dans quel chambre est mort un homme, où et à quelle heure du jour ou de la nuit a-t-il été blessé), la construction d’un roman familial, le poids d’un héritage par définition non choisi…
C’est un livre très riche, une lecture dont on ressort en se sentant à la fois plus averti et plus rempli de questions. Il faut pour cela s’adapter à la structure du récit, cette alternance de « je » et de « il » utilisés par l’auteur pour parler de lui-même selon la perspective de l’auteur par rapport à l’histoire qu’il raconte (celle de son oncle ou celle de son enquête à lui), passer outre quelques digressions que j’ai trouvées sans intérêt (comme les raisons du divorce de son ami cinéaste). Mais ce livre, s’il n’est pas facile à lire, vaut qu’on lui consacre un peu de temps et d’énergie. Et l’on apprendra alors qui est le monarque des Ombres et l’on pourra se demander si c’est une place si enviable que cela, même si beaucoup l’ont choisie, consciemment ou poussés par les circonstances. Beau travail sur la mémoire, sur l’engagement et sur ce qui relie parfois les deux.

126raton-liseur
Oct 16, 2019, 4:41 pm

97. Le Lambeau - Philippe Lançon ; lecture de Denis Podalydès
Il est difficile de prendre la parole après avoir lu un tel livre. Témoignage de première main de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, il n’appelle pas beaucoup de commentaires. Mais je ne veux pas non plus me retrancher derrière un respect de façade. Les morts de Charlie Hebdo étaient assez irrévérencieux pour qu’on ne leur inflige pas cela. Alors je dirai ce que j’ai à dire.
Et ce que j’ai à dire, c’est que ce livre, que j’ai écouté d’une traite, m’a tenue en haleine de bout en bout. Rien de malsain, au contraire, en restant très factuel dans son écriture, sans fioriture ni digression, ne parlant que de ce qui s’est passé, ou plus exactement de la façon dont il a perçu les choses, Philippe Lançon livre un témoignage auquel il est difficile de rester indifférent.
Le sujet était plein d’écueils. Le voyeurisme, la larmoyance, la thérapie personnelle jetée en pâture sur les tables des librairies. Ce livre n’est rien de tout cela. Ce n’est pas non plus un roman ou une œuvre d’une qualité ou d’une originalité littéraire folles. Mais c’est un témoignage sans équivalent, dont la lecture devrait être plus répandue. Et ce qui m’a le plus marqué, c’est l’absence de haine ou de désir de vengeance. C’est un homme en lambeaux, qui a beaucoup perdu de lui-même ou de sa vie, mais c’est un homme debout qui écrit. Et c’est un livre à dresser sur les étagères d’autant de bibliothèques que possible.

127raton-liseur
Modifié : Avr 8, 2020, 8:30 am

98. Un peu de nuit en plein jour - Erik L’Homme



Je me dis souvent que mon existence me prive de vrais vents, de vraies pluies et de soleil, de montagnes épargnées, de fleuves clairs et de forêts, alors que tout ça a été fait pour moi. Qu’elle m’oblige à de grands efforts pour rester debout, quand tout autour se conjugue pour me faire baisser la tête et plier le genou. Qu’il y a sûrement une meilleure manière de vivre...
(p. 35-36, Chapitre 5, “Les Songes du chamane”).

En vérité, Féral pense que c’est trop tard, que les jeunes qui se sont révoltés avant eux, quand il était encore temps, se sont trompés de révolte – c’est facile d’exiger que tout change alors qu’on n’est pas prêt à changer soi-même. La couleur du ciel, ce n’est pas un problème extérieur mais une affaire intérieure. A quoi bon le soleil si les cœurs ne sont pas prêts à l’accueillir ?
(p. 38-39, Chapitre 6, “Le cœur en brasier”).

Qu’est-ce qu’on se sent un lecteur privilégié lorsqu’une maison d’édition nous confie un libre à lire et à commenter avant même sa parution en librairie. Et les éditions Calmann-Lévy m’ont gâtée, avec ce livre d’Erik L’Homme, que je connaissais comme auteur jeunesse et que j’étais curieuse de découvrir dans un nouveau genre, celui de la littérature adulte, ici mâtinée d’anticipation ou de dystopie, je ne trancherai pas.
Le résumé laisse entrevoir un univers violent et cela m’a d’abord freinée, mais je suis contente d’avoir finalement osé ouvrir la première page de ce livre, car il n’en est rien. Le monde dans lequel on rentre est effectivement un monde violent, mais parce que les conditions de vie ont l’air d’y être difficiles. On ne saura pas grand-chose de ce qui a rendu notre monde si sombre et si décadent, si stratifié et si fataliste. Mais ce n’est pas ce qu’Erik L’Homme veut nous conter. Comme souvent dans ses livres, c’est aux personnages qu’il s’intéresse, pas à l’environnement dans lequel il les place et qui lui sert avant tout de révélateur plutôt qu’être une fin en soi. Et les personnages de ce roman pourtant très courts ont une profondeur et une complexité qui en font plus que des personnages de papier.
J’ai aimé accompagner ces personnages pendant quelques jours, Féral costaud au cœur rêveur, Livie frêle jeunette qui ne s’en laisse pas compter et même Clarisse dans son mélange d’égoïsme et de nostalgie. Des destins qui se croisent, dans un livre qui ressemble plus à une longue nouvelle, de celles qui prennent un personnage au milieu d’une action pour le laisser au milieu d’un autre mouvement, nous laissant, à nous lecteurs, le soin d’écrire la suite.
Comme cela m’est déjà arrivé avec des romans de cet écrivain, même une fois le livre refermé, j’ai du mal à savoir quel est le message qu’il veut me transmettre, la thèse qu’il y a au fond de son livre. Peut-être tout simplement n’y en a-t-il pas vraiment. Il nous donne à voir des personnages, leur vie, leurs aspirations plus ou moins explicites en même temps que leur trivialité et leurs compromissions, et c’est déjà beaucoup. Pas de thèse, mais des hommes et des femmes, dans leur réalité et leur complexité, toujours les mêmes mécanismes même si ce monde de demain n’a pas l’air très beau à voir. Il y a beaucoup d’empathie dans l’écriture d’Erik L’Homme, chaque personnage a l’attention de l’auteur, chaque personnage prend véritablement vie sous les yeux du lecteur, et ce sont des personnages qui restent présents bien longtemps après que l’on ait tourné la dernière page du livre.
Un très beau roman, qui se lit facilement mais reste fort et marquant. Une incursion hors de la littérature adulte, mais toujours aux frontières du demain qu’il affectionne, et, encore une fois, une écriture riche et pleine d’empathie, c’est ce que je retiendrai de ces quelques belles heures de lecture.

128raton-liseur
Oct 17, 2019, 3:06 pm

99. Le Grand Marin (extraits) - Catherine Poulain ; adaptation de Guillaume Polx, lecture de Sullane Brahlm
Ce livre a eu beaucoup de succès lorsqu’il est sorti, puis lorsqu’il a été édité en poche. Prix littéraires, succès critique et public. Et moi je suis là, avec ce livre, et… rien. L’histoire avait tout pour me plaire, des embruns, du travail à la dure, des amitiés rudes… Et pourtant, rien du tout, je suis complètement passée à côté, je n’ai rien ressenti. Je ne saurais pas dire exactement pourquoi, peut-être parce que j’ai lu quelque chose de beaucoup plus prenant avant cela, ou tout simplement parce que ce n’est pas un roman pour moi.

129raton-liseur
Oct 17, 2019, 3:07 pm

100. La Chouette blanche - Monica Sabolo ; lecture de Monica Sabolo
Un opus original pour des thèmes classiques de la littérature enfantine : l’intégration à l’école, les amours enfantines, les rivalités entre enfants et les crasses des cancres.
Mais ici, un safari à la chouette blanche dans les squares de Paris donne une tournure inhabituelle et pourtant très proche à l’histoire. Une jolie réussite, qui peut permettre d’aborder avec les enfants certains thèmes compliqués de leur vie de grand petit ou de petit grand.

130raton-liseur
Modifié : Oct 17, 2019, 3:09 pm

101. Les mille oiseaux d’Hiroshima - Eleanor Coerr ; traduit de l’anglais par Frédérique Fraisse



Je m’étais lancée dans un projet origami avec mes élèves à la fin de l’année dernière. La légende des mille grues étant plutôt connue, j’ai eu la bonne idée de leur lire cette histoire. Bonne idée, c’est vite dit… Je me suis retrouvée en pleurs devant les enfants, et j’ai eu bien du mal à finir l’histoire.
Parce que c’est une histoire vraie que celle de Sadako. Cette petite fille qui adore l’école et le sport, cette petite fille pleine de vie. Mais cette petite fille qui vit à Hiroshima et qui a deux ans le 6 août 1945.
Ce n’est que 9 neuf plus tard que la maladie se déclare, une leucémie qui l’emporte en une année. Mais, loin de se laisser abattre, Sadako s’accroche à la légende traditionnelle qui veut que si l’on réalise mille grues on peut faire un vœu. Elle ne put en confectionner que 644 avant d’être emportée, et c’est tout cela que ce livre raconte. L’espoir et le courage, puis plus tard l’acceptation de la mort, voir la tristesse dans les yeux de ceux que l’on sait que l’on laissera derrière.
C’est un livre pour enfant, et tout est écrit à hauteur d’enfant, dans un langage simple mais qui jamais ne heurte. On est enveloppé dans la même douceur que celle dont les parents et la famille de Sadako l’ont entourée. C’est un merveilleux livre pour les enfants qui commencent à comprendre que le monde n’est pas un conte de fée, que toutes les histoires ne finissent pas bien.
Je ne suis pas certaine que je renouvellerai l’expérience de le lire à haute voix. Même préparée, même sachant ce qu’il va arriver, je ne suis pas sûre que je saurai mieux, la prochaine, maîtriser ma voix et mes larmes. Mais c’est un livre que je peux conseiller les yeux fermés à tous les enfants à partir de 10 ou 12 ans. Très beau, très touchant, un superbe texte, intelligemment traduit par Frédérique Fraisse et accompagné des jolis dessins géométriques et colorés de Julie Mercier pour l’édition que j’ai empruntée à M’ni Raton.
Envolez-vous, petites grues, allez voler très haut dans le ciel à la recherche du rire perlé des petites filles parties trop tôt.

131raton-liseur
Oct 20, 2019, 3:52 am

102. Hôtel de la baleine, extrait de Moby Dick - Herman Melville ; traduit de l’anglais par Théo Varlet



J’étais toute contente de recevoir ce livre dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas lu de livre de Melville, c’était une bonne occasion de côtoyer à nouveau cet auteur.
Cette joie fut à la hauteur de la déception lorsque je reçus le livre et que je m’aperçus en le feuilletant, qu’il s’agit en réalité d’un extrait de Moby Dick. Certes, je n’ai pas lu Moby Dick, pas encore, mais je préfère lire l’œuvre dans son intégralité plutôt que de lire comme cela, de façon isolée, les chapitres 3 et 4, d’autant que le découpage est assez étrange et l’extrait se finit de façon assez abrupte.
Je suis bien consciente que cette note de lecture ne parle pas du contenu du livre, mais il y a peu à dire sur un extrait d’une vingtaine de pages d’une œuvre par ailleurs monumentale. Mais décidément, c’est le projet éditorial qui me pose question. Je n’arrive pas à comprendre ce que les éditions de L’Herne ont cherché à faire avec cette collection (car il s’agit bien d’un livre qui appartient à une des collections de la maison, la collection « Carnets »), d’autant qu’il ne s’agit pas non plus d’une traduction revisitée, puisque celle présentée ici est l’œuvre de Théo Varlet, que l’on voit souvent cité dans les livres électroniques tombés dans le domaine public.
Visiblement, je ne suis donc pas le type de lecteur cible pour cette collection, et j’en suis toute attristée car je me dois tout de même de remercier les éditions de L’Herne pour ce petit opuscule, et j’aurais aimé apprécier le gentil cadeau qu’ils m’ont fait.

132raton-liseur
Oct 20, 2019, 3:54 am

103. Sucre noir - Miguel Bonnefoy



C’était le poche du mois dans ma librairie préférée. D’habitude je ne suis guère sensible à ce genre d’argument, mais là, en voyant la couverture, je me suis dit que c’était un livre pour moi ou bien je ne m’y connaissais pas. (Et puis j’avais entendu, il y a longtemps, un entretien avec cet auteur, à propos d’un autre livre, celui de l’escalade puis de la descente d’un tepuy, et je m’étais promis de lire ce livre ou un autre de cet auteur).
Miguel Bonnefoy est un écrivain vénézuélien, et son livre s’inscrit dans la veine du réalisme magique que le sous-continent sud-américain a offert à la littérature. Ce livre est une fresque familiale un peu réaliste et beaucoup affabulée comme on peut en lire sous la plume de nombreux auteurs de cette région du monde.
Miguel Bonnefoy n’a pas la profondeur d’un Garcia Marquez ni l’âme rêveusement nostalgique d’un Sepulveda, mais il donne ici au lecteur tous les ingrédients d’un bon divertissement. Un livre léger qui ne laissera pas beaucoup de trace, certes, mais un moment de lecture très agréable, plein de dépaysement et de surprise. Il me semble que l’on est plus proche, dans l’intention littéraire, d’une Laura Esquivel par exemple.
En tout cas, j’ai passé un bon moment entre recherche d’un trésor et vie d’un petit village de la campagne sucrière vénézuélienne. Un roman que j’ai lu au début de l’été, et c’était une bonne façon d’accueillir les beaux jours avec ce livre plein de soleil et d’une énergie communicative. Un roman « bon-pour-le-moral » (je n’aime pas les anglicismes, les romans « feel good », ce n’est pas pour moi) comme je les aime !

133raton-liseur
Oct 23, 2019, 9:46 am

104. L’Elfe et les égorgeurs - Jean-Philippe Jaworski



Une nouvelle gratuite propose par l’éditeur numérique de Jaworski pour faire découvrir cet auteur. M’sieur Raton a un gros livre de lui sur les étagères, je voulais me rendre compte de ce qu’il en était avant de peut-être, un jour, m’attaquer à son fameux Gagner la guerre.
Eh bien je dois dire que j’ai passé un bon moment, je me suis bien amusée avec cette histoire assez bien vue et originale où le plus fort n’est pas forcément celui qu’on croit. Un texte qui s’inscrit dans la lignée des contes, mais qui dépoussière sérieusement le genre ! Difficile d’en dire plus sans enlever tout le plaisir d’une lecture à venir. Mais puisque la nouvelle est courte et gratuite, il n’y a vraiment aucune raison de bouder son plaisir !

