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Élisabeth Filhol

Auteur de La centrale

3 oeuvres 80 utilisateurs 5 critiques

A propos de l'auteur

Œuvres de Élisabeth Filhol

La centrale (2010) 54 exemplaires
Doggerland (2019) 20 exemplaires
Bois II (2014) 6 exemplaires

Étiqueté

Partage des connaissances

Nom canonique
Filhol, Élisabeth
Date de naissance
1965-05-01
Sexe
female
Nationalité
France
Pays (pour la carte)
France
Lieu de naissance
Mende, Lozère, Occitanie, France

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Critiques

Est-ce un roman, un documentaire, un essai ? Le mixage des formes rend assez impalpable la catégorisation de ce livre. Est-ce bien nécessaire d'ailleurs ? Sans doute pas. Le récit est une sorte d'enquête scénarisée sur les milieux de la sous-traitance des installations nucléaires. Métiers à risque s'il en est, où l'on expose sa peau et sa vie pour que les consommateurs continuent gaiement à s'éclairer, jouer, communiquer, vivre en somme. La précarité n'est pas loin quand on voit que le seuil fatal de 20 millisiverts/an disqualifie la personne pour un an une fois qu'il est franchi. L'auteur nous entraîne aux côtés de ces professionnels itinérants peuplant les campings et les hébergements temporaires, exposant leurs états d'âme ou leurs silences. Nous y prenons une leçon de science avec le fonctionnement de la centrale (le livre est focalisé sur Chinon et Le Blayais), une leçon d'histoire avec le rappel de Tchernobyl, une leçon d'humanité avec ces hommes pour qui le slogan "Changer l'énergie ensemble" peut d'abord se concrétiser par "changer de boulot".

Le style d'Elisabeth Filhol est froid, distant, clinique. Les phrases sont courtes, réduites à l'essentiel de ces portions de vie. C'est efficace, précis comme une horloge... atomique, bien entendu.
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Signalé
Veilleur_de_nuit | 3 autres critiques | Jan 10, 2011 |
http://cultureetsciencessociales.blogspot.com/2010/01/elisabeth-filhol-la-centra...

La figure du travailleur itinérant inspire les romanciers. Dans Les raisins de la colère, John Steinbeck montrait les ravages sociaux causés par l’industrialisation sur des milliers de paysans américains. Contraints de quitter leur terre pour survivre, nombreux sont forcés de devenir travailleurs itinérants. Pendant les années 30 – La grande dépression, Tom Joad et sa famille errent là où leurs bras sont demandés. Nomades par défaut, pour continuer à vivre. Au cours du XXe siècle, l’émergence et la généralisation de la société salariale a permis un reflux de la figure du travailleur itinérant. Pendant de la période « fordiste » – les Trente Glorieuses – les salariés se sont en effet fixés à leur entreprise de manière durable. Cependant, la montée d’un chômage de masse et le développement de la précarité semblent avoir engendré un nouveau bataillon de travailleurs nomades, multipliant les kilomètres à la recherche d’un gagne pain. Iain Levison, dans Tribulations d’un précaire, relate avec un humour brillant son expérience de travailleur itinérant.
« Au cours des dix dernières années, j’ai eu quarante-deux emplois dans six États différents. J’en ai laissé tomber trente, on m’a viré de neuf, quant aux trois autres, ç’a été un peu confus. C’est parfois difficile de dire exactement ce qui s’est passé, vous savez seulement qu’il vaut mieux ne pas vous représenter le lendemain. Sans m’en rendre compte, je suis devenu un travailleur itinérant, une version moderne du Tom Joad des Raisins de la colère. À deux différences près. Si vous demandiez à Tom Joad de quoi il vivait, il vous répondait : “Je suis ouvrier agricole”. Moi, je n’en sais rien. L’autre différence, c’est que Tom Joad n’avait pas fichu 40 000 dollars en l’air pour obtenir une licence de lettres. »

Levison illustre les ravages d’un libéralisme anglo-saxon où le travail est devenu une marchandise comme les autres, pensait-on. La France est à l’abri de ce type de parcours professionnel, disait-on. C’était négliger la naissance, en France également, d’un « précariat » : système dans lequel une part croissante de la main d’œuvre se fixe durablement dans une situation précaire – bel oxymore, une précarité durable. Pour trouver à s’employer, de nombreux travailleurs doivent enchainer les missions d’intérim ou les contrats à durée déterminée. Or, ces contrats courts se réduisant comme peau de chagrin, il faut aller les chercher là où ils sont. A des centaines de kilomètres si besoin est.

