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Eugenio Corti (1921–2014)

Auteur de Le Cheval rouge

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A propos de l'auteur

Comprend les noms: Eugenio Corti, Eugeonio Corti

Crédit image: Fonte: Associazione Eugenio Corti

Œuvres de Eugenio Corti

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Date de naissance
1921-01-21
Date de décès
2014-01-04
Sexe
male
Nationalité
Italy
Lieu de naissance
Besana in Brianza, Lombardy, Italy
Lieu du décès
Besana in Brianza, Lombardy, Italy

Membres

Critiques

1245 pages d’une écriture petite et serrée… La lecture de ce livre m’aura pris très exactement un mois, du 1er au 31 mars. Une lecture au long cours, donc, et il faut y être prêt avant de se lancer dans ce livre. La question est alors, le jeu en vaut-il la chandelle ? L’éditeur présente ce livre comme un nouveau Tolstoï. Moi qui avait adoré Guerre et Paix, je ne pouvais qu’être sensible à ce genre d’argument. Et puis je dois bien avouer que l’implication de l’Italie dans la seconde guerre mondiale m’est particulièrement inconnue, ce livre était donc un bon moyen de remédier un tant soit peu à cette lacune. Je me suis donc lancée, après que l’éditeur m’ait gracieusement envoyé ce livre via netgalley.
Je me suis alors retrouvée dans le village de Nomana, non loin de Milan, en mai 1940, entourée de différents jeunes gens de la classe 21, la première qui allait partir à la guerre. Eugenio Corti nous présente une Italie fasciste par défaut, militariste par ordre. Et les jeunes partent, les uns après les autres. Beaucoup iront sur le front russe, qui fut une déconfiture totale pour l’armée italienne et une hécatombe pour les soldats. C’est en particulier la retraite de l’hiver 1942-1943 qui est décrite en détail, lorsqu’un grande partie des force italiennes lancée dans la bataille se retrouve encerclée dans une poche et ne peut fuir qu’à pied. Beaucoup n’en réchapperont pas, quelques uns pourront rentrer, d’autres seront faits prisonniers et affronteront un nouveau lot de terribles épreuves.
Les épreuves de la captivité, ainsi qu’une incursion sur le front albanais puis sur la reconquête de l’Italie face aux Allemands forment la grande partie de la deuxième partie. D’ailleurs, voir, à partir de l’été 1943, l’Italie changer de camp et voir tout à coup dans l’allié allemand tout puissant un occupant, a quelque chose d’assez fascinant. Si l’Italie est entrée tard dans la guerre, elle signe tôt sa reddition, mais n’en finit pas de sortir de la guerre. C’est aussi le temps de l’attente pour les familles restées au pays, le temps des doutes et de l’angoisse.
Enfin, dans une dernière partie, l’auteur évoque, bien plus rapidement, les premières décennies d’après guerre. Les rescapés de la classe 21 ont mûri et doivent faire face à de nouveaux défis, la reconstruction économique d’abord, politique aussi, puis les changements d’une société qui, comme dans le reste de l’Europe occidentale est en pleine mutation.

Le propos est intéressant, il m’a fait découvrir beaucoup d’aspects de l’histoire italienne moderne que je ne connaissais pas. Mais la lecture fut, je dois l’avouer, assez difficile. J’ai trouvé que l’œuvre manquait d’unité, avec d’un côté les épisodes de la guerre, décrits avec une minutie presque clinique (mais en même temps avec très peu d’événements tragiques qui se déroulent sous les yeux du lecteur. Pendant une assez longue première partie, les personnages semblent comme arriver après les horreurs, après les morts, et pendant longtemps, la guerre n’est présente que comme en creux). Puis, après la guerre, des événements qui sont survolés, mais cette fois, avec une pesanteur dans l’écriture qui confine à l’obsession.
La première partie est difficile à lire, à moins d’aimer la littérature de guerre dans ce qu’elle a de plus frustre, la seconde partie est un pensum. On comprend très vite la thèse de l’auteur : l’anti-communisme et les valeurs chrétiennes comme rempart absolu contre tous les dévoiements de la société moderne, comme summum de la civilisation. On en arrive à des absurdités, avec les personnages chrétiens qui sont bons et beaux et les autres qui, immanquablement, vieillissent mal et ont des mœurs peu recommandables. Voir dans la morale chrétienne l’alpha et l’oméga de la morale tout court et de la civilisation, c’est vraiment pesant au bout d’un moment et rend le livre plus que répétitif.
A signaler aussi, que ce roman est en fait en grande partie autobiographique. On retrouve beaucoup d’Eugenio Corti dans deux des principaux personnages du roman : le jeune Ambrogio Riva, fils d’un industriel du textile (comme Corti) qui a une conception trèèèès paternaliste de son rôle et son ami Michele Tintori, qui se porte volontaire pour le front russe (comme Corti) et qui devient écrivain au retour de la guerre, basant son œuvre sur une dénonciation inlassable du communisme et sur une défense incessante des valeurs catholiques. L’épisode sur la pièce de théâtre écrite par Tintori (Eugenio Corti en a écrit une, Procès et mort de Staline) est d’ailleurs intéressante (bien que pesante à lire) pour voir comment cet homme voit le monde ligué contre lui, lui qui a raison contre tous. On dirait un peu la mauvaise foi de Rousseau dans Les Confessions, pas une mauvaise compagnie certes, mais pas pour les bonnes raisons…).