134raton-liseur
Oct 23, 2019, 9:48 am

105. Lettre à l’Humanité - Florent Lenhardt

Alors là, Humanité, je dois être honnête. Qu’une révolution ait lieu ne me surprenait pas plus que cela, l’incapacité des habitants du Dôme à comprendre leur précarité me l’avait déjà laissé craindre et j’y étais donc préparé. (…) Ce qui m’inquiétait, c’était de protéger les pompes géothermales, car lorsque la révolte prendrait fin, et même si la régence venait à changer, il leur faudrait des pompes en état de marche ; ou ils mourraient tous. Alors mon chef (…) m’annonça que la marée humaine, délirante et hors de tout contrôle, se dirigeait massivement vers la surface. Et je compris qu’ils allaient chercher leur rêve, qu’ils allaient se l’octroyer que cela plaise à la régence ou non. (p. 10)

Le titre était attirant. Que dire à l’humanité lorsqu’elle survit péniblement sur une Terre qu’elle a elle-même rendu inhospitalière, intéressante question. Pourtant, je n’ai pas été convaincue par ce court livre électronique. Parce que le texte manque totalement de réalisme. Est-ce vraiment le moment de décrire ce que tout le monde sait (sauf le lecteur) ou sa vie personnelle qui n’a rien à faire dans une adresse à l’humanité toute entière. Plus des trois-quart de la lettre n’auraient pas dû être écrit. Et puis lorsque l’on comprend ce qui se trame enfin, on se demande par quelle magie cet homme a du papier et un crayon sur lui, et si vraiment c’est cela qu’il a faire à ce moment-là. D’accord pour le contrat de lecture et les petites entorses au réalisme qu’il peut impliquer, mais pas à ce point-là !
Je m’aperçois en relisant ce paragraphe que je ne parle pas du tout du contenu de la nouvelle, mais cela reflète bien le problème intrinsèque du texte : son manque de cohérence et de plausibilité m’en a rendu le message totalement inaudible.

135Dilara86
Oct 23, 2019, 11:00 am

>104 raton-liseur: Ça m'intéresse : je suis un peu dans la même situation que toi concernant Jaworski. J'en ai entendu du bien, mais je n'ai pas encore osé me lancer. Attaquer directement par un pavé comme Gagner la guerre me semble un peu risqué dans la mesure où je ne me sens pas beaucoup d'affinités a priori avec les inconditionnels de Jaworski...

136raton-liseur
Oct 23, 2019, 12:54 pm

>135 Dilara86: J'avais eu cette nouvelle gratuite il y quelques mois sur le site de la librairie électronique Emaginaire mais j'ai l'impression que cette "promotion" est terminée, je n'ai même pas retrouvé la nouvelle en question. Peut-être faudra-t-il attendre une autre opportunité?
Au risque de me répéter, j'ai bien aimé cette nouvelle, mais je ne crois pas qu'elle m'ait véritablement donné envie de m'attaquer au Gagner la guerre. N'étant ni dans une phase "fantasy" ni dans une phase "gros pavé", je pense que ce n'est pas le bon moment pour moi. Mais je serais curieuse de savoir ce que tu en penses, si jamais tu te lances!

137raton-liseur
Oct 23, 2019, 1:24 pm

106. Dans la nuit Mozambique - Laurent Gaudé



Je m’attriste parfois en me demandant ce que l’on retiendra de la production littéraire française de notre époque. Et puis je lis Laurent Gaudé et je me dis que nous sommes sauvés. Voilà un écrivain qui transforme en littérature, et quelle littérature !, tout ce qu’il touche.
Je le découvre aujourd’hui pour la première fois à travers des nouvelles. Quatre longues nouvelles dans ce recueil, qui évoquent des sujets chers à Laurent Gaudé, de la Première Guerre Mondiale à l’idée de ce qu’il reste du temps qui passe.
La prose y est claire, précise et aussi pleine de poésie. Les sentiments sont décrits ou suggérés dans leur complexité et leurs nuances. C’est une prose que l’on aime écouter parce que parfois elle berce, que l’on pourrait lire seulement pour la mélodie des mots. Mais il ne faut pas s’y laisser prendre, les idées sont toujours fortes, souvent dérangeantes, mais elles nous confrontent à notre humanité, dans ce qu’elle peut avoir de très noir comme dans ce qu’elle a de fragile. Des nouvelles contrastées, qui toutes ont leur place dans l’œuvre protéiforme de Laurent Gaudé, j’espère que la postérité en gardera trace.

138raton-liseur
Oct 28, 2019, 3:11 pm

107. Sois forte Lucia - Marie José Basurco



Après des vacances très dépaysantes au Pays basque, j’ai eu envie de lire un peu de littérature régionaliste pour comprendre un peu mieux comprendre cette culture. J’ai quelques bouquins en réserve (et le conseil, que je ne suivrai pas, de ne pas lire Ramuntcho de Pierre Loti, que les locaux regardent avec plus que de la circonspection), et j’ai commencé par celui-là, en grande partie attirée par la couverture, je l’avoue.
Lucia, jeune fille issue de la bourgeoisie luzienne, a dès ses jeunes années, un tempérament bien trempé. Elle sait ce qu’elle veut, et elle ne laisse pas les conventions sociales se mettre en travers du chemin. Elle devient ainsi la femme du beau Mikel, lui aussi basque, mais du côté espagnol.
Cette configuration nous permet de passer dans tous les milieux (toujours dans la bourgeoisie, cependant, on ne saura rien des autres milieux sociaux), d’un côté de la frontière à l’autre, d’un engagement politique à l’autre.
Car nous sommes au début du XXème siècle, avec des soubresauts politiques (et plus que des soubresauts) dans toute l’Europe, et les premières velléités indépendantistes basques. On assiste aux engagements politiques des uns et des autres, par conviction ou par opportunisme, les calculs politiques censés servir la cause basque et les trahisons répétées auxquelles les basques se sentent exposés.
J’ai beaucoup aimé ce livre. Pourtant, j’ai parfois eu du mal avec le personnage de Lucia, cette femme, certes forte mais cantonnée à son rôle de gardienne du foyer (elle a des idées politiques, mais ça n’est pas à elle de les faire vivre, elle, elle a ses enfants et, entre les actions militaires, son mari). Et puis, finalement, j’ai eu l’impression que, loin de la politique, elle était aussi une sorte d’incarnation de l’âme basque (si celle-ci existe), celle qui assure la transmission de l’héritage, qui anime « l’eche » quels que soient les forces qui se déchaînent autour d’elle. C’est toujours une vision très sexiste du partage des tâches dans un foyer, mais l’histoire commence au début du XXème siècle, et le livre se veut ancré dans son temps.
Le livre est intéressant, donc, même si, en le refermant, je ne comprends toujours pas beaucoup plus d’où viennent les velléités indépendantistes de ce peuple (qui n’a pour ainsi dire jamais existé en tant qu’Etat), et pourquoi elles se sont réveillées à ce moment de l’histoire pour prendre un ton aussi revendicatif et définitif.
Une ballade que j’ai aimé faire dans ce pays basque si petit et si complexe, qui donne quelques clefs, même si mes faibles connaissances initiales ne m’ont probablement pas permis de saisir toutes les allusions de la narration aux évènements marquants de ces années-là. Il m’a fallu accompagner ma lecture de consultations fréquentes de wikipédia pour comprendre le contexte plus global, mais j’ai beaucoup appris, notamment sur le côté espagnol du mouvement indépendantiste et la façon dont il a été traité par le régime de Franco. Cela n’excuse pas le terrorisme, mais cela permet de comprendre notamment la frustration des Basques à différents moments de leur histoire récente.

139raton-liseur
Oct 29, 2019, 3:19 pm

108. Quai d’Orsay : Chroniques diplomatiques, tomes 1 et 2 - Christophe Blain (scénario et illustrations) et Abel Lanzac (scénario)



Cette critique se rapporte aux deux tomes intitulés « Quai d’Orsay ».
Une bd qui m’avait intriguée à sa sortie, mais que je n’avais jamais eu l’occasion de lire. C’est chose faite depuis cet été. Les deux tomes sont très différents, le premier assez irrévérencieux, montrant un ministre des Affaires Etrangères brassant beaucoup de vent et dont les conseillers font tout le travail, tant de fond que pour essayer de donner un peu de consistance à ce vent. J’ai trouvé cet opus un peu trop monolithique pour être crédible, trop à charge pour être complètement honnête et cela m’a dérangée, dans un contexte de défiance croissante et parfois irraisonnée face au monde politique. Cette bd en devient presque complaisante, et c’est dommage.
Etrangement, le deuxième tome prend presque le contrepied. Si le personnage du ministre est tout aussi fantasque et adepte d’étranges concepts que lui seul semble comprendre, il a cette fois une vraie ambition et un vrai projet, qui compte parmi les rares heures de gloire de notre récente diplomatie, à savoir l’opposition ferme de la France à la seconde guerre en Irak. On retrouve ici, à peine déguisés sous des noms d’emprunt, les principaux acteurs de cette tragi-comédie mondiale, et cette fois, le ministre et la France qu’il représente ont le beau rôle. J’ai aimé ce deuxième tome, qui m’a replongée dans un épisode clef des années où j’étais vraiment au fait de l’actualité mondiale et où j’avais le temps de me forger de véritables opinions sur tout un tas de sujets, un épisode qui correspond aussi à une des dernières fois où j’ai vraiment été fière d’être française.
Mais encore une fois, le scénario de ce second tome est complaisant. Les Français sont plutôt unanimes, me semble-t-il par rapport à ce fameux discours à l’ONU. Et la bd ne donne aucun éclairage vraiment neuf ou original sur ce sujet, elle ne fait que conforter le lecteur dans la fierté dont je parlais plus haut, et tourne donc à vide.
Je suis donc plutôt déçue de ces deux tomes qui finalement sont aussi politiciens que la politique politicienne dont on se plaint. Un bon exemple de « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » ?

140raton-liseur
Oct 29, 2019, 3:22 pm

109. Le Vol du Corbeau, tomes 1 et 2 - Jean-Pierre Gibrat



Cette critique se rapporte aux deux tomes intitulés « Le Vol du Corbeau ».

Une histoire complètement irréaliste, une héroïne d’une naïveté navrante. Pas la peine d’en dire plus, je n’ai pas accroché du tout à cette bande dessinée en deux tomes, avec ses dessins très travaillés mais qui ne rattrapent pas la faiblesse du scénario.

141raton-liseur
Oct 29, 2019, 4:48 pm

110. Le Combat ordinaire, tomes 1 à 4 - Manu Larcenet



Cette critique se rapporte aux quatre volumes de la série de bande dessinée « Le Combat ordinaire ».
Tome 1 - Le Combat ordinaire
Tome 2 - Les Quantités négligeables
Tome 3 - Ce qui est précieux
Tome 4 - Planter des clous

Une bien jolie bande dessinée qui demande un peu de temps pour se laisser apprivoiser. Le personnage principal et sa petite dépression m’ont au début fait craindre le pire, mais, même s’il est très éloigné de moi, certaines de ses préoccupations, plusieurs de ses décisions et de ses indécisions m’ont semblé familières. Comme son nom l’indique, c’est un livre sur les petits défis que nous lance tous les jours la vie, ceux auxquels tout le monde ou presque est confronté et face auxquels on se sent souvent démuni et seul. Chaque tome aborde un sujet différent et pourrait presque se lire indépendamment, mais le personnage de Marco évolue au fil des tomes, mûrit, et une lecture dans l’ordre est donc souhaitable.
J’ai en particulier un faible pour les tomes 2 et 3, dans lesquels Marco doit faire face à la maladie de son père vieillissant qui perd la mémoire, puis à sa mort. La vie et la mort sont d’ailleurs intimement liés puisqu’en même temps Marco est témoin du désir de maternité grandissant de sa compagne. Tout cela avec un dessin bien moins simple qu’il n’y paraît au premier abord, et dont l’imperfection (maîtrisée) est tout en accord avec le sujet et le personnage.
Vie, mort, combat ordinaire d’une vie que l’on cherche à tout prix à réussir, sans bien savoir ce que cela veut dire, une vie à côté de laquelle on ne veut pas passer, qui est faite de petits riens, petites défaites et petites victoires, et l’on se demande si c’est seulement cela, la vie, alors que l’on avait tellement crû que c’était tellement plus.

142raton-liseur
Modifié : Nov 3, 2019, 9:46 am

111. L’Homme illustré - Ray Bradbury ; traduit de l’anglais par C. Andronikov et Brigitte Mariot


Et suppose que ta femme y aille [sur Mars] ? Quel serait ton sentiment ? Tu saurais qu’elle a vu et pas toi ! Elle deviendrait une sainte. Tu aurais envie de la jeter dans la rivière. Non, Bodoni, achète la nouvelle concasseuse dont tu as besoin, fourre tes rêves dedans et réduis-les en pièces.
(p. 303, Nouvelle 17, “La fusée”).
M’sieur Raton avait été emballé par ce bouquin, alors je me suis laissée tenter. Etrange cette façon de relier des nouvelles entre elles, intéressante. Quelques nouvelles m’ont plu, d’autres m’ont intéressé, mais je n’ai pas été conquise par les mêmes que M’sieur Raton, et pas pour les mêmes raisons. Une preuve, s’il en est besoin, que la lecture est un acte personnel et que chacun lit un livre avec ce qu’il est, ce qu’il pense, et retire de cet acte quelque chose de différent. Et pour moi, la sensation que, à quelques exceptions près, la science-fiction n’est pas faite pour moi, même si ce livre ne m’a pas ôté l’envie de relire Chroniques martiennes à côté duquel j’étais passée étant plus jeune ou le grand Fahrenheit 451 qui m’avait beaucoup intriguée à l’époque. Patrimoine littéraire, et pas des moindres.