Dans son premier roman, La Centrale, Elisabeth Filhol décrit quelques mois de l’existence d’un de ces travailleurs itinéraires français. Le récit est déstructuré, secondaire. Ce roman vaut davantage pour les descriptions de ces travailleurs nomades, de leurs difficiles conditions de vie et de travail. A la suite d’un licenciement, Yann accepte une mission d’intérim dans le secteur du nucléaire. Son rôle est de s’occuper de la maintenance d’une centrale nucléaire lors d’un arrêt de tranche, opération technique qu’une centrale doit réaliser chaque année. La mission dure entre trois à cinq semaines. Cela dit, il existe douze centrales en France, un arrêt de tranche chaque mois, ce qui laisse envisager des missions relativement régulières. Les centrales sont éparpillées aux quatre coins de l’hexagone. Yann fait donc le choix d’aller chercher le travail là où il est, et se déplace en France au gré des arrêts de tranche, de centrale en centrale. Ainsi, lorsque le médecin du travail l’interroge sur son avenir :
« Quels sont vos projets ? Je lui dis, en avril le Blayais, et en mai Tricastin. »

Filhol décrit ainsi les longs déplacements en voiture, l’impossibilité de se fixer à un territoir, les conditions de logement déplorables, les campings. Quand le travail est précaire, la vie sociale le devient forcément.
« A chaque nouveau contrat, la question du logement se pose toujours dans les mêmes termes, quelque chose de correct, à un prix raisonnable, un vrai casse-tête. Sachant que les locations temporaires sont prises d’assaut dans un rayon de dix ou quinze kilomètres autour des centrales, ils sont de plus en plus nombreux ceux comme Jean-Yves qui optent pour la caravane davantage par nécessité que par gout. »

L’intérim comme seul avenir envisageable. Enchainer les missions, de région en région, parce que le secteur du nucléaire est un des rares ou la demande de travailleurs excède l’offre.
« Des agences d’intérim, au Blayais, il y en a trois. La première, cent mètres après la mairie quand on remonte la rue principale en direction du stade, est une enseigne locale. Les deux autres, affiliées à des réseaux nationaux, se font face un peu plus loin à l’entrée de la zone artisanale. Trois agences, pour une commune de moins de deux mille habitants. (…). En vitrine, des métiers plus familiers que d’autres, soudeurs, mécaniciens, électromécaniciens, pour ce qu’on en connaît, téléphonistes, magasiniers, gardiens. Et d’autres qui surprennent au premier abord, échafaudeurs, nettoyeurs, décontamineurs, calorifugeurs, robinetiers, tuyauteurs, techniciens en contrôle non destructif, dont on aurait du mal à dire quand on débute dans le métier en quoi leur bizarrerie peut à la fois nous attirer et nous mettre mal à l’aise, et qui font pourtant le plus gros contingent de l’offre. (…) Mais tout de même, des postes à pourvoir, du jour au lendemain, une économie de l’offre, c’est bien ça l’essentiel.
On pousse la porte, et c’est signé. Qui n’a jamais fait ce rêve ? Après avoir jeté un coup d’œil sur les annonces affichées en vitrine, par ce seul geste exprimer sa motivation, la dame se charge du reste. Vous entrez, vous n’êtes ni le premier ni le dernier, elle est là, disponible, elle répond au téléphone mais son sourire est pour vous, et son regard aussi qui entame déjà le dialogue, et son bras qui vous invite à tirer la chaise et à vous asseoir, ce que vous faites, c’est dans la poche, le job est pour vous.
Métiers à risques. Pourquoi certains franchissent le pas et d’autres non ? Il y a la nécessité, l’urgence, mais pas seulement. Ce qui est à l’œuvre là-bas, au cœur de la centrale, en fascinera d’autres après nous, ce mélange des genres. »

On va a la centrale comme on descend à la mine. La peur au ventre. Yann est un ouvrier DATR, « directement affecté aux travaux sous rayonnements », quotidiennement confronté au danger des décharges électriques, des « doses ». Il y a une limite annuelle a ne pas dépasser.
« Vingt millisieverts. La dose maximale autorisée par homme et par an, pour quatre-vingt-cinq kilogrammes de squelette et de muscles, avec un peu de savoir-faire et de chance, chacun espère répartir la dose sur un maximum de missions, il oublie qu’au premier incident sérieux, on le mettra sur le banc de touche jusqu’à l’année prochaine. »

Qu’est-ce qui pousse ces travailleurs à accepter ces conditions de travail dangereuses et indignes ? La nécessité, le manque. Ailleurs, le marché du travail est saturé. Dans la Centrale, il y a de la place et un salaire un peu moins ridicule. Yann et ses collègues acceptent donc de mettre leurs corps en péril, pour quelques euros de plus. Et pour garder ce poste, il est parfois nécessaire de mentir sur sa santé au médecin du travail. Cacher les coups encaissés, de peur de chômer encore.
« On a du mal à l’admettre, le corps encaisse, digère, jusqu’à un certain point. Est-ce que j’ai franchi la limite ? Vingt millisieverts. Je devrais lui poser la question. Je sais que ma santé le préoccupe. Je sais surtout que pour la fiche d’aptitude – une visite et un tampon tous les six mois –, ça peut se jouer à pas grand-chose, et que des types comme lui, un peu sérieux, au moindre doute, ils n’hésitent pas à vous mettre hors circuit. On n’ira pas leur en faire le reproche, on ne peut même pas leur en vouloir, mais de là à coopérer, il y a un pas qu’assez peu de travailleurs sont prêts à franchir. »