En définitive, je suis contente d’avoir fait cette lecture, d’y avoir appris beaucoup de choses, mais je ne peux pas la recommander, car elle me semble trop pesante (toujours ce mot qui revient), d’une honnêteté intellectuelle discutable et j’espère qu’il existe d’autres livres sur cette période qui sont plus agréables à lire pour le même résultat.
A noter, cependant, que ce livre est un succès de librairie en Italie, et ce depuis sa sortie en 1983. Je pense que des Italiens, ou des personnes connaissant mieux la société italienne que moi, voient peut-être plus dans ce livre que je ne suis capable de le faire. Un livre que je ne peux donc pas déconseiller, mais que j’accompagnerais d’une mise en garde, que l’on sache dans quoi on met les pieds avant de se lancer dans cette course de fond...
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raton-liseur | 4 autres critiques | Apr 8, 2020 |
La biographie d'un personnage célèbre révèle également la personnalité du biographe. On ne compte plus ces ouvrages qui, sous couvert d'examen d'une époque, jettent par contraste un regard cruel sur la notre. La biographie est un exercice obligé dans la carrière de l'homo politicus à la française, moitié pour avoir l'adoubement des mandarins universitaires et se targuer d'être ainsi de la catégorie des intellectuels, moitié pour placer son action dans le prolongement historique de celui qui est passé sous la plume, parfois complaisante, du biographe.

Aucun de ces travers n'est à attendre avec cet ouvrage d'Eugenio Corti sur Caton l'ancien. Toute l'œuvre de Corti est placée sous le signe de l'exigence morale la plus haute et de l'accomplissement du devoir, traits qui caractérisent hautement la vie de Caton, symbole emblématique des vertus romaines à une époque de crise et de choc des cultures. A travers l'évocation de la vie de Marcus Porcius Cato, l'auteur du Cheval Rouge montre comment un peuple de paysans magistralement doué pour le droit est devenu maître de tout le monde antique connu et dont l'organisation politique permettra la diffusion du christianisme (Corti y voit l'œuvre de la Providence). Par ailleurs, il met en lumière les trois plaies du "modernisme antique" contre lequel Caton luttait : la culture grecque dont la décadence menaçait le mode de vie romain, la popularité excessive de certains généraux, ce qui se vérifiera sous l'empire, et Carthage dont l'économie fondée sur le recours massif à l'esclavage menaçait les productions romaines. Son obstination contre Carthage est restée d'ailleurs proverbiale mais, dans la parole incantatoire du fameux "Delenda est Carthago", c'est surtout la primauté à l'économie qui est visée et cette harangue célèbre résonne de façon bien moderne, hélas !

Eugenio Corti s'attache à Caton, on le sent très clairement à travers son livre, même s'il le considère parfois comme "pointilleux", voire "hargneux". Il est cependant sans complaisance à son égard même si sa critique aurait pût aller plus loin. Caton, sur la fin de sa vie, tomba dans quelques travers qu'il combattait. De surcroît, ce n'était ni la charité ni la miséricorde qui guidaient ses actions, bien loin de là, en particulier avec ses propres esclaves. De ce strict point de vue, c'est le général romain Scipion l'Africain qui recueille une particulière estime et affection de l'auteur, qui le qualifie de "naturaliter christianus". Notons aussi son admiration, sans doute moins marquée, pour Hannibal, le génie militaire carthaginois, qui ne réussit pas à sauver de la ruine la patrie qu'il chérissait par-dessus tout.