143raton-liseur
Oct 30, 2019, 9:52 am

112. Les Vestiges du jour - Kazuo Ishiguro ; traduit de l’anglais par Sophie Mayoux



Je ne sais pas vraiment pourquoi je n’ai pas lu ce livre plus tôt. Peut-être parce que l’argument est un peu fin : les états d’âme d’un majordome anglais. Un peu d’a priori de ma part aussi : qu’est-ce qu’un auteur japonais peut bien avoir à dire d’intéressant à ce sujet ?
Et pourtant… D’abord, Kasuo Ishiguro a certes un nom japonais, mais connait l’Angleterre bien mieux que moi. Ensuite, je suis de ces lecteurs qui pensent qu’on n’a pas besoin d’être une femme pour écrire sur les femmes, d’être noir pour écrire sur les noirs, et caetera, et caetera. Il était donc plus que temps que je me décide enfin à lire ce livre.
Et ce fut une lecture absolument passionnante. Stevens est majordome, donc, dans un pays en pleine mutation. L’entre-deux-guerres voit la modernisation des modes de vie, de nouvelles fortunes se créer alors que la noblesse du sang n’est plus la garantie qu’elle était. Dans ce monde qui change vite et à plus d’un titre, Stevens, comme son père avant lui, réalise un métier qui incarne tout ce qu’était l’ancien monde, avec sa hiérarchie sociale tellement claire et immuable que c’en était presque rassurant.
Au soir de sa vie, alors que le changement de propriétaire de la maison à laquelle il est attaché le déstabilise au-delà de toute mesure (une fortune récente, et américaine de surcroît, rien ne l’avait préparé à cela…), Stevens part pour la première fois en voyage. Il prend certes l’excuse d’aller rendre visite à une ancienne connaissance qu’il pourrait recruter pour le compte de son nouveau patron, mais ce n’est qu’une excuse, plus ou moins consciente, qu’il se donne plus ou moins consciemment pour prendre les premières vacances de sa vie, lui le majordome qui s’est toujours voulu irréprochable.
Et ces vacances sont l’occasion de laisser ses pensées suivre leur cours. Les souvenirs du passé, notamment du temps où Miss Kenton était gouvernante et où d’autres choix de vie s’offraient alors encore à lui, mais aussi une réflexion sur ce qu’il a appris de toutes ces années entièrement dédiées au service d’un autre. Et étrangement, ce long monologue d’un personnage qui semble si loin de moi, de mon mode de vie, de mes préoccupations, devient vite passionnant.
Le personnage de Stevens, au fur et à mesure où il se dévoile montre une complexité croissante. Il a fait du dévouement propre à son métier une éthique, une philosophie presque, à laquelle il a longuement réfléchie, qu’il a peaufinée au fil de ses expériences et de ses années de service. Il fait de sa place obscure dans la société, noble parmi les domestiques, mais quantité négligeable aux yeux de ceux qu’il sert, toujours dans l’ombre, mais responsable de beaucoup tout ce qui ne se remarque pas, ou ne doit pas être remarqué. Etrange satisfaction que celui dont le travail est réussi quand personne ne le remarque et ne songe donc même peut-être à l’en remercier ou l’en féliciter.
Mais ce n’est pas là le seul intérêt de ce livre. En effet, je me suis aperçue que, quelle que soit la distance qui me sépare de cet homme, et elle est grande, ses préoccupations peuvent faire écho aux miennes de bien des façons. Car Stevens a des principes et a modelé sa vie autour de ces principes, parfois même sacrifiant ses désirs personnels à la fidélité à ces principes. Je ne suis pas aussi âgée que Stevens, ce n’est pas encore toute ma vie, ni même j’espère la moitié de ma vie, qui est derrière moi, mais je me prends souvent à réfléchir à comment mes principes ou, pour être plus positive, mes valeurs, interagissent avec ma vie. Et surtout, je crois, cela m’a amenée à me poser des questions sur ce qu’est une vie réussie lorsque l’on mène une vie obscure, dans l’ombre des grands évènements, des grandes décisions, des grandes avancées.
Ce livre explore ces questions complexes, et le personnage de Stevens est émouvant, d’autant qu’on ne sait à aucun moment à quel point il est convaincu par son propre discours d’une vie réussie dans l’ombre de celles des autres ou si ce discours est une façade, une histoire qu’il se raconte à lui-même pour tenter de masquer à ses propres yeux la vacuité de sa vie.
C’est un très beau livre, écrit dans une langue très maitrisée, en accord avec ce personnage qui se contrôle tout le temps. Un plaisir à lire, en laissant les phrases rouler sous la langue, un pincement au cœur pour ce personnage aussi vrai que nature, et qui dit beaucoup sur lui-même et sur ce que beaucoup d’entre nous pouvons être.
Je ne sais pas si je lirai à nouveau des livres de Kazuo Ishiguro. J’ai fini par lire celui-là parce que je ne pouvais ignorer plus longtemps son prix Nobel, après quelques années d’attentisme parce que ce prix correspond moins à mes goûts littéraires que par le passé. Je ne sais pas si j’en lirai d’autres, car celui-là me semble assez unique dans son œuvre, mais même si je m’arrête là, ce fut un délicieux moment de lecture, plein de réflexion et de retenue à l’anglaise, comme cet homme sur la couverture si bien choisie par l’éditeur, un homme de dos, dont on ne connaitra pas le visage, juste son attitude irréprochable qui est toute sa gloire et son honneur.

144raton-liseur
Oct 30, 2019, 11:13 am

113. En Finir avec Eddy Bellegueule - Edouard Louis



En regardant mes élèves, en réfléchissant à ce que j’ai fait de mes études, de ma vie, je me pose beaucoup de question sur la reproduction sociale, sur les plafonds de verre qui existent ou que l’on se crée. Ce sont des questions complexes de savoir ce que l’on veut dans la vie, ce que l’on peut, ce que l’on se croit en droit de vouloir.
Ce livre d’un intellectuel qui vient d’un milieu populaire, très pauvre économiquement, et culturellement aussi semble-t-il, et qui a fait Normal Sup me paraissait une bonne façon d’aborder ce sujet, certes un peu de biais mais c’est souvent ma façon d’aborder beaucoup de sujets. Mais je n’ai probablement pas fait le bon choix, pas trouvé le bon biais. Peut-être que lire les réflexions de quelqu’un ayant tellement tourné le dos à là dont il vient qu’il a changé son nom et son prénom n’était pas la meilleure décision.

Difficile de trouver une façon de tourner ce qu’il y a à dire. D’abord parce que le livre n’est pas très clair sur ce qu’il est : une fiction, mais en même temps très fortement inspiré de la vie de l’auteur. Est-il nécessaire d’ajouter de la noirceur à la noirceur, du scabreux au scabreux ? Cela sert-il le propos ? Pas pour moi qui me suis sentie dans une situation de voyeurisme imposé tout au long du livre.
Et puis, ce livre écrit à vingt ans manque singulièrement de recul. C’est surtout un long et grand cri de colère. Une enfance très difficile, certes, avec des épisodes douloureux (inventés pour la fiction du livre ou véritablement vécus, ce n’est pas clair) et c’est un euphémisme de le dire ainsi. Mais on sent tout ce que ce jeune homme qui change de nom rejette, tout ce qu’il ne veut plus, tout ce qu’il abhorre. Il a tourné le dos à là d’où il vient et le dit avec toute la violence dont il est capable, une violence écrite pour répondre à la violence physique dont il a été victime.
C’est difficile, et j’ai eu une vie bien trop privilégiée et conventionnelle pour pouvoir véritablement toucher du doigt la souffrance dont Edouard Louis parle, mais ce livre me semble plus être un début de thérapie, à laquelle je n’ai pas à être conviée, qui devrait être dite dans le secret du cabinet d’un psychologue ou d’un psychanalyste. Je n’ai jamais aimé lire des livres qui semblent être écrits comme des thérapies ou des règlements de compte personnels, dans lesquels je n’ai pas l’impression d’avoir une place de lecteur. Ce livre étant tout cela, j’ai eu du mal à le finir, mais j’ai espéré jusqu’à la fin y trouver autre chose qu’une litanie de récriminations. Ce livre étant tout cela, je n’en ai pas apprécié la lecture, mais je crois que cela est déjà clair.
Je ne pense pas que je lirai un autre livre de cet auteur, mais je pense qu’il a avancé sur le chemin de cette fameuse thérapie dont je parlais, puisque son dernier livre, publié l’année dernière, semble le voir se réconcilier, au moins par livre interposé, avec son père et par extension au moins une partie de ses origines ou de son enfance. Dommage que cette thérapie soit étalée dans les pages de ses livres.

145raton-liseur
Oct 30, 2019, 11:55 am

114. Seuls, cycle 1 (tomes 1 à 5) - Fabien Vehlmann (scénario) et Bruno Gazzotti (illustrations)



Cette note de lecture se rapporte aux cinq premiers volumes de la série de bande dessinée « Seuls ».
Tome 1 - La disparition
Tome 2 - Le maître des couteaux
Tome 3 - Le clan du requin
Tome 4 - Les Cairns rouges
Tome 5 - Au cœur du Maelström

Titre étrange, série empruntée à la bibliothèque par P’tit Raton (il va falloir que je songe à changer son surnom, il ne fait plus que 2 cm de moins que moi…), j’ai voulu essayer aussi. « Etrange » ne s’arrête pas au titre. L’idée aussi, ces enfants qui se retrouvent seuls dans une ville immense, puis des phénomènes étranges qui se passent.
Le premier tome, qui pose la situation et introduit les personnages, est plutôt plaisant, intriguant mais plein de potentiel. Le deuxième tome est inquiétant, mais finalement plutôt mignon lorsque l’on comprend les motivations du maître des couteaux. A partir du troisième tome, par contre, les choses deviennent de plus en plus compliquées, et aussi, je crois, de plus en plus malsaines. Un peu de Sa Majesté des Mouches dans l’air. Encore une fois, c’est étrange, mais pourquoi pas, pour des enfants pas trop enfants, et qui savent prendre un peu de recul par rapport à ce qu’ils lisent.

146raton-liseur
Oct 30, 2019, 12:03 pm

115. Seuls, cycle 2 (tomes 6 à 9) - Fabien Vehlmann (scénario) et Bruno Gazzotti (illustrations)



Cette note de lecture se rapporte au cycle 2 de la série de bande dessinée « Seuls », soit les tomes 6 à 9.
Tome 6 - La quatrième dimension et demie
Tome 7 - Les terres basses
Tome 8 - Les arènes
Tome 9 - Avant l’Enfant-minuit

Le cycle 2 de cette série, après une première partie qui est certes assez étrange et plutôt dérangeante, mais qui se tenait bien. On sait maintenant pourquoi les enfants sont seuls, ce qui est arrivé à leur monde. Mais le reste de l’histoire commence à devenir de plus en plus obscur. On avait déjà les Cairns rouges dans le précédent cycle, qui avaient commencé à me faire décrocher. Là on rajoute des histoires qui tendent au totalitarisme, et cela devient de plus en plus étrange et malsain. Je suis assez peu convaincue par ce deuxième cycle, qui ouvre beaucoup de lignes narratives dont j’ai la sensation qu’elles n’arriveront pas à se rejoindre de façon convaincante. Cela finit avec un coup de théâtre final, l’enfant-minuit, il faudra attendre pour voir ce que nous réserve la suite, mais je dois avouer que je trouve que tout cela devient malsain pour être malsain. Il aurait peut-être mieux valu savoir s’arrêter plus tôt, et peut-être aussi faire attention à ce que nos chères têtes blondes, brunes ou rousses lisent et comprennent ce qu’ils lisent. Un peu d’accompagnement me semble ici nécessaire pour réfléchir à cette bande dessinée, qui n’est pas à mettre entre toutes les mains, et surtout pas d’ingénus enfants encore plein d’illusions naïves et nécessaires à leur construction.

147raton-liseur
Oct 30, 2019, 12:12 pm

116. 23773177::La Vie silencieuse de la guerre - Denis Drummond
(Not translated into English)


Les attentats devenaient quotidiens. Sur les marchés, dans les gares routières, une nouvelle peur s’installait, une autre réplique de l’enfer, qui abîmait l’espoir d’une vie tranquille occupée à travailler, aimer, fonder une famille, élever des enfants, rêver, comme si ce simple désir de vivre devenait une espérance de paradis.
(p. 195, Chapitre 6, Partie 3, “Troisième jour. Fumigations – Afghanistan (septembre-novembre 2001”).

Pendant ces quatre jours, nous avons vécu dans la guerre. En suivant Enguerrand, nous avons traqué son regard, vu ses horreurs, ses atrocités, trouvé beau ce qui ne peut l’être, et donné un sens à ce qui ne peut en avoir.
(p. 220, Chapitre 2 de l’épilogue).

J’ai mis du temps à lire ce livre, que j’avais choisi à cause de son titre énigmatique et de son résumé qui me rappelait Le Peintre de batailles, d’perezrevertearturo::Arturo-Perez Reverte. Puis après l’avoir fini il y a quelques jours, je me suis demandé comment j’allais bien pouvoir en écrire une note de lecture. C’est l’écoute fortuite d’un entretien radiophonique de Michaël Ferrier, un autre auteur, dont je n’avais jamais entendu parler et qui vient de sortir un livre sur son enfance au Tchad, pendant laquelle il a côtoyé la guerre, qui m’a fourni la réponse le lendemain. Il parlait de la guerre donc, et surtout de l’innommable de la guerre, de ce qu’on y apprend et, intrinsèquement lié, de l’intransmissibilité de cet apprentissage. Et de citer Céline pour appuyer son propos, cet auteur que je ne me résous toujours pas à lire. Sans le savoir, il résumait finalement assez bien le livre que je venais de finir.
L’histoire d’un photographe de guerre, mort à l’œuvre, et qui lègue à son ancienne compagne quatre clichés, avec les journaux de terrain qui les accompagnent, et qui sont toute son œuvre, la quintessence de sa réflexion sur la guerre. On lit ces journaux et on découvre ces photos en même temps que cette femme, Jeanne et que Gilles, le galeriste qui pourra en faire une exposition. C’est l’occasion, en quatre parties, de revisiter les grands conflits de ces dernières décennies. Les conflits qui, je m’en suis rendue compte en lisant ce livre, sont ceux qui marquent mon éveil à la conscience politique, les conflits de mon adolescence, au moins pour les deux premiers, le génocide au Rwanda et l’implosion de la Yougoslavie. Viennent ensuite l’Afghanistan et l’Irak, qui sont les conflits qui closent pour moi cette période de prise de conscience et l’entrée véritable dans l’âge adulte. J’ai été très sensible à l’évocation des deux premiers conflits, moins à celle des deux autres, peut-être parce que je commençais à me lasser d’une certaine répétition, peut-être parce que ces conflits n’ont pas la même signification pour moi.
A chaque fois, on suit Enguerrand, le photographe, dans sa découverte du conflit, dans ses descriptions et ses expériences. Et chaque conflit est pour lui une révélation d’un aspect de la guerre, qu’il matérialise par un cliché unique, qui est ce qu’il appelle le véritable visage de la guerre et non, comme ses autres clichés, des manifestations des conséquences de cette guerre. Tout cela entre en résonance avec différentes œuvres, et c’est un livre qui oscille étrangement entre un certain onirisme et un grand didactisme.

Il m’est difficile de résumer ce livre ou même d’étayer mes impressions de lecture sans en dévoiler trop. Je me contenterai donc de dire que c’est un livre finalement assez dérangeant. On tombe vite, avec ces clichés très travaillés et pensés, avec ce parti pris de les faire découvrir par un homme d’art, dans une certaine esthétisation de la guerre, qui m’a gênée à partir de la moitié du livre à peu près, et qui m’a forcée à faire une pause dans ma lecture. J’ai tout de même fini ce livre, donc j’ai trouvé la fin moins travaillé, les phrases moins polies, comme si l’auteur avait voulu se débarrasser d’un sujet trop encombrant, ou bien comme si son éditeur le forçait à rendre un texte non encore abouti, je ne sais.
La fin est cependant voulue, la façon que le livre a, en quelque sorte, de faire un tour sur lui-même et de revenir à son point de départ. Et je me demande ce qu’il me reste de cette lecture maintenant que je l’ai menée à terme. Un sentiment de gâchis peut-être (le gâchis qu’est la guerre, je le précise, rien à voir avec l’ouvrage de Denis Drummond), un sentiment d’intransmissibilité aussi, une intransmissibilité à laquelle l’auteur s’est cognée, et qu’il a su rendre, au travers de ses phrases polies, au travers de tous ces éléments qu’il ajoute à l’intrigue principale : la neige sur Paris, l’urgence d’aimer ou de vivre, l’amour et le deuil qui se mélange, l’excitation de la découverte, le goût du café.
Un livre étrange donc, face auquel j’ai du mal à me positionner clairement, qui me fait botter en touche. Un livre qui oscille entre les horreurs factuelles décrites et la mise en scène qui rend la langue brillante, belle et désirable. Une grande adéquation, donc, entre le sujet et la forme. En définitive, le mien que je puisse faire pour décrire ma lecture est de dire que je ne serais probablement pas allée voir cette exposition de photos, malgré l’intérêt que je porte au sujet, et que la description clinique qui est faite de chaque cliché m’a amplement suivi, même si elle m’a laissée sur ma faim.

