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Dans l'épilogue, Emmanuel Carrère écrit "J'étais entrain d'achever ce livre et j'en étais ma foi, plutôt content. Je me disais : j"ai appris beaucoup de choses en l'écrivant, celui qui le lira en apprendra beaucoup aussi, et ces choses lui donneront à réfléchir : j'ai bien fait mon travail" (page 593 - Ed Folio)
Eh bien pari réussi, effectivement j'ai beaucoup appris et pas mal réfléchi au fil des pages. J'ai apprécié le style d'Emmanuel Carrère et surtout sa recherche systématique et parfois assez drôle de comparaison, d'analogie avec des évènements historiques, politiques de notre temps afin de mieux nous faire comprendre le monde méditéranéen du premier siècle. Brillant, intelligent, s'appuyant sur un travail de recherche que l'on peut imaginer considérable, Emmanuel Carrère raconte les débuts du christianisme, ses clans, ses courants de pensées, ses luttes entre ceux qui étaient avec Jésus et ceux qui sont arrivés après. Emmanuel Carrère, analyse, démontre comment cette nouvelle philosophie s'inscrit dans un monde sous domination de l'empire romain mais de culture hellénique sauf la société juive. En partant de son parcours personnel, de ses interrogations, il émet des hypothèses et tente de comprendre comment :
"..des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées.(..) un type qui croirait à des histoires de dieux qui se transforment en cygnes pour séduire des mortelles, ou à des princesses qui embrassent des crapauds et quand elles les embrassent ils deviennent des princes charmants, tout le monde dirait : il est fou. Or, un tas de gens croient une histoire tout aussi délirante et ces gens ne passent pas pour des fous. Même, sans partager leur croyance, on les prend au sérieux. Ils ont un rôle social, moins important que par le passé, mais respecté et dans l'ensemble plutôt positif. Leur lubie cohabité avec des activités tout à fait sensées. Les présidents de la République rentrent visite à leur chef avec déférence. C'est quand même bizarre, non?" (page 15 - Ed Folio)
Emmanuel Carrère donne à mieux comprendre sur quelles bases "idéologique et philosophiques" cette nouvelle religion a pris son essor. Paul et Luc avec leurs défauts et leurs qualités deviennent des personnages réels et attachants. Il nous démontre que comme l'a écrit Renan : "une religion c'est une secte qui a réussi"...
Pourtant, quelques choses m'a gêné dans ce livre et la raison est également illustré dans la phrase cité en introduction de ce commentaire "... j'ai bien fait mon travail". La complaisance d'Emmanuel Carrière envers lui-même, l'étalage assez narcissique de sa vie, ses fantasmes, ses doutes et interrogations mais également ces certitudes m'ont parfois gêné, me faisant décroché par moment dans ma lecture.
C'est peut-être néanmoins, ce qui fait tout l'intérêt du livre, et la pédagogie du propos, du fait même qu'Emmanuel Carrère au travers de sa mise en scène fait écho à nos propres interrogations et recherches. ( )

Un livre passionnant sur les débuts du christianisme à travers l'évangéliste Luc principalement, mené comme une véritable enquête pour comprendre comment ont été écrits les Actes des apôtres, quels étaient les liens de Luc et de Paul, qui étaient les contemporains et proches de Jésus, comment se sont "ficelés" ces écrits parvenus jusqu'à nous,... Par des transpositions très éclairantes dans notre époque pour mieux faire ressentir au lecteur ce qu'était cette communauté des premiers chrétiens, sous l'occupation romaine, j'ai été entraînée avec bonheur sur cette aventure à la fois si lointaine et si proche de nous, émerveillée par le fait que le christianisme ait ainsi traversé les siècles, et profondément touchée par ce message à la fois si simple et si révolutionnaire qui nous interpelle tous, chacun individuellement.
Un sacré pari que ce livre et une belle réussite ! ( )

Emmanuel Carrère a eu besoin de revenir sur un épisode de sa vie qu'il peine à comprendre : en 1990, il est "touché par la grâce"; cette crise mystique, survenue dans une difficile période de dépression et de doute, durera trois ans.
L'écrivain a une excellente connaissance des Évangiles pour avoir participé pendant quelques années à une vaste entreprise collective de traduction de la Bible. Bien des années plus tard, ayant perdu la foi, c'est en enquêteur qu'il triture et analyse plus particulièrement, et sous toutes les coutures, les figures de Paul et de Luc. Ayant de toute évidence ingurgité un corpus impressionnant de textes religieux et d'essais sur les fondations de la chrétienté, il offre au lecteur une incursion riche, dense et iconoclaste dans son histoire. Je dois avouer que cette densité a même, à plusieurs reprises, un peu égaré l'attention de la très médiocre connaisseuse de l'histoire religieuse que je suis.
Le récit est fouillé et remarquable de sincérité; l'auteur s'observe, s'ausculte et se raconte sans concession. On sent que la croyance qui l'a foudroyé à une période de sa vie serait comme une maladie qu'il craindrait de contracter à nouveau.

En dépit de ses grandes et indéniables qualités, je reste un peu partagée sur ce livre. Celui-ci que l'auteur présente comme un péplum biblique peine parfois à trouver sa voie et sa finalité entre essai et autofiction. Le surgissement des égarements de l'auteur entre deux interprétations des Evangiles, bien que souvent rafraîchissant, m'a paru un peu nombriliste et trop proche de ce qui peut aisément me faire fuir chez bon nombre d'auteurs contemporains français (cette forme d'observation narcissique assez bourgeoise).

Pour finir, un extrait assez fascinant de ce livre qui mérite d'être lu :
"Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité. Je ne crois pas qu'un homme soit revenu d'entre les morts. Seulement, qu'on puisse le croire, et de l'avoir cru moi-même, cela m'intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse - je ne sais pas quel verbe convient le mieux. J'écris ce livre pour ne pas me figurer que j'en sais plus long, ne le croyant plus, que ceux qui le croient et que moi-même quand je le croyais. J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens."

Et de clore avec les mots de ce livre en forme de confession :

"Ce livre que j'achève là, je l'ai écrit de bonne foi, mais ce qu'il tente d'approcher est tellement plus grand que moi que cette bonne foi, je le sais, est dérisoire. Je l'ai écrit encombré de ce que je suis : un intelligent, un riche, un homme d'en haut : autant de handicaps pour entrer dans le Royaume. Quand même, j'ai essayé. Et ce que je me demande, au moment de le quitter, c'est s'il trahit le jeune homme que j'ai été, et le Seigneur auquel il a cru, ou s'il leur est resté, à sa façon, fidèle.

Je ne sais pas." ( )