Caton, paysan, soldat, consul, censeur, orateur, avocat, historien et poète laisse sous la plume de Corti le portrait d'un homme portant au sommet les vertus d'une civilisation en mutation. Sachant l'inéluctabilité de l'Histoire, il jette les derniers feux d'une Rome ancienne en tentant de poser des jalons moraux pour les générations qui viennent. En ce sens, Corti et Caton se ressemblent très étrangement. Dans quelle mesure la biographie ne se teinte-t-elle pas d'une autobiographie ? Les siècles en arrivent à se mêler étroitement sous la plume de l'auteur. La différence notable entre les deux époques antiques et modernes, ou païennes et chrétiennes, c'est la considération de la personne humaine acquise avec le christianisme. Il est à noter, et Corti le fait également très bien dans les quelques "médaillons" magistraux de son livre où il prend une hauteur considérable sur l'Histoire, que cette dignité est mise en péril dès que la primauté économique prend le pas. Sous sa plume, nous avons la désagréable sensation que les anciens pays chrétiens dans lesquels nous vivons sont en voie de devenir inéluctablement de nouvelles Carthage.

Evoquons le style littéraire d'Eugenio Corti. Ce livre est annoncé comme un roman mais ce qualificatif est tout à fait impropre. Corti l'identifie comme une "mise en image". C'est le premier ouvrage de ce type traduit en français mais le troisième de l'auteur après La terre des Guaranis consacré aux réductions jésuites du Paraguay et "l'île du paradis" traitant des révoltés de la Bounty sur l'île de Pitcairn, deux sujets où l'utopie se confronta au réel. L'ouvrage sur Caton surprendra le lecteur dans sa forme mais la "forma mentis" occidentale, conditionnée par une civilisation de l'image, acceptera bien vite l'exercice que l'auteur lui impose. Car la mise en image se situe à la confluence du théâtre (que Corti connaît bien), du roman, de l'essai et de l'écriture cinématographique. L'image du cinéma est particulièrement frappante dans la manière de changer de scène car l'auteur indique de temps à autres les termes comme : "l'objectif s'attarde sur" ou bien "fondu". C'est extrêmement déroutant mais cette technique incite le lecteur à tomber au sein même de l'action, à suivre les personnages dans leurs dialogues, à abolir la distance que procurerait l'usage d'un autre style. Corti, dans son dépouillement des dialogues qui fait ressembler ce "Caton" à une tragédie antique, a le talent littéraire de faire revivre sous nos yeux et sans une once d'ennui, une vie marquée par l'exigence la plus dure et, plus qu'une vie, tout le contexte de la vie romaine. Formidable exercice littéraire en même temps que remarquable page d'histoire pouvant éclairer notre époque.
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Veilleur_de_nuit | Jan 25, 2011 |
Nous avions laissé le lieutenant Corti exsangue au sortir de l'hiver russe raconté dans le premier tome de sa fresque de guerre, "La plupart ne reviendront pas : Vingt-huit jours dans une poche du front russe (hiver 1942-1943)" . Dans ce second tome, nous le retrouvons sous le chaud soleil italien, dans son pays où, engagé dans l'armée régulière italienne au côté des alliés après le débarquement de 1943, il participe à la libération de son pays. Cette armée régulière, ce sont ces "derniers soldats du roi" qui combattaient par sens du devoir, par l'amour de la Patrie, par le refus du chaos et de la défaite, par le désir de terminer une guerre qui déchirait les corps et les consciences. L'histoire de ces soldats oubliés fut passée sous silence dans l'historiographie officielle, face aux maquisards.