« Ce qui résiste au réel, c’est ça, le risque, l’appréhension du risque, on en connait le prix, à valeur de prime en pied de page sur le contrat, ou plus haut le montant brut de salaire un peu meilleur ici qu’ailleurs, et l’indemnité journalière pour frais d’hébergement sur laquelle on économise quand on s’arrange à plusieurs pour la location. Donc du risque, on cerne assez bien les contreparties, rapidité d’embauche et rémunération, mais on prend moins facilement la mesure. Parce qu’une agence s’engage, on se réjouit un peu vite. Chinon, Blayais, Tricastin, j’avais trois mois de visibilité, j’étais content. Il me fait la remarque : « Aujourd’hui tu as douze mois devant toi. » Sous-entendu, douze mois d’interdiction d’accès qu’il va falloir mettre à profit. Facile à dire. Douze mois ferme sur un geste idiot. Curieux d’y voir un tremplin. En en même temps, abandonner le métier, tourner la page, à quoi bon ? L’industrie nucléaire plutôt que le bâtiment ou l’automobile, certains y trouvent leur compte. La preuve, on en croise tous les jours qui pourraient changer de vie, ils ont eu leur lot de galères, et pourtant ils sont là, qui en redemandent. Qu’est-ce qui les attire ? »

Yann a dépassé son quota annuel de « doses ». Il ne peut plus être DATR, il prend « douze mois ferme ». Soit il change de secteur, soit il accepte la mission suivante, proposée par une agence d’intérim. Dans ces lignes, on voit le désastre social de la privatisation d’EDF et de l’externalisation des prestations :
« Agents SRP. Sécurité et radioprotection. Postes à pourvoir à l’issue d’un stage d’une durée totale comprise entre sept et dix jours selon les options, avec validation des acquis et délivrance d’un certificat de compétence. Prévu pour quinze personnes, il comporte un module théorique axé sur les effets biologiques des rayonnements ionisants, la radioprotection des travailleurs et la réglementation nationale, et un module pratique avec travaux dirigés et mises en situation. S’ensuivent une grille des tarifs pour l’année en cours et un descriptif des conditions de prise en charge. A l’origine, ce type de formation était financé par le donneur d’ordres EDF, avant que le coût, comme beaucoup d’autres, ne soit transféré aux sociétés prestataires. Pour les salariés dont change à chaque nouveau chantier, une seule solution, se le financer soi-même.
J’aurais bien quelque chose à vous proposer, mais… Mais il va falloir mettre la main à la poche. Le miracle, le voilà. Dans une gestion de l’emploi par la dose, au pied de l’échelle, pour un simple intérimaire, un mois brut de salaire. Mais des facilités de paiement, une sorte de quatre fois sans frais, comme dans les grandes surfaces. »

A la Centrale, résister, tenir le poste, n’est pas aisé. Nombreux s’accrochent, au prix d’un corps usé, détruit. En quelques mois, « le corps en a pris pour cinq ans ». D’autres, tel Bernard, préfèrent abandonner, ne pas tomber dans la gueule du loup. Par peur ou par raison. Trouver autre chose. Et certains se donnent la mort. Le suicide professionnel a souvent pour cause principale des conditions de travail irrespirables.
« On n’a pas envie de se plaindre. Malgré que. On ne se sent pas en droit de le faire. On aurait nous-mêmes tressé la corde ou forgé la lame, on nous dirait ça, que ca ne nous étonnerait pas. Pourtant. Quelque chose de central a été atteint. Et la nausée et la fatigue, là-dessus, ne rajoutent pas grand-chose. D’en être arrivés là, à vendre son corps au prix du kilo de viande, on lui en serait presque reconnaissant, au corps, de nous imposer ça. »

« Trois salariés sont morts au cours des six derniers mois, trois agents statutaires ayant eu chacun une fonction d’encadrement ou de contrôle, qu’il a bien fallu prendre au mot par leur geste, et d’eux qui se connaissaient à peine on parle désormais comme de trois frères d’armes, tous trois victimes de la centrale et tombés sur le même front. »

« Travailleur itinérant. J’aurais aimé le faire d’une autre manière que de cette manière là, moderne, évaluée en jours/hommes et temps machine, quand les mains ne produisent plus rien de solide et de constructif pour celui qui les dirige. Je roule, et à travers la vitre je change de lieu, pour retrouver devant moi ce qu’il y a derrière. Combien de trajets, combien de contrats signés depuis mes débuts dans la vie active ? Du paysage qui défile, je ne sais rien. Ni de la géographie de la France. Ni des dizaines de milliers de kilomètres affichés au compteur qui auraient au moins pu servir à ça, à rassembler quelques pièces du puzzle, que d’un trajet à l’autre une carte se dessine, une certaine idée du pays, alors que là rien, il ne m’en reste rien. »
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Signalé
Babou_wk | 3 autres critiques | Jun 16, 2010 |

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80
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Critiques
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