148raton-liseur
Oct 30, 2019, 12:31 pm

117. L’Ecorce des choses - Cécile Bidault



C’est la belle couverture que j’ai vue d’abord, cette petite fille au regard étonné dans cette forêt aquatique en camaïeu de rouges. C’est le titre qui m’a décidé à prendre ce livre ensuite, et à l’ouvrir. Un titre énigmatique, un peu rugueux, autant que le dessin de la couverture est doux.
Il faut lire le propos introductif pour comprendre ce dont il est question dans cette bande dessinée qui n’a presque aucune bulle. C’est l’histoire d’une petite fille sourde et muette dans les années 70 ou 80. Le dessin, très expressif communique bien les sentiments de ce petit bout de demoiselle qui ne comprend pas toujours les attitudes et les réactions de ceux qui l’entourent, qui cherche à appréhender le monde avec ce qu’elle a à sa disposition, son insatiable curiosité, ses yeux grand ouverts, sa gentillesse et ses colères aussi, qui marquent toute son impuissance et sa frustration.
Les parents semblent aussi tellement désarmés dans cette histoire, on espère qu’aujourd’hui les enfants comme leur famille sont mieux accompagnés. Mais l’on voit comment chacun réagit à cette situation, essaye de la nier ou bien de l’accepter.
Une bande dessinée à savourer lentement, au fil des dessins qui racontent l’histoire et les sentiments. Une histoire à apprivoiser pour comprendre un peu mieux et pour sentir un peu mieux, par tous les sens pour nous qui les avons tous et pour peut-être tenter d’imaginer comment on perçoit le monde lorsque l’on est privé d’un ou plusieurs sens et qu’il faut alors développer les autres encore plus.

149Dilara86
Oct 31, 2019, 1:51 pm

>148 raton-liseur: La couverture est adorable. Je vais voir si je peux emprunter cette BD à la bibliothèque : le sujet et la manière dont il semble avoir été traité m'attirent.

150raton-liseur
Oct 31, 2019, 1:55 pm

>149 Dilara86: J'espère que tu le trouveras, le contenu est à la hauteur de la couverture!

151raton-liseur
Nov 1, 2019, 7:13 am

118. Ida Brandt - Herman Bang ; traduit du danois par Elena Balzamo


– Mais la vie, de toute façon, on n’y peut rien ?
– Si… enfin…
– Je veux dire… expliqua Ida qui semblait toujours hésitante lorsqu’il s’agissait d’exprimer une opinion. De toute manière, on fait ce qu’on doit faire…

(p. 74, Partie 1).
Ce sont la simplicité du titre et la mélancolie qui se dégageait de la couverture qui m’ont attirée vers ce livre. Et l’éditeur a probablement fait un très bon travail puisque ce sont les deux mots qui me restent après avoir refermé la dernière page de ce livre.
Ida Brandt est le nom de l’héroïne de ce roman, intitulé Ludvigsbakke en danois, du nom du domaine dont le père d’Ida était régisseur et où elle a passé son enfance. Une enfance heureuse, dont elle garde une nostalgie sans fond. Arrivée à l’âge adulte, Ida Brandt peine à trouver sa place dans la société. D’origine modeste mais avec une situation financière confortable, elle n’appartient pas tout à fait à la même classe laborieuse que ses collègues infirmières, et certainement pas à la classe des possédants, ceux qui possèdent soit des propriétés immobilières soit des noms à particule. Elevée loin des réalités du monde, Ida n’est que candeur et gentillesse. Elle sait, elle sent qu’elle n’a pas le droit au bonheur et laisse les autres abuser de cette candeur et de cette gentillesse. Elle sait que l’on se sert d’elle, mais elle l’accepte, le provoque même.
Un portrait de femme peu flatteur, pourrait-on dire à première vue, loin de ces portraits de femmes fortes que nous offre à foison la littérature nordique. Et pourtant, de par sa résignation, Ida Brandt, à sa manière, force le respect. Le respect de ses choix, aussi incongrus semblent-ils, le respect de son immense nostalgie pour le domaine qui a abrité les beaux jours de son heureuse enfance.
Et ce voile de nostalgie (j’hésite à écrire le mot tristesse, mais il n’est pas loin) recouvre toute l’histoire, que ce soient les réminiscences du passé ou l’amour qu’Ida sait sans lendemain qu’elle voue à un homme qui ne la mérite pas mais auquel elle s’attache contre toute raison parce que justement il lui rappelle son cher Ludvigsbakke.
Dans un Danemark qui oscille entre modernité et rigorisme, Ida Brandt est une héroïne qui choisit son destin, même si celui-ci est synonyme de sacrifice et d’abnégation. Une figure elle aussi entre modernité et conservatisme, puisqu’elle prend des décisions et est indépendante, mais fait tout pour rester à la place que la vieille société lui assigne, celle de la future vieille fille plus ou moins corvéable à merci et pour laquelle on n’a aucun égard. Simple, mélancolique, triste, avec une grande retenue. Un auteur que je découvre, et que je suis contente de découvrir.

152raton-liseur
Nov 1, 2019, 7:15 am

119. Le Lotus bleu - Hergé ; adaptation de Katell Guillou, lecture de Didier Sandre et Noam Morgensztern

Les adaptations de bande dessinée à l’oral sont toujours périlleuses. J’en ai maintenant écouté quelques-unes, en me cantonnant à des bandes dessinées que j’avais déjà lues dans leur format original, et je n’ai jamais été complètement convaincue.
Celle-ci n’est pas mal faite et j’y ai pris plaisir. Je ne sais si c’est un parti-pris de l’adaptation ou si c’est ma compréhension de l’œuvre qui a mûri, mais j’y ai beaucoup plus senti la main-mise étrangère, et particulièrement japonaise, sur la Chine de l’entre-deux-guerres, comme un pays qui n’appartient plus à ses habitants. Le Lotus bleu a longtemps été une de mes bandes dessinées préférée de Tintin, et cette petite adaptation audio m’y a fait goûter à nouveau, d’une façon inattendue et pas déplaisante du tout !

153raton-liseur
Modifié : Nov 1, 2019, 11:21 am

120. Notre Mère la Guerre, tomes 1 à 4 - Kris (scénario) et Maël (illustrations)



Cette note de lecture se rapporte aux quatre volumes de la série de bande dessinée « Notre Mère la guerre ».
Tome 1 - Première complainte
Tome 2 - Deuxième complainte
Tome 3 - Troisième complainte
Tome 4 - Requiem
Oui, Desloches a raison : les soldats auront beaucoup de choses à dire après la guerre. Mais j'ai bien peur qu'on ne les écoute pas, ou pire, qu'on les écoute mal. Alors, entraîné par ces silences, le soldat se taira lui aussi. Ou pire, il racontera mal. Ouvrant la porte aux renoncements, préparant les futurs recommencements.
(p. 39, Tome 3, “Troisième complainte”).

A c't'heure, faut quand même être sacrément convaincant avec soi-même pour se persuader qu'on défend la civilisation...
(p. 58, Tome 3, “Troisième complainte”).
J’avais vu des commentaires élogieux de cette bd au détour d’un site littéraire, et le titre et les dessins de couverture m’avaient suffisamment intriguée pour que je note cela dans un coin de ma tête et que j’y revienne lorsque l’occasion m’a été donnée il y a peu de les emprunter à la bibliothèque. Je ne connaissais rien de l’histoire et je l’ai donc découverte au fur et à meure des pages. C’est une façon étrange d’aborder la guerre que de présenter une enquête policière (ou plus exactement de la gendarmerie) suite à la découverte de femmes assassinées dont les corps sont déposés dans les tranchées, accompagnés d’étranges missives. Le lieutenant Vialatte est chargé de mener l’enquête, et c’est lui que l’on suit, dans son enquête à travers les tranchées, dans ses pensées aussi, et dans un futur pendant lequel il rumine cet épisode de sa vie qui ne semble cesser de le hanter.
De janvier 1915 à la fin de la guerre, on ne quitte plus le lieutenant Vialatte, qui semble évoluer avec son époque. D’abord enthousiaste face à cette guerre, en bon patriote qu’il est, comme beaucoup de ses semblables à l’époque, on le voit découvrir ce qu’est véritablement la guerre, s’engager comme soldat du front, vivre l’usure de cette guerre moderne qui bouscule tous les codes.
C’est un étrange roman graphique que celui-là. D’abord avec des dessins à la fois très beaux et très réalistes. Les tranchées sont représentées dans toute leur crudité, les attaques et les morts violentes aussi, et pourtant le dessin est beau. On est très souvent à la limite de l’esthétisation et c’est parfois dérangeant, pour ne pas dire plus. C’est surtout le cas dans les deux premiers tomes, alors que le lieutenant Vialatte est encore tout gonflé de ses idéaux patriotiques. Dans les deux suivants, au contraire, les dessins restent très beaux alors que les propos se font de plus en plus désabusés.
Les meurtres ne sont donc bien qu’un prétexte pour nous faire découvrir différents aspects de la guerre, pas toujours les plus glorieux, et aussi, pour nous montrer son évolution, celle des techniques et celle de l’état d’esprit de ces soldats qui comprennent bien vite qu’ils ne sont que de la chaire à canon, défendant des intérêts qui leur échappent de plus en plus. Et je crois que c’est cet aspect qui m’a le plus intéressée, car il est finalement assez peu représenté en général. Ce n’est pas une photo de la guerre à un instant donné, mais bien un film qui montre tous les ressorts de son évolution, ce qui est la moindre des choses pour un moment aussi charnière de notre histoire, après lequel rien n’a plus jamais été comme avant.
Une lecture intéressante, donc. Difficile parfois, mais avec des images sur lesquelles il est intéressant (et parfois agréable, parfois dérangeant) de s’attarder. Une façon originale d’évoquer cette période de notre histoire encore récente malgré ce que l’on peut parfois croire, et sur laquelle on n’a pas fini de réfléchir.

154raton-liseur
Nov 1, 2019, 11:02 am

121. Girl - Edna O’Brien ; traduit de l’anglais par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat



Lorsque j’ai payé ce livre (le seul de cette rentrée littéraire que j’ai acheté et même que j’ai lu à ce jour, acheté de façon impulsive après en avoir écouté les critiques unanimes sur France Culture), la libraire ne m’a pas souhaité une bonne lecture, elle m’a souhaité une : « puissante lecture ». Et c’est avec cette recommandation que j’ai commencé ce livre le soir même, tout juste 24 heures après en avoir entendu parler pour la première fois.
Je ne reviendrai pas sur les polémiques sur les différences entre l’autrice, femme, irlandaise, âgée et son personnage principal, femme aussi, mais jeune et nigériane, et surtout ayant vécu des moments traumatisants, pour le dire avec pudeur. Je crois trop à la magie de la littérature qui est de pouvoir se mettre à la place d’autres personnages, le temps de quelques jours ou de toute une vie selon les choix de l’auteur, de partager ses pensées, ses doutes, ses sentiments ou ses émotions, d’avoir mal ou de se réjouir avec eux. Bien sûr, ce n’est pas la même chose que de vivre véritablement les choses, mais cela ouvre nos horizons, nous rend plus larges que nous-mêmes. Si nous pouvons vivre cela en tant que lecteur, je pense qu’un auteur ou une autrice peut le faire aussi, et c’est la marque des grands auteurs que de pouvoir réaliser ce genre de tour de passe-passe de façon tout à fait crédible. J’ai donc ouvert ce livre en me disant bien que c’était une façon un peu étrange d’aborder cette autrice, nouvelle pour moi, et connue pour d’autres livres plus proche de sa propre expérience, mais qu’à cela ne tienne, je me suis mise à ma lecture sans coup férir.
Girl est donc l’histoire d’une fille, qu’importe son nom, elle le ne connaît même plus elle-même, mais elle s’appelle Maryam. Nous sommes au Nigeria, et cette fille parmi d’autres est enlevée par les troupes de Boko Haram. On est avec elle au moment de l’enlèvement, lorsqu’elle arrive dans le camp, au fur et à mesure qu’elle perd l’espoir d’être sauvée et qu’elle réalise ce que sa vie sera. La narration est efficace, factuelle, rien n’est épargné au lecteur mais la plume d’Edna O’Brien est d’une grande efficacité, et, même si certaines scènes sont plutôt insoutenables (et montrent justement la limite de cet adage qui dit que l’on peut vivre d’autres vies grâce aux livres, car on peut toujours poser un livre, faire une pause, respirer, passer à autre chose, penser à autre chose, Maryam n’a pas cette chance, cette possibilité de respiration), à aucun moment je n’ai senti de voyeurisme ou de complaisance.
Puis Maryam s’échappe, et c’est alors, après une longue immersion, une sorte de remontée à la surface, Maryam qui essaye de remonter, de retourner à la vie. Mais là aussi, le chemin est semé d’embûches. Car chacun sait ce que Maryam a subi, du moins peut l’imaginer, et les victimes sont parfois vues comme des coupables. Et que dire de sa radicalisation possible. Et d’une société qui a changé pendant toutes ses années d’enfermement, changé du fait de Boko Haram, mais changé aussi du fait du temps qui passe, des événements quotidiens, des petits drames de tous les jours et des plus grands. Ici, j’ai trouvé le propos d’Edna O’Brien plus confus. D’abord, son style devient moins factuel, il est plus implicite, plus elliptique, alors que c’est là que l’on aurait le plus besoin de comprendre. Ensuite, le récit se complexifie, car le village et la famille de Maryam ne sont pas restés indemnes dans cette guerre incessante. Alors on ne sait plus trop, tout se mélange, pourquoi Maryam est-elle rejetée, pourquoi le retour à la vie est-il si difficile ? Est-ce elle qui est rejetée ou est-ce parce que tout a changé en son absence ? Est-ce elle qui n’arrive pas à revenir ou sont-ce les autres qui ne veulent plus d’elle ? Le message se brouille, et je me suis perdue là où je voulais le plus comprendre.

En définitive, avec ce livre que j’ai lu d’une traite, ou presque (en tout cas en quelques jours), je suis restée sur ma faim. Une première partie intéressante, mais qui n’était pas ce pour quoi je voulais lire ce livre. Puis une deuxième partie peu convaincante, alors que c’est seulement elle qui me justifier que l’on écrive la première (sinon, à quoi bon décrire des atrocités ?) et que c’est celle qui demande le plus grand travail de la part d’un écrivain, et de la part de ceux qui sont restés du bon côté, du côté sauf, de notre part à nous, donc.
Je suppose que c’est une première tentative intéressante d’écrire sur le sujet, il faut que certains ouvrent la voie. Mais il faudra d’autres tentatives, mettre d’autres mots sur ce drame, attendre que d’autres disent ou écrivent, car ce livre n’épuise pas le sujet, loin de là.