L'épopée italienne du futur auteur du "Le Cheval rouge" ne baigne pas dans l'optimisme, hormis celui des rencontres, y comprises féminines (ce qui nous donne des pages splendides sur l'amour et la patience). Corti n'excelle jamais autant que dans ces portraits de personnes depuis disparues dans l'oubli et la cendre. En cela il est un humaniste chrétien car il s'attache à retrouver l'Homme dans la vérité de son incarnation et non dans une abstraction socialisante qui désole aujourd'hui les relations humaines. L'auteur est d'ailleurs lucide sur la dégradation de cet humanisme sirupeux qui se sépare du christianisme : "J'avais vu, en Russie à quoi ces idéaux avaient mené, et en quoi s'étaient trouvés transformés ces humanitaires, avec leurs figures illuminées : en bourreaux de leurs semblables à l'échelle des millions, et bourreaux d'eux-mêmes".

Si l'hiver russe a martyrisé au plus haut point son corps, et que c'est par la force de son âme et d'un appui sans doute surnaturel qu'il s'en est sorti, là, c'est l'hiver intérieur qui gagne un pays gangrené par l'affairisme, les compromissions politiques et un communisme offensif sur la nature duquel la majorité des acteurs politiques de l'époque furent bien aveugles. Cependant, comme dans chacun de ses ouvrages, c'est un regard d'espérance dépassant l'horizon humain qu'il porte sur ses contemporains et les épreuves qu'ils traversent. C'est toujours l'éclair de la grâce qui fuse quand il reprend à son compte l'explication des malheurs de la guerre faite par le père abbé du couvent de Subiaco : "Vous payez aujourd'hui pour le mal commis surtout par d'autres. Rappelez-vous pourtant que le mystère de la réversibilité est quelque chose de merveilleux, et que peut-être un jour, des souffrances endurées par d'autres, la grâce pourrait venir, surtout sur vous". Comme il le confie, "C'est ainsi que, justement en ces jours de désagrégation, mon esprit allait à cet égard s'affermissant en lui-même, se nourrissait et se construisait."

Le récit de guerre du lieutenant Corti garde toujours cette distance élégante avec le quotidien des armes. Il sait que la guerre cessera et qu'un autre combat, plus âpre encore s'engagera, sur le terrain moral. Car chez l'auteur, tout se tient dans cette recherche de la moralité des actes humains. Il estime que tous les fléaux engendrés par les hommes ne sont que le résultat d'un déséquilibre moral : "Ce n'est que dans le domaine moral que nous autres hommes sommes vraiment libres. Par conséquent, c'est quelque chose qui est notre œuvre, qui s'est pour ainsi dire progressivement accumulé dans le domaine moral et qui jusqu'à un certain point s'ébranle comme le fait une avalanche et, malgré tous nos efforts contraire, nous entraîne. La guerre est donc le produit d'une rupture dans le domaine moral. Elle est, ni plus ni moins, le produit de l'immoralité humaine."

Rappelant avec regret que Dieu est ramené petitement aux dimensions uniquement rationnelles de l'homme, Eugenio Corti retrouve une foi ferme quand il s'abîme dans de profondes rêveries où la contemplation d'un papillon lui "suffit à lui seul à démontrer l'existence de Dieu".

La marque profonde d'Eugenio Corti, c'est une profonde nostalgie de l'enfance et de ce qui est pur, simple et sans tâche. Dans toute son œuvre, Corti n'a jamais cessé de vouloir retourner à cet état édénique tout en assumant les responsabilités et les charges de l'âge adulte, ce qui n'empêche ni les chagrins, ni les ruptures. Avec lui, l'être humain atteint une densité spirituelle jamais démentie, comme ne sont jamais démenties non plus les profondes contradictions des hommes dans leur quête du Royaume éternel. Dans un de ces dialogues avec l'ange, qui fait aussi le charme du style de l'auteur, il fait dire à cette créature spirituelle : "le problème c'est que votre destin est un destin de géants". Toute l'œuvre de Corti se place dans l'acceptation de ce destin.
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Veilleur_de_nuit | 1 autre critique | Jan 25, 2011 |
Le survivant d'une catastrophe se demande toujours ce qui lui vaut la grâce d'être vivant alors que tous ou presque sont morts. Hasard ou Providence, le sens à donner ne paraît pas immédiatement. Cependant, si l'événement catastrophique a eu lieu durant la jeunesse, il peut éclairer la vie entière d'une lumière totalement différente de celle que l'on imaginait. C'est ce qui est arrivé au jeune lieutenant Corti, âgé de 21 ans, lorsqu'il a réchappé de la poche dans laquelle l'Armée Rouge avait enfermé les corps d'armée allemands et italiens en décembre 1942, sur les rives du Don.

L'effroyable, inhumaine et ahurissante retraite qui s'ensuivit alors rappelle pour beaucoup la débandade napoléonienne au cours de laquelle les armées impériales quittèrent le sol russe en laissant derrière elles un sillage de cadavres. 130 ans après l'aventure de l'Empereur, une nouvelle retraite se rééditait dans les mêmes conditions climatiques, dans la même urgence militaire. En décembre 1942, sur les trente mille italiens pris au piège dans la poche, quatre mille seulement sortirent de l'enfer au bout d'un mois, souvent à la lisière de la mort. Il nous revient alors en mémoire les vers de Victor Hugo sur la Retraite de Russie, si illustrateurs et évocateurs : "Il neigeait, on était vaincu par sa conquête" nous dit le poète, ajoutant "Après la plaine blanche, une autre plaine blanche", faisant "Pour cette immense armée un immense linceul". La Russie vue par le lieutenant Corti, comme par Hugo, est dévorée par l'infini, a le visage grimaçant de l'hiver, happant ceux qui s'y frottent, engloutissant ceux qui s'y attardent, ne laissant qu'à contre-cœur échapper quelques vies. Prophétiquement , Hugo lui annonçait déjà : "le désert dévorait le cortège. On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige, Voir que des régiments s'étaient endormis là. On s'endormait dix-mille, on se réveillait cent ; toute une armée ainsi dans la nuit se perdait".

Après la Libération, en 1947, alors que l'aventure russe était occultée parce que marque infamante de l'épopée mussolinienne, Corti publia son livre, fruit d'une exigence morale rendue impérieuse par son retour à la vie civile. Dans une ambiance d'après-guerre désireuse de légèreté, ce fut un choc pour les italiens, mais également un salutaire exercice de mémoire. La souffrance endurée ne resterait pas oubliée par le camp vainqueur. Ce livre fut régulièrement réédité depuis en Italie, l'auteur s'attachant d'apporter à chaque édition de nouvelles précisions. Il paraît aujourd'hui pour la première fois en français. « La plupart ne reviendront pas » est, à la première lecture, le simple journal de campagne d'un officier italien sur le front russe. A la première lecture seulement !

Les lecteurs qui connaissent déjà le Cheval Rouge retrouveront en effet dans ce livre l'intégralité de l'expérience personnelle de l'auteur, engagé volontaire en Russie pour aller constater « de visu » les résultats du communisme avant, pensait-on alors, son écroulement prochain. De l'aveu propre de l'auteur, âgé de 21 ans à ce moment, la retraite de décembre 1942 fut le moment le plus pénible de son existence et l'on mesure à la fin du livre la profondeur de cet aveu. C'est un témoignage fort et de première main. Comme tout document venant des témoins direct d'un événement, il possède une énergie farouche, une douleur sourde, une sobriété intense. Fidèle au simple exposé des faits qu'il a vécu durant ces jours, ces siècles serions-nous tentés de penser , scrupuleusement vérifiés et certifiés, l'auteur du Cheval Rouge, sans fioritures, sans digressions ni grandes phrases, nous laisse libre de l'émotion que ne manque pas de procurer la lecture de ces pages construite avec l'intensité dramatique d'une tragédie antique. Dans l'intemporalité où nous place l'auteur, malgré le décompte précis des jours qui s'écoulent, il ne nous est pas possible de prendre parti pour un camp ou pour un autre. Au cœur de la tourmente russe, les Allemands, les Italiens ou les Russes sont chacun victimes et bourreaux, chacun pris dans l'étau de la guerre, chacun pris dans une spirale de violence et de douleur qui semble ne jamais devoir prendre fin, chacun accroché à une étincelle d'humanité qu'il faudra entretenir dans la traversée de cette "saison en enfer". Pris dans ce tourbillon, le lieutenant Corti s'accroche au seul élément qui lui semble raisonnable, sa foi. Et il en faut pour continuer à réciter le Rosaire par des températures qu'aucune bête n'affronterait volontairement, pour continuer à trouver des éléments d'espérance quand toute la réalité s'acharne à démontrer qu'il n'y en a plus. Et il en faut encore plus pour croire que le fléau de la guerre et les épreuves qui se sont abattues sur ces hommes est juste : "Pendant ce temps, au milieu de nous, au milieu de nos figures immobiles et penchées, sévissait le froid. Il continuait de nous faire souffrir de façon indicible. Peu à peu, je finis par ne plus me percevoir comme une individualité bien distincte, autonome : non, j'étais un atome de l'humanité qui souffrait, une toute petite partie de l'infinie douleur humaine. Je repensai à cette sensation si nettement ressentie, mais que j'ai du mal à communiquer en raison de notre tournure d'esprit individualiste : j'avais ressenti qu'au travers de moi, l'Humanité expiait ses fautes. C'était juste. Mais que c'était douloureux" . Avec ce sentiment d'expiation, l'auteur touche du doigt la grande faille humaine par laquelle s'engouffre la profonde lèpre du Mal, la haine de l'homme, laquelle fut le moteur paroxystique des deux idéologies barbares du vingtième siècle, le communisme et le nazisme. Et Corti de la montrer, de la dénoncer, mais aussi et surtout de la porter en prière silencieuse aux pieds du Seigneur.