155raton-liseur
Nov 1, 2019, 11:20 am

122. Monkton le Fou - Wilkie Collins ; traduit de l’anglais par Eric Chédaille



Wilkie Collins est un grand nom de la littérature anglaise du siècle dernier, pardon, d’il y a deux siècles, maintenant… Mais je ne l’avais jamais lu. Alors j’ai pris le prétexte d’un livre un peu esseulé dans la boît à livre en face de la mairie pour le découvrir, dans une œuvre mineure, certes, mais c’est parfois une bonne façon d’aborder un auteur.
Monkton le Fou est un roman gothique tout ce qu’il y a de plus classique de par sa facture et son sujet. Un homme qui vit sous le coup d’une prophétie lugubre qui prédit la fin de sa lignée, et qui, par ce qu’il y croit, permettra qu’elle se réalise.
Une lecture facile et rapide, qui était ce dont j’avais besoin ou envie à ce moment-là. Je ne suis pas une grande amatrice du genre, si bien que cette lecture ne me laissera pas un grand souvenir, sinon que maintenant je peux dire que j’ai lu Wilkie Collins !

156raton-liseur
Nov 1, 2019, 11:42 am

123. Les Grandes Espérances - Charles Dickens, traduit de l’anglais par Sylvie Granotier ; adaptation de Sylvie Granotier, lecture de Jacques Gamblin

Un petit Dickens de temps en temps n’a jamais fait de mal à personne, et cela faisait longtemps que je voulais lire celui-là, depuis que j’avais découvert la vraie vie de Melle Havisham dans les livres de Jasper Fforde.
J’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les aventures de Pip le long de l’échelle sociale. Beaucoup de coïncidences qui se flairent plusieurs chapitres à l’avance, mais on ne lit pas Dickens pour le suspens. Le livre est très bien mené, on découvre différents aspects de la société anglaise de l’époque, dont certains côtés bien peu reluisants. On peut faire des parallèles avec Victor Hugo qui lui aussi a dénoncé le bagne, son ignominie et son inutilité.
On retient aussi de ce livre un certain nombre de personnages plutôt excentriques mais au caractère bien trempé. Mademoiselle Havisham n’est pas des moindres et m’a laissée une forte impression.
Une lecture que j’ai menée tambour battant, donc. Pour le plaisir d’un livre dépaysant à plus d’un titre, agréable et intelligent à la fois. Je le disais bien, un petit Dickens de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal !

157raton-liseur
Nov 1, 2019, 1:07 pm

124. Prends soin de maman - Kyung-sook Shin ; traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot


J’attends avec impatience que mon petit dernier grandisse. Quand je pourrai le mettre dans une garderie ou le confier à une nourrice, je reprendrai mon travail. C’est vrai, il faut que je vive ma vie. Chaque fois que je pense à cela, je me dis que je ne comprends pas comment maman a pu supporter celle qu’elle a menée. Admettons que, dans la situation où elle se trouvait, elle ne pouvait pas faire autrement que de s’occuper de nous. Mais… comment avons-nous pu nous comporter comme si elle était née pour n’être que cela : une mère ? (…) Elle s’est sacrifiée corps et âme, en se débrouillant de son mieux avec les mauvaises cartes que son époque lui avait distribuées – la pauvreté, la tristesse et la solitude –, en renonçant à toute espérance. Comment est-il possible qu’il ne me soit jamais venu à l’esprit qu’elle aussi avait nourri des rêves ?
(p. 248, Epilogue, “Un chapelet « en bois de rosier »”).
Autrice découverte au détour d’une note de lecture, une envie de Corée liée à une autre lecture récente, j’ai choisi ce titre parce qu’il me paraissait, dans la bibliographie de cette écrivain, le plus proche de mes sujets de prédilection. Puis j’ai lu des critiques assez mitigées, et j’ai craint de m’être trompée. Alors j’ai voulu en avoir le cœur net et j’ai commencé ma lecture.
Une femme venue rendre visite à ses enfants se perd dans le métro et disparaît. Sa recherche s’organise, en même temps que chacun repense à cette femme, à ce qu’elle a représenté pour eux et à ce que ce vide laisse. Le livre est organisé en quatre longs chapitres, chacun ayant une personne de la famille différente comme centre. Et, tout en suivant les étapes de la recherche, on explore avec ce personnage sa relation à sa mère, ou à sa femme. Les petits souvenirs qui reviennent tout à coup et qui prennent une saveur ou une signification nouvelle. Un questionnement sur une relation qui semble d’habitude aller de soit, celle à sa mère, dont on attend tout sans penser à ce que cela signifie.
Je ne sais dans quelle mesure ce livre est autobiographique, mais ce sont les passages centrés sur la fille autrice qui m’ont le plus touchés, malgré leur écriture à la deuxième personne du singulier qui est toujours un peu compliquée à accepter et à comprendre. Cette fille qui vit sa vie comme bon lui semble, qui s’affranchit de toutes les conventions sociales dont elle ne veut pas s’embarrasser, qui ne s’encombre pas de bons sentiments mais qui se rend compte, même si ce n’est pas dit aussi clairement, de son égoïsme et de la façon dont elle a pris le soutien de sa mère pour acquis alors que ce n’aurait jamais dû être le cas.
Il y a aussi le déni dans lequel est chaque personnage, qui n’a pas voulu voir les problèmes de santé de leur mère. Une mère est un rempart infaillible, elle ne peut pas vieillir, elle ne peut pas mourir, elle sera toujours là et c’est toujours elle qui soignera nos bobos, ce ne peut pas être l’inverse.
Dans nos sociétés vieillissantes, où l’on commence à distinguer les notions d’« espérance de vie » et d’« espérance de vie en bonne santé » (la première continuant à augmenter, plus lentement certes, mais la seconde stagnant depuis de nombreuses années), les questions que soulèvent ce livre sont d’actualité et il est intéressant de lire une autrice coréenne sur ce thème en se sentant si proche d’elle, comme si la relation entre une mère et ses enfants était finalement peu marquée par la culture.
Le livre ouvre beaucoup de portes mais ne donne pas de réponses toutes faites, la fin est suffisamment ouverte pour que l’on puisse laisser les personnages continuer à évoluer. Et c’est au lecteur de franchir les portes qu’il veut franchir, pour tracer son propre chemin, sa propre réflexion sur sa relation à ses parents, et sur l’acceptation de les voir vieillir et décliner. Très beau livre, qui m’a parfois noué la gorge parce que je m’y retrouvais dans ma relation aux générations familiales qui précèdent la mienne, livre qui m’a fait réfléchir et qui me fera peut-être même changer. Mais un de ces livres qui doit être lu au bon moment, sinon j’imagine bien qu’il peut être considéré comme trop lent, trop creux, sans intérêt. Pour moi, il fut tout le contraire et je ressors de cette lecture en commençant à pouvoir mettre des mots sur des sentiments épars, et en commençant à pouvoir mettre y un peu d’ordre.

158raton-liseur
Modifié : Nov 3, 2019, 9:56 am

125. L’Envolée sauvage, tomes 1 à 4 - Laurent Galandon (scénario), Arno Monin (illustrations des tomes 1 et 2) et Hamo (illustrations des tomes 3 et 4)



Cette critique se rapporte aux quatre volumes de la série de bande dessinée « L’Envolée sauvage ».
Tome 1 - La Dame blanche
Tome 2 - Les Autours des palombes
Tome 3 - Le Lapin d’Alice
Tome 4 - La boîte aux souvenirs
Si toute la bêtise humaine reposait sur tes épaules, il serait facile de s’en débarrasser.
(p. 5, Tome 2, “Les Autours des palombes”).

- Il faut repartir ! Partir ! S’en aller ! Fuir ! Ce sont des mots juifs !
- C’est pour votre sécurité, Ada…
- C’est quoi la sécurité ?!... C’est où ?

(p. 4, Tome 3, “Le Lapin d’Alice”).
A ne pas mettre entre n’importe quelles mains cette bande dessinée... Quatre tomes qui racontent d’abord l’enfance de Simon, puis celle d’Ada. Simon et Ada, dont l’enfance a pour théâtre les années noires de l’Occupation. Simon et Ada, qui tous deux portent une certains étoile jaune au revers de leur manteau. Et avec eux, on traverse toute la société de l’époque, avec ses petites et ses grandes trahisons, ses petits et ses grands courages. Il y a des résistants, il y a des délateurs, mais dans ces moments-là, il est difficile d’être neutre, de ne pas prendre parti. Le silence lui-même est du bon ou du mauvais côté.
C’est une bande dessinée pour enfant que cette envolée sauvage, c’est du moins ainsi qu’en a décidé notre petite bibliothèque de village. Mais elle n’est pas à mettre entre toutes les mains, et elle mérite un accompagnement, car je n’ai probablement jamais vu une bande dessinée pour enfants aussi dure. Des gentils qui meurent, des enfants même. On voit les camps de concentration, les chambres à gaz et les fours crématoires. Les tatouages sur les avant-bras, la malnutrition, tout.
Alors même si les personnages principaux s’en sortent, certains personnages secondaires, et pas des moindres, meurent d’une balle dans la peau ou d’un gaz dans les poumons. C’est dur, mais c’est probablement nécessaire. Mais à lire une fois les dix ans bien sonnés, et une fois que l’on est déjà un peu familiarisé avec le sujet.

159raton-liseur
Nov 1, 2019, 1:14 pm

126. Une Odeur de gingembre - Oswald Wynd ; traduit de l’anglais par Sylvie Servan-Schreiber



J’ai longtemps tourné autour de ce livre avant de finir par me laisser tenter au détour de kilomètres de rayonnages de livres d’occasion. Je ne sais pas pourquoi, les commentaires élogieux de toutes parts me faisaient craindre un livre superficiel, facile. Et, pour une fois (parmi de nombreuses autres), j’avais tort.
Le personnage de Mary Mackenzie m’a captivée de bout en bout. L’écriture sous forme de journal intime permet une franchise dans l’exposition des faits et des sentiments en contradiction avec l’aspect feutré de la société anglaises bourgeoise du tournant du siècle ou de la société japonaise de la même période.
Le livre suit l’héroïne sur près de quarante ans, de son arrivée en Chine comme fiancée d’un membre de l’ambassade britannique à son départ forcé du Japon en plein cœur de la seconde guerre mondiale. En quarante ans, au fil de choix de vie peu orthodoxes, Mary Mackenzie évolue, mûrit, grandit. C’est une formule un peu creuse et un peu galvaudée, mais elle s’applique bien ici : elle devient elle-même.
L’écriture happe le lecteur qui voit l’héroïne faire des choix, qui les comprend en fonction de ce qu’elle est à ce moment de sa vie. On la voit au début questionner son éducation puritaine et en même temps prendre de plein fouet des décisions qui la concernent mais sur lesquelles elle n’a aucune prise. Considérée comme un être faible dans la culture dont elle est issue, elle l’est aussi au Japon, mais ni dans un cadre ni dans l’autre elle n’accepte le rôle qui lui est assigné, et elle apprend à sa faufiler dans les interstices de chaque culture pour conquérir une liberté très coûteuse, mais qu’elle chérit.
C’est aussi un livre qui décrit de façon très précise le déracinement culturel, ce que c’est que de vivre pendant des décennies dans un environnement culturel qui n’est pas le sien, ce qu’on en prend, ce qu’on n’en prend pas, le sentiment d’étrangeté qui ne disparaît jamais complètement et qui au contraire nous fait être étranger dans la culture où l’on est autant que dans la culture d’où l’on vient. On comprend vers la fin du livre, d’ailleurs, pourquoi il est intitulé Une Odeur de gingembre en français ou The Ginger Tree en anglais. Le gingembre n’est pas un arbre, celui qui est dans le jardin japonais de Mary Mackenzie est donc une aberration, et elle le sait.
Très beau personnage de fiction, une écriture claire et franche comme le personnage. Une lecture qui coule facilement, les pages se tournent et l’on a du mal à poser le livre, mais une lecture qui est aussi très riche et fait réfléchir longtemps après que le livre soit reposé.

160raton-liseur
Nov 6, 2019, 5:15 am

127. The Handmaid’s Tale - Margaret Atwood
(Traduit de l’anglais sous le titre La Servante écarlate)



She goes to the sink, runs her hands briefly under the tap, dries them on the dishtowel. The dishtowel is white with blue stripes. Dishtowels are the same as they always were. Sometimes these flashes of normality come at me from the side, like ambushes>. The ordinary, the usual, a reminder, like a kick. I see the dishtowel, out of context, and I catch my breath. For some, in some ways, things haven’t changed that much.
(p. 54, Chapter 8, Part 4, “Waiting room”).

What’s dangerous in the hands of the multitudes, he said, with what may or may not have been irony, is safe enough for those whose motives are …
Beyond reproach, I said.
He nodded gravely. Impossible to tell whether or not he meant it.

(p. 162, Chapter 25, Part 10, “Soul scrolls”).
Il en faut, parfois, des tours et des détours… J’avais entendu parler de ce livre à plusieurs reprises (même si je découvre qu’il date de 1985, je ne le pensais si « vieux » tout de même), mais le sujet était un peu trop glauque. Puis vient l’adaptation Netflix (je ne suis pas abonnée, mais le livre a refleuri sur les tables de toutes les librairies), mais non, la couverture était moche, et ce n’est pas une adaptation en série qui allait guider mes choix littéraires. Puis, on dirait que j’ai vécu dans une caverne ces dernières semaines, mais je le vois à nouveau bien en évidence sur les étagères de la librairie il y a une quinzaine de jours, cette fois avec une belle couverture. Mais je venais de le réserver à la bibliothèque, que faire ?… Hum, je ne suis pas très fière de moi, mais, ne voulant pas attendre alors que je partais bientôt pour quelques jours de vacances, je me suis dit que je devrais le lire en anglais ! Quelle bonne idée, il fallait donc que je l’achète ! Et pour me donner raison, la librairie en avait bien un stock en anglais, et avec une couverture pas mal du tout aussi. Donc me voilà partie, avec mon livre en anglais sous le bras. Et je n’ai pas été longue à le commencer, et même à le finir.
Mais maintenant, comment écrire cette note de lecture ? Il y a tant de choses qui ont déjà été dites et écrites, tant d’analyses et de réflexions. Et puis j’ai aimé, comme la plupart des lecteurs, alors quelle pierre apporter à un édifice de louanges déjà si bien construit ?

J’ai toujours été intriguée par l’histoire de Rebecca et sa servante, dans la Genèse, trouvant malsain cette façon de faire. Ce n’est pas de l’adoption, c’est prétendre qu’un enfant est né de soi quand il ne l’est pas. Margaret Atwood, qui pousse la logique de cet épisode à son paroxysme, érige l’infertilité en norme et la fertilité en exception. Cela couplé à un régime qui a évolué vers une sorte de dictature religieuse, et l’on se retrouve dans une société de caste, où le rôle des femmes est redéfini autour de ses attributs archaïques usuels : la reproduction, le foyer et la cuisine. Et l’on a : le rouge, le vert et le bleu, ou le rayé pour les plus pauvres… Et ce qui est dérangeant (je dis « ce qui … », comme s’il n’y avait qu’une chose de dérangeante…), c’est qu’à plusieurs reprises, Margaret Atwood présente cela comme une sorte de suite logique des luttes féministes, au moins de certaines luttes, de certaines féministes. Et c’est là que cela fait froid dans le dos. La femme garante de la cohésion du foyer, la trilogie de la nourriture, du ménage et de l’enfantement, c’est effectivement une image qui parle à certaines femmes, c’est effectivement ce qu’elles veulent. Que l’on s’entende bien, qu’elles le veuillent pour elle-même, cela ne me pose aucun problème, je peux même concevoir que ce soit un idéal de vie, une façon tout à fait satisfaisante de rendre sa vie utile, ou digne d’être vécue. Cela me pose problème lorsque cette vision commence à s’imposer à toute et à définir la féminité. Et c’est ce que l’on a ici, une définition extrêmement stricte et précise de ce qu’est être une femme, imposée par des hommes, ou des femmes, on ne le saura pas. Car Margaret Atwood ne s’intéresse que très peu à comment on en est arrivé là, en si peu de temps même. Ce n’est pas le processus qui l’intéresse, c’est l’état auquel il aboutit et, surtout, comment on peut vivre dans ce nouveau monde, ce nouvel équilibre.

Et c’est là qu’il faut que je commence à parler du personnage principal, la narratrice, qui s’est vue attribuée la fameuse robe rouge, celle de la fonction reproductrice. Et l’on voit ce que les autres femmes pensent d’elle, ce que les hommes pensent d’elle, mais aussi ce qu’elle pense d’elle-même. Quelques éléments sur le lavage de cerveau qu’elle a subi, et qui n’a manifestement pas fonctionné, juste de quoi nous mettre dans le bain, d’installer l’atmosphère pesante. Et nous partageons quelques jours de la vie de notre narratrice, Offred. Des jours vides. Tout est vide : la chambre, le jour, la nuit, les relations avec autrui. Il y a bien sûr quelques événements pour remonter le moral, une naissance par exemple (à condition que l’enfant survive, qu’il soit bien conformé, ça ce n’est pas garanti…), ou bien une rédemption (rien de tel qu’une petite exécution publique pour affermir sa foi, n’est-ce pas ?...).
Ces événements donnent de la substance au livre, permettent d’explorer une société complètement vérouillée, où tout est cérémonial et policé à l’extrême. Mais la vraie substance du livre est dans le rien, dans le vide. Le rien de cette chambre où tout est enlevé pour éviter toute tentation, et on comprend très vite de quelle tentation il peut être question. Le rien d’une vision sur le monde qui ne se fait qu’à travers les ailettes blanches d’une coiffe faite pour protéger et qui enferme. Le rien de conversations qui n’existent pas, ou tellement hâchées qu’elles n’ont plus que la signification qu’on veut bien leur donner.
Un monde tellement vide que la moindre intonation de voix, le moindre regard, le moindre mot peut donner lieu à des heures d’exégèse. Parce qu’il faut bien les remplir ces heures vides, et ce n’est qu’en exploitant chaque plus rien que cela devient supportable. Chaque petite fissure dans le mur peut remplir la contemplation d’une après-midi ; un mot sur un coussin est une lecture pour des heures entières ; une phrase dite au détour d’une conversation qui n’en est pas une peut vouloir dire dissidence débutante, ou peut-être obéissance aveugle, ou bien tout simplement que l’on invente tout à force de tourner et retourner les choses dans sa tête.

C’est un livre de plusieurs centaines de pages dans lequel il ne se passe pas grand-chose, presque rien en fait. Et pourtant, je n’ai pas pu m’en détacher. Cette femme, Offred, avec son mélange de courage et de résignation, sa façon de toujours réussir à garder la tête hors de l’eau et de courber le dos pour éviter de se faire remarquer, avec ses souvenirs et ses espoirs qu’elle sait vains. Cette femme a beaucoup à nous apprendre sur ce que peut être le fait de vivre dans un monde rigide, où rien n’est un choix, jamais vraiment.
Il y a de toutes les religions ici. Du chrétien bien sûr, mais on ne peut s’empêcher de penser à l’islam, au bouddhisme même avec les « soul scrolls ». J’ai beaucoup lu ces derniers temps que lire La Servante écarlate maintenant était bien différent par rapport à le lire au moment de sa sortie. C’était alors une dystopie qui faisait froid dans le dos, alors que ce serait maintenant la description d’un futur pas si hypothétique que cela. Je ne sais trop quoi en penser. Je sais bien que le féminisme n’est plus ce qu’il était, que certains droits, notamment les droits des femmes, semblent parfois bien chancelants. Je sais aussi que les religions semblent reprendre du poil de la bête, regagnant une légitimité auto-proclamée à se mêler de la vie publique. Alors je ne sais pas en quoi ce livre est aujourd’hui plus proche de la réalité qu’il l’était il y a trente ans, mais c’est un livre qui parle, en tout cas qui m’a parlé. Il m’a parlé parce que je me suis sentie proche de cette femme, Offred, qui coupe les cheveux en quatre parce qu’elle ne peut rien faire d’autre, qui oscille entre sens de la conservation et envie de rébellion, même si ce n’est qu’une rébellion toute interne. Il m’a parlé parce que oui, il fait réfléchir sur nos choix politiques en tant que société, et comment nos comportements individuels ou notre absence de comportement peut amener à une situation dans laquelle si peu de personnes se reconnaissent finalement.

Et pour finir l’histoire, juste après l’avoir lu en anglais, je suis retournée dans une librairie, pour acheter le livre en français. Je voulais voir à quoi ressemblait la traduction, ou du moins c’est l’excuse que je me suis donnée pour ce nouvel achat de livre. Et j’ai vu qu’Offred était devenue Defred, et les « soul scrolls » des parchemins de l’âme. C’est toujours amusant de voir comment des nouveaux mots et des concepts nouveaux sont traduits en français. Bien sûr, j’avais d’autres images dans la tête, mais j’ai bien aimé les traductions proposées par Sylviane Rué, malgré la façon dont le titre a été drastiquement changé. Je me retrouve donc maintenant avec deux exemplaires de ce livre, et je viens aussi de comprendre pourquoi ce livre fait à nouveau la une des librairies : la suite est parue. J’avais bien dit que j’avais dû vivre dans une caverne ces dernières semaines… J’attendrais un peu que la poussière retombe avant de lire cette suite, je passerai ainsi du rouge au vert, mais cela attendra un peu, que je puisse continuer à penser un peu à Offred, et à ce qu’elle fut, ce qu’elle est, ce qu’elle pourra être, et ce qu’elle nous dit sur ce que nous sommes et ce que nous pourrions être. Homme, femme, et société.

161raton-liseur
Nov 13, 2019, 2:58 am

128. Le Secret de Grand-Père - Michael Morpurgo ; traduit de l’anglais par Michael Foreman



Et voilà le livre que j’ai décidé de lire à mes élèves de CM2 en ce début d’année scolaire. J’avais lu le premier tome à certains l’année dernière, et j’ai été heureuse de voir que l’histoire leur était restée en tête et qu’ils étaient heureux de retrouver Albert et son cheval Joey. Pour les autres, pas de problème, il n’est pas du tout nécessaire d’avoir lu Cheval de guerre pour comprendre et apprécier cette histoire.
Albert et Joey sont donc revenus du front et exploitent la ferme familiale comme il avait toujours été écrit qu’ils le feraient. Mais c’est l’entre-deux-guerres, c’est le début de la mécanisation de l’agriculture, c’est un moment compliqué pour ceux qui aiment les chevaux. Un jour, pris de boisson, Albert relève un défi irréaliste, faire labourer ses chevaux plus vite que le tracteur flambant neuf de son voisin trop fanfaron pour être tout à fait honnête. Mais c’est sans compter sur le sort qui parfois, heureusement, est du côté des gentils.
Ce récit est enchâssé dans un autre, celui de l’arrière-petit-fils d’Albert, venu passer quelques mois à la ferme avant de se lancer dans ses études, et qui découvre cette histoire grâce à son grand-père tendrement aimé. C’est donc aussi une belle histoire de transmission.
Beaucoup de jolis thèmes abordés, donc. Et puis pour une maitresse qui veut faire travailler ses élèves sur l’identification des personnages et sur la chronologie du récit (à comparer à la chronologie des événements), c’est un régal (mais je ne l’ai pas fait, c’est le contrat avec mes élèves pour ces lectures-là : juste pour le plaisir d’écouter, pas de questionnaire, aucune évaluation. Juste parfois une discussion à bâtons rompus si je vois qu’ils en ont besoin. J’ai pas exemple expliqué à ces petits citadins ce qu’est une charrue bisoc, et ça les a intéressés !). Et, si ce n’est pas suffisant, il faut que j’ajoute que c’est un vrai plaisir de voir les élèves tendus vers le livre, concentrés comme rarement, parce que, même s’ils savent bien, au fond d’eux-mêmes, que les chevaux vont gagner, il y a un suspens insoutenable, ils veulent savoir comment, et la cloche n’a pas intérêt à sonner avant la fin du chapitre !

162raton-liseur
Nov 13, 2019, 2:59 am

129. Nevermoor, tome 1 : Les Défis de Morrigane Crow - Jessica Townsend ; traduit de l’anglais par Juliette Lê



Il nous en aura fallu du temps à M’ni Raton et à moi pour venir à bout de cette lecture, mais ce n’est pas le fait du livre, plus celui de trouver des moments propices à la lecture à haute voix. Et finalement, c’est en retrouvant notre petit rituel de l’histoire du soir de quand les enfants étaient petits que nous avons réussi à le finir. Et que nous allons enchaîner avec le tome 2.
Car M’ni Raton a été aspirée par ce livre, et même M’sieur Raton a commencé à glisser une oreille, puis à ne pas manquer une seule séance de lecture ! Et moi j’ai pris beaucoup de plaisir à le lire à mon petit auditoire. Jessica Townsend a une imagination débordante, le monde qu’elle crée est plein de fantaisie, et une plume bien affutée, le texte qu’elle nous livre est plein d’humour et de réparties très amusantes. C’est donc un plaisir de lire ce livre, surtout avec une petite fille qui rigole à chaque réplique bien sentie ou chaque situation cocasse.
Pour ce qui est de l’histoire, je dois avouer que je suis un peu plus réservée. Puisque les éditions françaises commencent à faire comme leurs consœurs anglo-saxonnes, je n’ai pu éviter de lire des extraits de critiques imprimés sur la quatrième de couverture. Celle de Time Magazine dit « Une aventure Harry Potteresque », cela m’avait d’ailleurs d’abord fait reposer le livre en librairie. Mais je vois, maintenant que nous avons lu tout le livre, à quel point cette assertion est vraie. Beaucoup de parallèles peuvent être faits, entre les deux livres. L’héroïne connectée au méchant, mais qui est prise sous l’aile d’un gentil fantasque et plein de science ; presque une année scolaire pour organiser l’histoire, et j’en passe.
M’sieur Raton est plus indulgent que moi. Est-ce que tous les livres pour pré-ados ne sont pas, de toute façon, organisés autour des mêmes thèmes ? C’est vrai, j’en conviens. Et le message « Ce ne sont pas mes prédispositions qui me définissent, mais ce que j’en fais » est probablement ce que les enfants de cet âge ont besoin ou envie d’entendre (et que les parents veulent aussi qu’ils entendent !). Alors quand tout cela est bien écrit, drôle et que le monde créé est plein de fantaisie et de surprise, je crois que je peux dire que c’est un bon livre. Et si M’ni Raton est conquise et demande de la lecture et de la lecture, que puis-je faire sinon m’incliner, et dire que oui, c’est un chouette livre que l’on ne peut que conseiller aux enfants de onze ou douze ans.
Et, alors que j’écris ces quelques lignes, nous sommes déjà à la fin du deuxième chapitre du tome suivant. En plus d’être un chouette livre, c’est un livre addictif !

163raton-liseur
Modifié : Nov 17, 2019, 1:28 pm

130. De Cape et de Crocs - Alain Ayroles (scénario) et Jean-Luc Masbou (illustrations)




Cette critique se rapporte aux dix premiers volumes de la série de bande dessinée « De cape et de crocs ».
Tome 1 - Le Secret du Janissaire
Tome 2 - Pavillon noir !
Tome 3 - L’Archipel du danger
Tome 4 - Le Mystère de l'île étrange
Tome 5 - Jean sans Lune
Tome 6 - Luna incognita
Tome 7 - Chasseurs de chimères
Tome 8 - Le Maître d’armes
Tome 9 - Revers de fortune
Tome 10 - De la Lune à la Terre
- S’aller tuer pour un drapeau !... Quelle absurdité !
- Détrompez-vous l’affaire est importante…
… Car il s’agit d’être le vassal d’un roi qui porte une fraise ou de celui qui porte un rabat !

(p. 13, Tome 8, “Le Maître d’armes”).

Ce terrible géant, vu de près, n’est qu’un gnome ! Comment un peuple entier peut-il craindre un seul homme ? Sans votre assentiment, vous opprimait-il ? Le plus brutal tyran, comme le plus subtil, ne peut tenir debout si nul ne s’agenouille !
(p. 44, Tome 9, “Revers de fortune”).
Cette bande dessinée a eu un certain succès en son temps, et j’ai été heureuse de pouvoir l’emprunter quand je l’ai exhumée de la réserve de notre bibliothèque villageoise. Il semblerait que je n’ai pas lu les deux derniers tomes de la suite, mais je dois avouer que dix c’est déjà beaucoup à mon goût.
Je crois que je suis assez hermétique aux bandes dessinées mêlant animaux et humains, et je ne vois pas l’intérêt d’avoir fait des deux héros de cette série un loup et un renard, à part pour assurer quelques bons mots.
Les bons mots, d’ailleurs, cette bande dessinée en regorge, ainsi que de références littéraires aussi diversifiées que possible. Le Roman de Renart, donc, Molière et les Fourberies de Scapin bien sûr, Jules Verne avec le fameux De la Terre à la Lune et Cyrano de Bergerac, celui d’Edmond Rostand tout autant que celui qui voyagea dans la Lune et rencontra les Sélènes.
Mais justement, les références sont presque trop nombreuses, les jeux de mots trop fréquents, je crois que j’ai fini par étouffer un peu dans cette bande dessinée. A lire, peut être avec parcimonie, pour s’en délecter petit à petit, par simple goût du bon mot et des phrases emberlificotées qui roulent sur la langue. Car, je fais la fine bouche, mais j’ai tout de même réussi à lire tous les tomes en deux ou trois jours, et je ne me suis jamais fait prier pour prendre le suivant dès qu’un tome était terminé. Et je me prends même à penser que j’aurais bien lu les deux derniers qui me manquent !
Finalement, je devrais peut-être plutôt dire que je sors de cette lecture étourdie. Etourdie de références culturelles et historiques, étourdie de phrases, d’alexandrins et de bons mots. Etourdie, mais contente de l’être !