Le témoignage d'Eugenio Corti sur l'enfer russe est d'autant plus tranchant et implacable dans ce récit qu'il ne s'épargne pas lui-même, disséquant son âme avec une lumière crue : réflexes animaux, lâcheté, manque de parole, toutes choses qui seraient inavouables dans un récit héroïque ou de propagande mais qui, ici, montrent l'envers du décor, la réalité et la complexité de la nature humaine. La guerre brouille profondément les frontières naturelles de la morale. On s'y noie ou on croît à la Providence pour garder le cap malgré tout. Ce qui taraude et perturbe les âmes des personnes peut gagner le corps social tout entier, et dans le cas présent, le corps d'armée italien qui se trouve cisaillé par les contradictions et la désorganisation, déjà endémique auparavant. Hormis concernant les régiments des chasseurs alpins, il faudrait reprendre mot à mot la description donnée par Victor Hugo de l'armée impériale : « On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau /Hier la grande armée, et maintenant troupeau /On ne distinguait plus les ailes ni le centre ». Il faut cependant bien avouer, à décharge, que les conditions dans lesquelles fut effectuée cette retraite, par moins 45°C de température, quasiment sans nourriture, ni armement, ni protection adaptée contre le froid, harcelé par les partisans, les katiouchas, les chars russes, les faiblesses de l'âme et la désorganisation humaine sont à relativiser. Il en ressort par un contraste saisissant que les actes désintéressés et charitables qui ont eu lieu au cours de ces 28 jours, même les moindres, envers des camarades en difficulté, placent leurs auteurs dans le camp des saints. Eugenio Corti trace quelques portraits bouleversants de ces hommes qui furent peu après happés par la guerre et le froid, échappant de justesse par sa plume à l'oubli définitif.

Par son sobre style littéraire démonstratif, l'auteur nous épargne les leçons de moralisme que l'on trouve dans ce type de récit sur l'absurdité de la guerre et la nécessité de la fraternité humaine. A l'aune de sa foi chrétienne, plus ardente encore dans ces conditions, il tire les enseignements de ce que fut, pour lui, cette "via dolorosa". Avoir trempé les pieds dans les eaux sombres de la mort fait naître chez Eugenio Corti la certitude d'être dans la main de la Providence, d'être un petit instrument d'un dessein qui le dépasse, d'être dans la situation de celui qui « clame dans le désert » cette exigence de vérité sur l'homme, cet appel d'un royaume qui ne sera plus recouvert des sanglantes scories humaines. Le témoignage qu''il rend de l'engloutissement russe est d'autant plus poignant à nos yeux qu'il est écrit comme une épitaphe de tombeau, avec ce style si minéral et épuré qui lui est propre, et que l'on retrouvera en plénitude dans le Cheval Rouge. Plus de cinquante ans après sa sortie, ce récit intemporel n'a rien perdu de sa force terrible car il fait part des expériences qui traversent le cœur et l'âme des hommes : la souffrance et l'espérance. Quand on réchappe d'une telle épreuve, on ne peut plus désormais parler et écrire qu'avec l'éternité comme horizon, et la certitude de la Miséricorde du Seigneur.
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Veilleur_de_nuit | 2 autres critiques | Jan 25, 2011 |

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