164raton-liseur
Nov 17, 2019, 1:28 pm

131. Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon - Jean-Paul Dubois



Pourtant, je ne regrettais rien de cette vie qui n’avait pas l’air de grand-chose, mais qui me suffisait.
(p. 213, Chapitre 10, “L’avion, le tracteur et l’attente”).
Je me pique de ne pas laisser les prix littéraires influencer mes choix de lecture, mais je ne peux m’empêcher de m’intéresser aux livres qui sont ainsi couronnés tous les ans. Peu au fait de l’actualité de cette rentrée littéraire, je n’avais même pas entendu parler de ce livre, et j’en ai découvert le titre et le résumé dans l’article qui annonçait le vainqueur du Goncourt 2019. Un titre qui ne peut que m’attirer, et un résumé qui finit de me convaincre. Mais c’est un Goncourt, quand même, donc je ne peux m’empêcher d’éprouver quelques réticences. Passant « par hasard » dans ma librairie préférée le lendemain, je tourne autour du livre, le prends, le redépose, le reprends… Et une libraire de m’expliquer que beaucoup d’entre eux l’ont lu et l’ont aimé, pour des raisons différentes, mais l’ont aimé, qu’ils sont heureux que ce soit lui qui ait eu le Goncourt, pour une fois c’est un roman qui le mérite, et caetera, et caetera, qu’enfin il ne fallait pas que je m’empêche de le lire parce qu’il avait reçu le Goncourt (comme quoi, je ne suis pas la seule à éviter les prix littéraires ?). Bref, chat échaudé craint l’eau froide, mais je me suis tout de même laissée convaincre et, le soir même, je me lançais dans cette lecture pleine de promesses.
J’ai fini ce matin, enfin… 250 pages, mais quel pensum. Car oui, je me suis ennuyée tout du long, je n’ai trouvé aucun intérêt à ce livre, ni dans l’histoire sans relief, dans sa construction plutôt bancale (avec le suspens de la cause de la condamnation de notre narrateur, d’abord artificiel puis qui se lézarde rapidement), ni dans l’écriture d’une grande platitude elle aussi.
Et maintenant je me sens seule. Seule devant cette avalanche de critiques positives, qu’elle soit le fait du jury du Goncourt, des critiques professionnels (j’ai écouté ce matin, après avoir fini mon livre et avant d’écrire ces lignes, l’émission de France Culture, La Dispute, de jeudi dernier, qui revenait sur les prix de la saison et encensait le Goncourt), des libraires et du large lectorat déjà conquis. Comme parfois dans ces cas-là, je me demande s’il me manque quelque chose, de l’empathie, de la tendresse pour mon prochain, puisque ce livre est sensé en être l’expression. Suis-je donc un cœur sec que je ne peux apprécier ce bouquin ?
Ou est-ce parce que Jean-Paul Dubois est un journaliste, et plutôt bon si j’en crois le plaisir et l’intérêt que j’ai eu à lire L’Amérique m’inquiète (je m’étais aperçue de la similitude de nom, mais il m’a fallu vérifier pour en être sûre). La simplicité de son écriture serait alors plutôt de l’efficacité journalistique. L’indigence de l’histoire serait plutôt parce qu’il écrit sur un type de personne que sur un personnage en particulier (lu dans une interview : il voulait faire un roman sur un concierge et se demandait comment il pourrait tenir 250 pages là-dessus, alors lui est venue l’idée de le mettre dans une prison. Etrange motivation pour créer un personnage…). Et d’ailleurs, pourquoi 250 pages, il me semble que l’on ne définit pas la longueur d’un livre a priori, si ? C’est plus une attitude de journaliste, cela, qui sait de combien de lignes ou de signes il dispose. Et le journalisme ouvre bien des portes, il est plus facile probablement d’être publié, d’être lu et critiqué sur les grands médias lorsque l’on fait partie du sérail. Je me demande si, consciemment ou non, il n’y a pas un peu de cela dans l’enthousiasme que génère ce livre. Aurait-il passé le comité de lecture s’il avait été adressé simplement à un éditeur ?
J’arrête là mes hypothèses, sinon je vais passer pour une lectrice mesquine et aigrie, ce que je ne pense pas être. Mais c’est un fait que je suis complètement passée à côté de ce livre, qui m’a laissée indifférente, dont la lecture a été un pensum et que je me suis forcée à terminer pour lui donner sa chance jusqu’au bout. Tant pis pour moi, je suppose, mais je préfère maintenant retourner à des lectures plus stimulantes comme il en existe tant.

165Dilara86
Nov 18, 2019, 2:59 am

>161 raton-liseur: Une note qui réchauffe mon petit cœur froid et sec. Les enfants ont de la chance de t'avoir comme enseignante !

>164 raton-liseur: J'ai réservé un Jean-Paul Dubois à la bibliothèque (pas le Goncourt - ils ne l'ont pas encore !) après avoir entendu tout le bien que l'équipe de La dispute sur France Culture en disait. Pour résumer : un style sobre, sans esbroufe et un propos profond. Exactement ce que j'aime. Sauf qu'après avoir lu ta note, j'ai un peu peur de ce qui m'attend... On verra bien !

166raton-liseur
Nov 18, 2019, 4:17 am

>165 Dilara86: Je ne sais pas si mes élèves pensent comme toi!

Pour le Jean-Paul Dubois, je suis curieuse de voir ce que tu en diras!

167raton-liseur
Nov 20, 2019, 2:18 am

132. Iffig : En avant la musique ! - Pascal Stervinou (scénario) et Yves Cotten (illustrations)



Trouvée par hasard dans la réserve de la bibliothèque, et empruntée par simple curiosité, teintée d’une pointe de chauvinisme et d’une envie de dépoussiérer un livre qui n’était pas sorti de ses étagères depuis longtemps. Mais bon, les blagues sur une page façon Boule et Bill, ce n’est pas ma tasse de thé. On oscille entre blagues qu’on pourrait trouver dans n’importe quelle BD de ce format et blague à légère consonance bretonne (les festou noz, les coiffes, le temps, tous les poncifs habituels, quoi…). Rien de fantastique, donc. Les auteurs n’ont commis qu’un tome, et cela me paraît effectivement suffisant.

168raton-liseur
Déc 5, 2019, 4:11 pm

133. Sur les Ossements des morts - Olga Tokarczuk ; traduit du polonais par Margot Carlier



Je disais il y a quelques critiques de cela que je ne suis pas influencée par les prix littéraires, et me viola en train de lire un livre uniquement parce que son autrice vient d’être créditée du Prix Nobel, cherchez l’erreur… Il faut dire, j’ai un peu de mal avec la littérature allemande et d’Europe de l’Est. Je ne sais pas pourquoi, je trouve cette littérature geignarde, ce n’est pas un mot très agréable, mais c’est bien celui qui me vient à l’esprit spontanément. Je me suis dit qu’avec un Prix Nobel, je serais sûre de trouver de la littérature qui a quelque chose à dire, qui vaut le coup. Alors j’ai essayé le seul livre de cette dame qui existe en livre de poche en français.
Et j’ai eu le côté geignard dont je parlais plus tôt. Cette petite vieille, avec tous ses petits ennuis de santé, ses petites manies, ses petites lettres de réclamation. Mais je me suis accrochée, j’ai continué ma lecture. Et je ne sais pas par quelle magie, finalement, tout cela a pris forme, s’est agrégé en un ensemble à peu près cohérent : la nature, l’astrologie, les meurtres, les traductions de William Blake, les désagréments de la vieillesse,… et j’ai fini par me laisser entrainer, voire emporter.

Ce fut donc une expérience de lecture intéressante, un livre que j’ai fini avec plaisir (plaisir de la lecture, mais aussi, tout de même, plaisir d’en avoir fini). Mais une fois le livre refermé, je ne sais pas très bien quoi en garder. Qu’a-t-elle voulu me dire ? Que doit-il m’en rester ? Je me doute bien qu’il y a autre chose qu’un cosy murder, ou un frozy murder peut-être, je me doute qu’Olga Tokarczuk n’a pas juste voulu réécrire Le meurtre de Roger Ackroyd en plus grincheux. Mais je crains que cette lecture ne soit, pour ma part, vite oubliée, et je ne suis pas sûre de revenir aux romans d’Olga Tokarczuk de sitôt, ou alors il faudra que je lise d’abord pourquoi ces messieurs-dames du Nobel ont décidé de lui attribuer ce prix.

169raton-liseur
Déc 5, 2019, 4:25 pm

134. Leonid, Les Aventures d’un chat, tome 1: Les deux albinos - Frédéric Brrémaud (scenario) et Stefano Turconi (illustrations)



Je me suis laissée tenter par la couverture lorsqu’une jeune lectrice a rendu ce livre il y a quelques semaines à la bibliothèque. Une jolie couverture aux couleurs et aux lignes douces. Mais l’histoire m’a déçue. J’espérais plein de jolis sentiments et d’amitié merveilleuse entre les animaux, mais je me suis retrouvée face au premier tome d’une histoire à rallonge avec des combats entre clans et des méchants vraiment méchants, qui veulent réduire en esclavage ou tuer. Et pour couronner le tout, les méchants vraiment méchants sont des albinos. Je deviens peut-être un peu trop politiquement correcte, mais qu’est-ce que j’en ai assez des méchants qui doivent aussi avoir des particularités physiques. Soit le message subliminal est que l’on porte sa méchanceté sur son front, soit c’est qu’ils sont méchants parce qu’ils souffrent de leur différence. Que ce soit l’un ou l’autre, c’est un message auquel je n’adhère pas. C’est donc une bande dessinée, qui pour moi, n’aura pas de suite. Dommage pour le coup de crayon qui doit correspondre aux goûts de nombreuses jeunes damoiselles.

170raton-liseur
Déc 14, 2019, 1:26 pm

135. Le Hussard - Arturo Pérez-Reverte ; traduit de l’espagnol par François Maspero



Ainsi, c’était cela. De la boue aux genoux et du sang sur le ventre, la stupéfaction peinte sur les traits des morts, des cadavres dépouillés, de la pluie et des ennemis invisibles dont la seule fumée de leurs tirs indiquait la présence. La guerre anonyme et sale. Il n’y avait pas la moindre trace de gloire sur le soldat qui gémissait, la tête bandée et la figure dans les mains, ni sur l’autre blessé qui contemplait ses tripes répandues comme on formule un reproche.
(p. 79, Chapitre 3, “La matinée”).

Je ne sais plus trop comment je suis tombée sur ce titre de Pérez-Reverte. Je crois avoir entendu dire qu’il était dans la veine du Peintre de batailles, et c’est pour moi une recommandation suffisante pour avoir envie de lire un livre. Mais c’est avec surprise que j’ai découvert, en l’ouvrant pour enfin le lire (cela fait quelques années que ce livre est sur mes étagères, a traversé deux fois l’atlantique, et a peut-être même fait d’autres voyages), qu’il s’agit en réalité de la première œuvre de fiction de Pérez-Reverte.
Cela explique peut-être qu’elle n’ait pas la puissance ou l’originalité d’œuvres ultérieures, mais on y trouve déjà les thèmes chers à Pérez-Reverte, puisqu’il est déjà question des guerres napoléoniennes en Espagne (un fait dont je n’ai jamais entendu parler dans mes cours d’histoire au collège ou au lycée, serait-ce lié au fait que ce fut un fiasco ?). On y retrouve aussi la description de la guerre dans ce qu’elle a de peu glorieux, loin des grands discours exaltés et de la vaniteuse gloriole.
Pérez-Reverte est toujours un correspondant de guerre en activité lorsqu’il écrit et publie ce roman. Faut-il donc voir un peu de lui dans le personnage de Frédéric Gluntz, rejeton d’une famille alsacienne aisée, qui avait embrassé la carrière militaire dans l’espoir de se couvrir de gloire malgré son statut de cadet et qui, dans ce livre à la construction théâtrale (unité de lieu, de temps et d’action), découvre la réalité de la guerre après l’avoir fantasmée dans ses casernements successifs.
Voilà déjà un bon opus de la part de Pérez-Reverte. Ce n’est pas son meilleur, surtout sur ce sujet qui lui tient à cœur et qu’il ressasse dans plusieurs de ses livres, mais c’est un livre court, qui va à l’essentiel, et que j’ai aimé lire parce qu’il dit très bien la distance entre le discours et la réalité, entre les rêves de gloire et la boue, entre les cadavres sur le bord de la route et les monuments aux morts. Un livre plein de lucidité, facile à lire et à digérer, du fait de la distance entre le personnage et le lecteur, après tout on ne fait plus la guerre ainsi, on ne met plus sa fierté dans ses boutons lustrés à la perfection et ses bottes impeccablement cirées. Nous ne sommes plus ainsi, chacun en conviendra. Mais mon dieu, la guerre est-elle plus jolie maintenant que l’on a troqué le sabre pour la kalachnikov ?

171raton-liseur
Déc 14, 2019, 1:59 pm

136. Longue Journée sur le Mékong - Na-mi Choi (texte) et Sinae Joe (illustrations) ; traduit du coréen par Evelyne Bernard-Guelle



Un livre gentiment envoyé par la maison d’édition, via l’opération masse critique de Babelio. Je m’étais portée volontaire pour recevoir ce titre seulement à cause de la belle couverture et du souvenir d’une autre lecture, très lointaine, qu’elle éveillait en moi. J’ai été surprise, en recevant ce livre, de m’apercevoir qu’il s’agissait d’un album et non d’un livre, mais je m’y suis plongée avec le même entrain.
Il n’y a pas véritablement d’histoire ici. On suit une petite fille, Tui, au long de sa journée, et c’est le prétexte pour découvrir un pays et une manière de vivre qui nous sont inhabituelles. Le livre est très didactique, mais il ne tombe pas dans la caricature, parce qu’il évoque la vie sous ses aspects économiques (les taxis-bateaux, les marchés sur l’eau) et domestiques (le culte des morts par exemple), sans pour autant résumer tout cela à une suite d’attractions touristiques.
Les illustrations, mélange de dessin aux couleurs ternes (ce qui est une bonne chose, car cela rend les scènes plus réalistes) et de collage d’éléments photographiés, donnent envie de s’arrêter dessus, pour en capter les détails. Elles donnent au livre une ambiance de vrai et de simple qui complète bien le texte.
Une réussite, donc, et un livre à recommander à qui veut, parent, ami ou enseignant, faire découvrir ce pays à des enfants curieux de ce qui les entoure et de ce qui est loin et différent.

172raton-liseur
Déc 29, 2019, 2:30 pm

137. Il pleuvait des oiseaux - Jocelyne Saucier


Et ça, dit-il en désignant la boîte de fer-blanc [qui contenait la dose de strychnine qui lui permettrait d’en finir], c’est ce qui donne son prix à un coucher de soleil quand on a mal à ses os, c’est ce qui donne le goût de vivre parce qu’on sait qu’on a le choix. La liberté de vivre ou de mourir, y a pas mieux pour choisir la vie.
(p. 123, Chapitre 6, “La troisième vie de Charlie”).
Un gentil petit livre. J’en avais entendu parler, puis j’ai eu l’opportunité d’assister à une table ronde littéraire à laquelle Jocelyne Saucier participait, lors de l’édition haïtienne du Festival Etonnants Voyageurs en 2012, celle qui suivait le tremblement de terre de 2010 (qui avait annulé l’édition prévue à ce moment-là et qui valut à Dany Laferrière d’être à Haïti ce jour-là, ce dont il a tiré un livre, Tout bouge autour de moi, qui m’a d’ailleurs laissé une impression plutôt mitigée). Le livre n’a rien à voir avec ce préambule, mais c’est suite à cette table ronde que je me suis dit que oui, décidément, il fallait que je le lise. Cela arrive plus de sept ans plus tard, peut-être cela veut-il dire que j’ai de la suite dans les idées, ou bien que je suis un peu lente à la détente. Je n’oserai pas trancher ici.
Nous voici en forêt, entourés de petits vieux qui ont décidé de vivre comme ils l’entendaient leurs dernières années sur cette terre, loin des contraintes de la vie en société, de son administration, de ses règles, de ses tracasseries, de ses infantilisations et de ses attentes. Des petits vieux qui ont décidé que la vie valait la peine tant qu’on pouvait la vivre de façon indépendante et autonome. Ces trois petits vieux et les deux acolytes qui les rattachent encore à la civilisation voisine voient leur petit train-train et leur équilibre tranquilles un peu chahutés par l’arrivée de deux femmes. Une photographe qui enquête sur les grands feux de forêt du début du XXème siècle, et une petite vieille qui s’ouvre à la vie.
C’est un livre assez émouvant, qui fait réfléchir au grand âge, à la valeur de la vie et à l’importance de l’autonomie et de l’indépendance. C’est un livre, de par les valeurs qu’il met en avant, que Jack London n’aurait probablement pas renié. Pourtant, je n’ai pas véritablement accroché à l’histoire, ne me suis pas sentie proche des personnages même si je l’aurais voulu. Ce fut donc un moment de lecture plutôt agréable, mais qui ne restera probablement pas très longtemps dans ma mémoire de lectrice. Mais rien que pour le titre et pour le dépaysement, c’est une lecture qui vaut la peine d’être tentée si on est prêt à embarquer pour ce genre de voyage.

173raton-liseur
Déc 29, 2019, 2:39 pm

138. Le Dernier Frère - Nathacha Appanah


Je la revoyais dans notre maison de la forêt, les épaules remontées comme préparée à jamais à recevoir des coups, je la revoyais avec ses mixtures, ses potions et ses formules magiques. Je la revoyais tomber, éreintée par mon père, et je ressentais son poids, soudain, dans mes mains. Je la revoyais avec la perruche rouge et j’entendais son éclat de rire devant David. Je repensais à ces longs mois où matin et soir, elle avait massé mes jambes pour me guérir. Et là, ce petit bout de femme souriante au balcon, en plein soleil, c’était elle et à la fois ce n’était pas elle, et, sur le chemin du retour, je finissais toujours par pleurer pour cela, pour l’illusion de cette douceur à la fin, pour ces choses qui viennent beaucoup trop tard pour tout effacer.
(p. 198, Chapitre 15).
Livre lu après l’avoir découvert au détour d’une critique élogieuse, et puis j’étais curieuse de découvrir une nouvelle autrice contemporaine. Ce fut pour moi une lecture en demi-teinte, et c’est peut-être même généreux de le dire comme cela. Il est question de la Seconde guerre mondiale et de l’exil des juifs, il est question de l’île Maurice et de la pauvreté extrême qui y règne, il est question de l’enfance, de ses rêves, de ses blessures. Mais à trop embrasser, Nathacha Appanah me semble mal étreindre. Elle n’a pas, à mon avis, réussi à faire de tout cela un ensemble cohérent. Et pourtant, j’aurais aimé aimer Raj, j’aurais voulu avoir envie de sauver David. J’aurais été contente de vouloir vivre cette grande fraternité improbable entre deux damnés de la terre, chacun à sa façon. Mais je n’ai pas réussi à croire à l’histoire, pas même à cette amitié qui se crée comme par magie d’un côté à l’autre des barbelés, je n’ai pas réussi à ressentir de l’empathie pour les personnages, malgré toutes les vicissitudes dont la vie les a accablés.
La faute à une histoire qui se veut riche mais que la concision du texte rend superficielle, la faute aussi à une écriture qui ressemble trop à une belle rédaction du lycée, mais pas à une écriture d’écrivain. Trop scolaire et pleine d’approximation, elle ne m’a pas permis d’entrer dans l’histoire et je suis toujours restée à la porte, en dehors, et j’ai fini ce livre sans ressentir l’émotion qu’il aurait dû susciter. C’est donc un coup d’épée dans l’eau. A voir si la persévérance de cette autrice qui a déjà publié plusieurs titres lui permettra d’affermir ses intrigues et surtout son style. Je resterai donc à l’affût.

174raton-liseur
Jan 15, 2020, 9:24 am

139. L’Enfant cachée - Loïc Dauvillier (texte) et Marc Lizano (illustrations)



Une bande dessinée très bien faite sur un sujet extrêmement complexe à traiter. Le titre ne le dit pas tout à fait, mais le dessin de la couverture ne laisse pas de place au doute. Il est ici question d’une enfant juive pendant la seconde guerre mondiale. Echappant par miracle à une rafle qui lui enlève ses parents, elle est recueillie par des gens simples et biens qui l’emmènent se cacher à la campagne. Dans cette bande dessinée de taille standard, on voit l’avant avec les premières lois anti-Juifs, le pendant et l’après avec les familles qui se retrouvent, ou ne se retrouvent pas. L’auteur ne s’appesantit donc sur aucun sujet et il ne faut pas, en tant qu’adulte, s’attendre à apprendre quelque chose sur ces temps troublés.
Mais cette bande dessinée est, je pense, avant tout faite pour les enfants (de plus de 10 ans, certains dessins pouvant être très déstabilisants), et, pour ce public, elle est très bien faite car elle montre la réalité simple et choquante de ce qu’a pu être cette période avec la détérioration du climat social et, chose plus rarement traitée, les conséquences que cela a laissées dans la vie des rescapés : le difficile retour à la réalité, les silences dans les familles…
Les dessins sont simples, avec des personnages à grosse tête qui permettent une certaine distanciation probablement nécessaire pour les lecteurs enfants, mais une image en pleine page très difficile à soutenir, celle de la mère revenant des camps de concentration, me fait penser que, dans tous les cas, la présence d’un adulte est probablement nécessaire. Pas pour la lecture, mais plutôt pour en parler après, juste être là pour écouter les émotions ou les ressentis, et pour répondre à d’éventuelles questions. Mon M’ni Raton a lu cette bande dessinée, plusieurs mois avant que je ne l’emprunte à mon tour à la bibliothèque. Certes, elle a presque 12 ans, mais cette présence a été nécessaire, et maintenant que j’ai lu ce livre à mon tour, je comprends pourquoi.
C’est donc un livre comme il en existe peu, qui fait toucher aux enfants l’indicible, qui ne cache pas la laideur que revêt parfois le monde, qui ne promet pas que tout se finit toujours bien, et qui fait cela à hauteur d’enfant, avec toute l’attention nécessaire pour que tout cela reste entendable. Un très beau travail, et une bande dessinée que je ne peux que recommander aux adultes en général, et aux adultes qui veulent permettre aux enfants d’une dizaine d’années ou plus d’aborder ces questions complexes qui sont nécessaire et qui font grandir.

175raton-liseur
Modifié : Jan 29, 2020, 2:11 pm

140. Les Heures rouges - Leni Zumas ; traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch



Elle ne veut pas limiter sa vie à « en avoir un ».
Ni à « ne pas en avoir un ».
Cesser de réduire la vie à une case à cocher, à une case de calendrier.

(p. 395, dernier chapitre, “La biographe”).

C’est un livre que j’ai découvert récemment, au détour d’une note de lecture sur ce site ou sur un autre. Découverte tardive puisque quelques semaines plus tard, je le découvrais déjà en poche sur les tables de ma librairie habituelle. Et je crois que je comprends le succès qu’a eu ce livre, aux Etats-Unis et ici. Je ne peux nier que je l’ai dévoré, on en tourne les pages sans s’en apercevoir. Leni Zumas est professeur de creative writting, d’écriture romanesque, et elle montre qu’elle s’applique à elle-même les leçons qu’elle donne à ses élèves. Et cela donne un livre qui se vend et qui sait se faire lire.
Mais au-delà de ça ? Si le sujet m’intéressait, s’il est vrai que je me suis trouvée des points communs avec beaucoup de ces femmes, mais ce serait trop intime de les écrire ici, j’ai trouvé le livre trop artificiel : trop de situations, trop de coïncidences pour tout faire rentrer dans la trame du roman, trop de sauts d’un personnage à l’autre sans pour autant faire avancer la réflexion.
La bonne idée est dans le décor qui est planté, celui d’une Amérique (mais l’on pourrait aussi bien être de notre côté de l’Atlantique) qui vote des lois restrictives quant à l’adoption et à l’avortement, une situation politique de plus en plus oppressante et restrictive dans laquelle doivent évoluer des personnages qui, pour une raison ou une autre, voient ces lois interférer avec les décisions qu’ils ont à prendre : une femme en mal de maternité, une autre faisant face à une grossesse non désirée. Mais pourquoi mélanger à cela aussi une femme malheureuse dans son couple (on aurait pu se contenter de la description, d’ailleurs assez juste me semble-t-il, des sentiments ambivalents d’amour et d’enfermement que lui inspirent ses enfants, sans y mêler un mariage qui bat de l’aile) et une guérisseuse qui, certes, prodigue des soins gynécologiques qui semblent de plus en plus difficiles à obtenir, mais n’est-ce pas un peu trop de convoquer les sorcières de Salem pour ce livre ? Et était-il nécessaire d’intercaler des extraits d’une biographie imaginaire d’une glaciologue imaginaire ?
Cela fait au final un peu trop, et rend le livre brouillon. Trop de sujets, trop de « trucs » d’écrivain, j’ai l’impression que l’autrice a voulu plaire à tout le monde, mais moi, elle m’a finalement perdue. Il y avait là matière à une longue nouvelle, juste décrire le contexte et laisser le lecteur faire le reste du travail : et moi que penserais-je de tout cela ? Et moi, que ferais-je ? Mais au bout de ces quelques centaines de pages, j’étais anesthésiée par cette quantité de mots dont beaucoup étaient redondants, et ce livre ne m’a finalement pas fait réfléchir comme il aurait dû. Je suis vite passée à autre chose.

176raton-liseur
Jan 29, 2020, 2:12 pm

141. Les Pêcheurs - Chigozie Obioma ; traduit de l’anglais par Serge Chauvin



Encore un auteur découvert à cause de ma trop forte fréquentation des listes de lecture internet… Mais je ne me plains pas, c’est une découverte des plus intéressantes, Les Pêcheurs n’était pas le titre que je désirais lire au départ, car c’est une critique de son second livre qui m’a fait découvrir cet auteur. Mais c’était alors le seul titre disponible en français, et j’étais trop curieuse pour attendre plus longtemps.
Me voilà donc en partance pour le Nigeria, pour rencontrer une famille à qui tout réussit. Le père est un cadre de la Banque Centrale, la mère a mis au monde 6 beaux enfants dont 5 fils. Une famille bénie des dieux en somme. Mais un jour tout se détraque : le père est muté à l’autre bout du pays, et une prophétie d’un vagabond fou sème la zizanie dans une fratrie jusque-là unie à la vie à la mort. C’est alors une descente aux enfers inexorable qui commence. De sursaut en sursaut, la famille et ses individus tour à tour tentent de se battre contre la fatalité, ou bien se laissent submerger par l’inévitable.
J’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire, principalement à cause de la quatrième de couverture, qui parle de significations stupéfiantes. J’ai alors passé toute la première partie de ma lecture à chercher à décrypter les métaphores qu’il pourrait y avoir, n’en trouvant aucune et ayant le sentiment de ne rien comprendre. C’est quand j’ai finalement décidé d’abandonner cette posture de lecture pour profiter de l’histoire au premier degré que je me sui enfin sentie à l’aise dans cette lecture.
A l’aise, c’est probablement beaucoup dire parce que ce livre est particulièrement sombre, mais il est prenant, je me suis sentie happée par cette évocation de la vie d’une famille igbo. Chigozie Obioma sait doser juste ce qu’il faut d’histoire familiale particulière et contexte social et politique. J’ai eu la sensation, grâce à ce livre, de comprendre un peu mieux une partie du Nigeria, les difficultés de la vie quotidienne, l’absence de perspective, le fait de se débattre entre résignation et sursaut de protestation.
Je me suis sentie à la fois proche des personnages dont j’ai partagé les tourments et infiniment étrangère à cette culture, un étrange sentiment qui, une fois que je suis entrée dans cette lecture, ne m’a plus quittée.
Ce roman m’a demandé du temps et des efforts pour que je l’apprivoise, mais une fois que je suis rentrée dedans, je n’ai plus pu m’en détacher. C’est à mon avis une belle réussite. A la fin de ce livre, le premier roman de ce jeune auteur, se dessine une plume intéressante. Je ne sais vers où il décidera d’aller mais, je sais que je le suivrai dans son second roman, que je voulais déjà lire et que cet avant-goût me donne encore plus envie de découvrir.

177raton-liseur
Jan 29, 2020, 2:12 pm

142. Gisella et le Pays d’Avant - Mordicai Gerstein ; traduit de l’anglais par Michelle Nikly



C'est à cause de la couverture que j'ai emprunté ce livre sur les étagères enfants de la bibliothèque de mon village. Et puis le titre aussi, bien plus engageant que le titre original (The Old Country), avec ce prénom étrange et puis ce bien mystérieux pays d'Avant...
Le titre le laisse pressentir, la lecture le confirme, il s'agit d'un conte pour enfant, qui se passe dans un pays imaginaire et où la magie est omniprésente. La petit fille qui échange son corps avec la renarde, les êtres qui nous sont habituellement invisibles... Et dans ce contexte magique déjà presque suffisant en soi, vient s'insérer une histoire de guerre. Guerre absurde pour le simple fait d'avoir plus de pouvoir, rejet des minorités juste simplement parce qu'elles sont cela, des minorités.
Je me suis un peu perdue dans tous ces thèmes, et la lecture m'a finalement parue plutôt laborieuse.
Je ne connaissais pas cet auteur, mais l'impression qu'il me donne est d'avoir voulu en mettre trop dans un seul livre. Il a de bonnes idées pour mettre en scène l'absurdité de la guerre. Il a aussi de bonnes idées sur la magie et les interactions entre enfants et animaux. Mais le tout ensemble ne fait pas bon ménage et devient indigeste.
Mais cet auteur a d'autres titres à son actif, qui peut-être me plairont plus, car si l'alchimie cette fois ne m'a pas plu, les ingrédients eux étaient plutôt savoureux.

178raton-liseur
Jan 29, 2020, 2:13 pm

Voilà donc, avec du retard, la fin de cette année de lecture. Cela n'a pas permis de faire revivre le groupe francophone, donc pour moi, l'aventure s'arrêtera (temporairement) ici, et j'attendrai que d'autres y viennent de temps à autres pour m'intéresser à nouveau à ce groupe et essayer, si l'on est un petit groupe, de le faire vivre.
Je continue mon petit bonhomme de chemin de lectrice, je continue aussi mes notes de lecture, mais tout cela se passera maintenant sur le groupe Club Read 2020, que j'avais déjà rejoint l'année dernière et où j'ai un fil de discussion (en partie en anglais et en partie en français) où je recense mes lectures et mes impressions. Bon vagabondage livresque à tous, et si certains ont envie de faire revivre ce groupe, n'hésitez pas à créer de nouveaux fils de discussion et, peut-être, pour plus de visibilité, envoyer des messages aux membres actifs pour qu'ils puissent venir participer.

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